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  • Eska Gang, ou la grimpe façon melting-potes

    L’escalade serait donc réservée aux CSP+, amateurs de quinoa bio et autres dandys urbains ? Eska Gang , collectif atypique né sur WhatsApp, dynamite ce cliché avec une énergie désarmante. À l’occasion d’une sortie sur le viaduc des Fauvettes, organisée avec la précieuse complicité du club FFME « Le 8 Assure », Vertige Media a suivi Mehdi et Jean, fondateurs de cette joyeuse bande décidée à conjuguer verticalité avec diversité. Eska Gang © Adem Tenah On aurait pu penser qu’au sommet du viaduc des Fauvettes, suspendus à leurs cordes au-dessus du vide, les membres d’ Eska Gang seraient entièrement absorbés par la gestion de leurs vertiges ou la crainte existentielle d’un plomb inopiné. « Eh, c’est bon, t’inquiète pas, j’te tiens, tu peux grimper tranquille ! », lance Jean à l’une de ses potes restée figée à mi-hauteur du viaduc, entre rires et hésitations. En bas, ils sont une dizaine, des jeunes adultes aux profils étonnamment variés, certains sans aucun matériel, d’autres déjà bien équipés. On entend parler fort, rire encore plus fort, et surtout s’encourager à tout va. Mehdi et Jean, les deux fondateurs de cette troupe informelle devenue phénomène collectif, observent leur communauté avec un œil curieux, presque scientifique. En théorie, Eska Gang est une communauté de grimpeuses et grimpeurs passionnés qui permet à chacun de découvrir et pratiquer l’escalade, principalement en salle mais aussi en extérieur, plusieurs fois par semaine. En pratique, c’est un véritable vecteur de diversité et d’inclusion par l’escalade, où se côtoient aussi bien des jeunes issus de quartiers populaires que des étudiants de grandes écoles parisiennes. Car derrière l’aspect ludique, l’escalade telle que pensée par Eska Gang interroge frontalement les barrières invisibles d’une société segmentée. Une bande de potes devenue laboratoire social À l’origine, Eska Gang n’est qu’une blague entre potes, un groupe WhatsApp où l’invitation à grimper circule aussi rapidement qu’une rumeur dans un lycée. Mehdi, 24 ans, diplômé en commerce originaire de Champigny-sur-Marne, découvre alors un sport qu'il avait longtemps évité, faute de le considérer « accessible ». Jean, Niçois installé à Paris, lui aussi âgé de 24 ans, est déjà initié, mais peine à convaincre ses proches : la grimpe porte en elle une image d’entre-soi social tenace. Pour eux, c’est clair : si leurs potes ne veulent pas venir, c’est parce qu’ils sentent, même inconsciemment, qu’ils ne cochent pas les cases du grimpeur parisien-type . Mehdi plaisante : « Jean a dû insister pendant des mois. À force, j’ai fini par céder ». « On voulait créer un collectif où tout est accessible, où on promet de venir pour pas cher » Session grimpe à Arkose Nation © Adem Tenah L’étincelle surgit à l’automne 2023, lors d’une opération marketing d’Arkose intitulée « Ramène ton pote ». Mehdi s’amuse encore de l'anecdote : « On avait des dizaines de potes à ramener, Arkose ne savait pas ce qui allait leur tomber dessus ! » Ce sera le prétexte parfait. Le 14 octobre, Eska Gang se lance officiellement, avec pour ambition de désamorcer les clichés tenaces qui cloisonnent encore l’univers vertical. Sortir des salles, casser les murs Si l’escalade indoor a permis au sport de toucher de nouveaux publics, elle n’a pas totalement fait tomber les barrières sociales qui le traversent. À force d’observer leurs pairs, Mehdi et Jean ont saisi que le frein principal reste économique et culturel. La solution imaginée par Eska Gang passe donc par la création d’une offre radicalement simplifiée. « On voulait créer un collectif où tout est accessible, où on promet de venir pour pas cher », explique Jean. « Ce qu’on veut, c’est que les gens se disent : ici c’est chez moi, quelle que soit leur origine sociale ou leur quartier  » Mehdi Mais surtout, Eska Gang comprend vite que l’expérience ne peut pas se limiter aux salles climatisées des grandes enseignes. Depuis quelques mois déjà, le collectif multiplie les initiatives pour faire découvrir à ses membres d'autres facettes de l'escalade : bloc à Fontainebleau, randonnées-grimpe ou encore le « run and climb », un concept mêlant course à pied et grimpe sur une même sortie. Dans cette logique, Eska nous avait directement contactés après avoir vu qu’on grimpait souvent dehors autour de Paris, entre nous chez Vertige Media , pour savoir si nous étions chauds pour les accompagner le temps d’une journée d’initiation en extérieur. Le Viaduc des Fauvettes s’est imposé naturellement : accessible en RER, c’était l’endroit idéal pour prouver qu’une simple carte Navigo suffit à grimper dehors. Marques, salles d'escalade : une relation gagnant-gagnant Si Eska Gang existe aujourd’hui, c’est aussi grâce à des accords concrets noués avec plusieurs salles d’escalade parisiennes. Le principe est simple : en apportant un nouveau public jeune et diversifié, Eska négocie un tarif préférentiel unique de 10 euros par séance, matériel compris, ainsi qu'une gratuité pour chaque première séance. Mehdi détaille : « Je vais voir directement les directeurs, on échange en face à face. Ils comprennent vite que ça leur amène des gens qu’ils n’auraient pas eu sinon ». Rendez-vous Eska Gang © Adem Tenah Quant aux marques, si plusieurs d'entre elles flairent l'intérêt marketing évident d'une communauté aussi diversifiée, Eska Gang reste prudent face aux sollicitations. Arc’teryx, notamment, leur propose régulièrement des collaborations ponctuelles. Jean précise sans détour : « On accepte seulement des partenariats quand ça permet de rendre les sorties gratuites ou très accessibles à nos membres ». La grimpe comme prétexte à l’amitié sociale En observant le public présent sur le viaduc ce samedi-là, une évidence émerge : la diversité tant revendiquée n’est pas artificielle, elle est évidente, palpable, vivante. Eska Gang a réussi là où beaucoup échouent : créer une dynamique naturelle d’intégration. Mehdi continue : « Ce qu’on veut, c’est que les gens se disent : ici c’est chez moi, quelle que soit leur origine sociale ou leur quartier ». Sans jamais recourir à une communication forcée, ils privilégient la convivialité et l’échange spontané. La diversité ne se décrète pas, elle se vit au quotidien, dans une forme de pragmatisme joyeux. Ainsi, le collectif opère à la façon d’un laboratoire social grandeur nature, où les relations humaines s’enrichissent au fil des rencontres et des sorties. Les témoignages des participants abondent dans ce sens : Eska Gang les a aidés à briser un isolement post-études ou post-Covid, à redécouvrir les bienfaits d'une vie collective hors des cercles habituels. L’escalade devient alors moins une discipline sportive qu’une méthode pour provoquer des rencontres authentiques. Quel avenir pour l'utopie concrète ? Structurer Eska Gang en association pour mieux pérenniser leurs actions est une question récurrente. Mais la vraie interrogation, pour Jean et Mehdi, c’est de savoir comment préserver l’équilibre fragile entre militantisme social et plaisir pur, entre engagement sérieux et esprit festif. « Le jour où on se dira : " J’ai pas envie d’aller à une session ", c’est qu’on aura perdu », affirme Jean. Mehdi, issu d’une famille immigrée et ayant grandi en banlieue, perçoit dans leur projet un enjeu symbolique fort : montrer par l’exemple que la mixité sociale et l’ouverture culturelle ne relèvent pas de l'utopie, mais d’une volonté collective. « L’escalade reste un prétexte – le meilleur prétexte – pour créer du lien social » Dans ce contexte, les Fauvettes prennent une dimension symbolique : ce lieu naturel, historique et populaire incarne la vision d’ Eska Gang – une escalade véritablement accessible, inclusive et profondément humaine. À travers ce collectif hybride, l’escalade ne se contente plus d’être un sport, elle devient une promesse d’ouverture et de vivre-ensemble. Sortie au Viaduc des Fauvettes Eska Gang <> Vertige Media © Adem Tenah Ce samedi sur le viaduc, en voyant les sourires échangés entre grimpeurs novices et confirmés, étudiants et actifs, habitants de Champigny, de Paris et de Bagnolet, on mesure combien Eska Gang réussit à proposer autre chose que du sport. Ce qu’ils offrent, c’est la possibilité concrète d’une société moins verticale, moins cloisonnée, plus ouverte à l’altérité. « L’escalade reste un prétexte – le meilleur prétexte – pour créer du lien social », conclut Mehdi. Un vertige social en somme, où les frontières habituelles disparaissent avec autant de facilité que les premiers mètres d'une voie escaladée ensemble. Cette sortie a été rendue possible grâce au soutien précieux du club FFME « Le 8 Assure », qui nous a gracieusement mis à disposition du matériel et financé un encadrement professionnel diplômé d’État afin que cette journée se déroule en toute sécurité et avec une pédagogie adaptée.

  • Grimpe en extérieur, salles privées et addiction : le coût caché de l’escalade

    Bleausard et ouvrier, Jean-Jacques Naëls grimpe, crée et répare des circuits. Face à l’explosion des salles privées et les tarifs qui y sont associés, il nous livre son regard sur le coût d’une discipline à laquelle il a consacré 50 ans de sa vie. Et attention, l’analyse risque de vous surprendre… © Erwan Mouton / Vertige Media Les tarifs des salles d’escalade paraissent chers. C’est aussi l’une des raisons qui laisse penser que la grimpe se gentrifie. La majorité d'entre elles affichent des prix d’abonnement à l’année situés entre 400 et 600 euros . Moi, ça ne m’étonne pas. En réalité, ça confirme juste que l’escalade est un sport de riche, comme on le disait déjà il y a cinquante ans. Le coût de la distinction L’escalade en salle commerciale aujourd’hui est irrémédiablement liée à l’histoire de la discipline. Quelques bâtisseur·e·s ont offert aux grimpeur·se·s la possibilité de grimper en ville grâce à une structure artificielle de leur invention. C’est d’ailleurs cette même invention qui permettra l’organisation des compétitions dites « officielles » d’escalade. Et comme cet équipement sportif spécifique s'est avéré rentable, cela a conduit les constructeur·e·s de murs d’escalade à en ouvrir de nombreux. Ce, en dépit du prix élevé de l’immobilier et du nombre d’emplois nécessaires à son fonctionnement. La nouvelle escalade commerciale a créé une distinction. Et cette distinction coûte cher à ceux qui n’en ont pas réellement les moyens. Dit autrement, quel que soit le « standing » espéré de la salle, la rentabilité semblait acquise d’avance, puisque sur une surface grande comme deux terrains de tennis, le promoteur propose d’occuper à loisir, quarante personnes. On venait de « créer » une activité sportive autonome et fidélisante. On accueillait dans les salles une clientèle instruite, dotée financièrement, qui venait du dehors... Cette clientèle cultivée a également beaucoup de temps libre. D’où le nombre élevé d’enseignants et d’étudiants qui pratiquent ce sport. Et comme chacun sait : le temps, c'est de l’argent.  Au-delà du coût « obligé » relativement élevé pour pratiquer ce sport en salle - une entrée oscille entre 10 et 20 euros -, l’escalade devient spectaculairement chère si on ajoute le coût superflu de la distinction sociale et culturelle . Celui-ci est produit par l’imagerie de l’escalade et du/de la grimpeur·se fabriquée par les marchands. Les salles d'escalade «  cocooning » offrent toutes les commodités confortables qui semblent gratuites alors que non, bien entendu . Faites le calcul : combien vous a coûté ce cookie et ces cafés d'après ou d'avant séance ? Et je ne parle pas de la bière artisanale post-douche... Se passer de superflu apparaît être une solution pour grimper moins cher. Cependant, les concepteur·e·s des salles d’escalade n’y ont aucun intérêt puisqu’ils/elles flèchent des personnes dont la motivation et le pouvoir d’achat permettent de consommer cette grimpe commerciale et marchande. L'ère de l'escalade réinventée Qui sont ces personnes ? Beaucoup sont de jeunes personnes « connectées » avec le monde entier. J’ai l’impression, que la résine des salles privées permet aux jeunes de pratiquer une escalade « réinventée ». Aujourd’hui, il est fréquent qu’on vienne en salle d’escalade s’amuser à grimper comme on va jouer au bowling entre ami·e·s. Ou mieux, on va en salle d’escalade comme on va en salle de musculation pour cultiver son corps. Corps qu’on utilise, à la place des haltères, en se suspendant à des prises placées de telle manière qu’elles obligent à des contorsions explosives favorisant la croissance harmonieuse des muscles. J’exagère à peine. En tout cas, l’escalade en salle, ce n’est plus le pis-aller d’autrefois, un équipement pour permettre l’entraînement et la découverte de l’escalade, comme le mur n’est plus le substitut du vrai rocher absent dans les villes. C’est une activité sportive en soi qui séduit des centaines de milliers de grimpeurs·ses en France…  Il existe de multiples manières de vivre l’escalade et aucune n’est plus authentique que les autres. Elles sont seulement différentes La nouvelle escalade commerciale a créé une distinction. Et cette distinction coûte cher à ceux qui n’en ont pas réellement les moyens . Pourtant, je sais aussi que pour pratiquer l’escalade, il n’est pas nécessaire d’adopter le langage spécifique anglo-genre des branchés, de se vêtir comme les marques vous y invitent, d’acquérir tous les accessoires encombrants et sans réelle utilité qu’on nous propose… C’est donc une erreur de penser que les nouveaux grimpeurs·ses issu·e·s des classes sociales élevées s’approprient les usages, le langage, la manière d’être de la grimpe comme si auparavant ses codes appartenaient aux gens un peu rebelles d’une autre génération. Ça, c'est une sympathique image poétique d’un passé romancé. Il existe de multiples manières de vivre l’escalade et aucune n’est plus authentique que les autres. Elles sont seulement différentes. Le coût de l'addiction Mais en fin de compte, est-ce que l’escalade en salle privée est la façon la plus chère de vivre la discipline ? Posé autrement : quand on réside dans une grande ville, peut-on grimper gratuitement ou à bas prix avec le même degré de satisfaction qu’en salle commerciale ? Comme les sites naturels d’escalade sont en accès libre, on peut être tenté de penser que cela revient beaucoup moins cher de grimper dehors. Cela paraît vrai. Après tout, la grande particularité de l’escalade en salle par rapport à l’escalade de pleine nature, c’est qu’elle se pratique sur un terrain de jeu spécifiquement construit pour cela, ce qui implique un investissement coûteux au préalable. Pourtant si l’on place l’escalade en extérieur au regard des chiffres, on obtient un constat tout à fait différent. Je vous invite à calculer, comme moi ici, les frais réels produits par la passion de l’escalade. Je suis membre d’un club d’escalade dit populaire et je touche 2 100 euros par mois. Je grimpe essentiellement en extérieur, mais il me plaît d’aller de temps en temps en salle d’escalade faire du bloc ou de la voie. Comme je demeure en Essonne, je vais, comme beaucoup, à Bleau pour le bloc et, à l’occasion, en province pour pratiquer en falaises sportives situées plus ou moins loin. Que des terrains de jeu en accès libre ! Et cependant, je débourse 550 euros par an environ en essence rien que pour pratiquer le bloc de pleine nature. Comme je débourse par an autour de 800 euros pour grimper dans les falaises françaises - et je ne compte pas ma pratique d’été que je considère comme des frais de grandes vacances. De plus, il m’arrive souvent d’aller grimper en Grèce ou en Espagne, entre autres destinations à la mode qui me reviennent pour une semaine d’escalade au coût d’un an d’abonnement à un mur. Aussi, je ne compte là ni le matériel spécifique à renouveler de temps en temps, ni les chaussons d’escalade. Grosso modo, le coût total tourne à un mois de salaire par an, et cela depuis très longtemps.  Vous ai-je étonné·e ? Je suis simplement le portrait-robot de la plupart de mes amis, dont certains avancent le chiffre de 4 000 euros par an pour l’ensemble de leurs activités sportives - et toujours sans compter les cordes fournies par la trésorerie du club. Bien entendu, tous ne peuvent pas suivre les plus riches de ces clubs « populaires », mais globalement, il y a peu de petits salaires dans ces structures. Face à ce constat, affirmons-le : non, l’escalade en mur commercial, souvent de haute qualité, n'est pas si onéreuse que ça. Et ce, par rapport aux services annexes qu’elles offrent et par rapport à ce que coûte l’escalade en extérieur d’une manière égrainée. Ce dont il faut prendre conscience c’est que, comme des tas d’activités culturelles, artistiques et sportives : l’escalade est un sport qui exige, lorsqu'elle devient une passion, qu’on y consacre beaucoup de temps et des sous. Appelons ça le coût de l’addiction.

  • Ventilo en escalade : est-ce que sécher c’est tromper ? 

    Depuis la récente performance du bloqueur français Camille Coudert , le débat sur l’usage du ventilateur en escalade agite un peu plus la communauté. Triche ? Dopage technologique ? Ingéniosité pragmatique ou dévoiement de l’esprit outdoor ? Peut-être simplement l’évolution logique d’une pratique qui s’est toujours appuyée sur les outils de son temps pour progresser. Démêlons le vrai du faux et donnons-nous un peu d'air. L’escalade est une activité qui, historiquement, s’ancre dans la nature. Comme le surf, la planche à voile, le ski de pente raide ou l’alpinisme, elle se pratique en extérieur, dans des environnements instables, changeants, imprévisibles. On grimpe avec la roche que l’on trouve, par le temps qu’il fait, dans des conditions que l’on ne choisit pas. C’est cette part d’incertitude, cette confrontation directe avec l’environnement qui font la richesse (et la difficulté) de ces sports dits outdoor . Et c’est aussi ce qui les différencie de leur déclinaison indoor , où température, humidité, lumière et équipement sont sous contrôle. Contrôle de l’environnement : des airs de déjà-vus  Cela dit, aucun de ces sports ne rejette la technologie. Bien au contraire, tous se sont appuyés sur des innovations pour optimiser la performance et améliorer la sécurité : Le carbone a transformé les pagaies de kayak ou les mâts de windsurf  Les casques et dorsales sont devenus la norme en ski extrême. La wax est un passage obligé pour préparer sa planche de surf. Le Gore-tex ® et autres textiles techniques font partie des basiques en alpinisme. En escalade, les chaussons, les cordes dynamiques, les alliages de métaux pour les mousquetons sont autant de technologies intégrées depuis longtemps. Il  y a une différence fondamentale entre s’adapter aux conditions et les modifier pour les adapter à soi Alors pourquoi un ventilateur poserait-il problème ? En mai dernier, l’un des meilleurs grimpeurs de bloc français, Camille Coudert annonçait sur Instagram  avoir enchaîné un bloc nommé Mammunk (assis) en 8B+. Pour réaliser sa performance, l’athlète a utilisé un ventilateur et s’en est expliqué en commentaire. « Toute ma vie de grimpeur, j’ai mouillé. Oui, littéralement. Mes mains, deux éponges humaines… », débute-t-il avant de justifier en trois blocs de texte l’usage de la technologie. Plus bas, dans les autres commentaires, le débat fait rage. Camille Coudert a-t-il triché ? La question en appelle une autre : faut-il s’adapter aux conditions ou les contrôler ? Car c’est ici que la nuance devient intéressante. Il y a une différence fondamentale entre s’adapter aux conditions et les modifier pour les adapter à soi. Dans la logique des sports outdoor , le·la pratiquant·e s’ajuste à l’environnement. On choisit le bon moment, on optimise son échauffement, on adapte sa stratégie… mais on ne modifie pas la falaise, pas plus qu’on ne modifie le vent ou la neige. Prenons des exemples inversés pour en saisir l’absurdité : Un skieur de pente raide installerait-il un canon à neige pour garantir une poudreuse parfaite dans son couloir le jour de sa tentative ? Un surfeur poserait-il de gigantesques ventilateurs sur la plage pour recréer un vent offshore favorable et sculpter des tubes parfaits ? Dès lors qu’on rend sa pratique publique, qu’on la partage, qu’on l’élève au rang d’exemple, il devient nécessaire d’être transparent sur les conditions dans lesquelles la performance a été réalisée Ces scénarios nous paraissent ridicules. Pourquoi ? Parce qu’ils franchissent une ligne : celle de vouloir contrôler un environnement qui, par nature, ne l’est pas. Et c’est exactement ce que pose comme question l’usage du ventilateur en escalade. Repenser notre éthique de la performance Ce débat autour du ventilateur renvoie en réalité à une question plus large : celle de l’éthique en escalade.   L’éthique, ce sont les règles  du jeu – tacites ou explicites –  mais aussi les valeurs et les principes qui donnent du sens à la pratique. C’est ce qui donne de la valeur à la performance. Ce sont les limites que l’on s’impose pour que notre pratique reste crédible, comparable, partageable. C’est notamment ce qui nous amène à différencier l’escalade artificielle , l’escalade sportive , l’escalade traditionnelle (ou trad climbing ) et le speed climbing.  Cette question est d’autant plus centrale lorsque l’on est grimpeur ou grimpeuse de haut niveau, professionnel·le ou exposé·e médiatiquement. Car dès lors qu’on rend sa pratique publique, qu’on la partage, qu’on l’élève au rang d’exemple, il devient nécessaire d’être transparent sur les conditions dans lesquelles la performance a été réalisée. Ce souci de clarté est déjà présent dans d’autres disciplines. Prenons l’exemple de l’himalayisme : les performances y sont systématiquement contextualisées. A-t-on utilisé de l’oxygène pour atteindre le sommet ? L’ascension a-t-elle été réalisée en style alpin ? Était-ce une hivernale ? Et si oui, selon quels critères calendaires ? Quels équipements thermiques ont été utilisés ? Des chaufferettes, des vêtements chauffants ?` À ce titre, Denis Urubko  est souvent cité pour sa rigueur sur ces points. Pour lui, une hivernale ne se définit pas uniquement par les dates, mais aussi par la cohérence de l’engagement et les moyens utilisés. Donc sans oxygène mais aussi et surtout sans chauffages additionnels dans les vêtements. Pourquoi une telle précision ? Parce que le contexte fait partie intégrante de la performance. Et que le respect de certaines règles – même implicites – est ce qui permet aux pratiquant·es de se situer, de se comparer, de se comprendre. Revenons à l’escalade et à la performance de Camille Coudert. Utiliser un ventilateur pour s’assécher les mains ne semble pas, a priori, relever d’un acte attaquable. Après tout, on utilise déjà de la magnésie pour améliorer l’adhérence. En ce sens, le ventilateur pourrait être vu comme un simple outil d’optimisation supplémentaire. Mais la question devient plus complexe lorsqu’on oriente le ventilateur directement sur les prises. Dans ce cas, il ne s’agit plus de sécher la peau du grimpeur, mais de modifier l’état de la prise elle-même – sa température, son taux d’humidité, son adhérence. Ce n’est donc plus une adaptation du grimpeur aux conditions, mais une transformation des conditions elles-mêmes pour les aligner avec un objectif de performance. Il s’agit clairement d’enlever un paramètre de la performance à savoir être capable de produire sa meilleure escalade lorsque les conditions sont là. Et là, une ligne est franchie. Pas nécessairement une ligne rouge… mais une ligne qu’il faut questionner. Le côté obscur de la force  Chercher à neutraliser les aléas météorologiques, vouloir contrôler l’environnement plutôt que s’y adapter, c’est peut-être retirer une part essentielle de ce qui fait la richesse – et la difficulté – de l’escalade en extérieur. En effaçant les variables imprévisibles, on rend les performances plus fréquentes, plus sûres… mais aussi potentiellement moins intenses, moins singulières. En voulant fiabiliser la réussite, on risque d’appauvrir l’expérience. Supprimer cette incertitude, c’est lisser l’aventure Car une partie de ce qui fait la saveur d’une croix, c’est précisément l’incertitude. Cette part d’engagement psychologique – être capable de tout donner au bon moment, sans garantie de seconde tentative – participe pleinement de la performance. Quand les conditions favorables ne durent qu’une heure, qu’un essai, qu’une fenêtre météo, cela crée une tension particulière. Une pression douce, mais bien réelle. Et souvent, c’est elle qui transcende l’instant. Supprimer cette incertitude, c’est lisser l’aventure. Et ce n’est pas un simple détail. Alors,  on s’interroge : quid des chalumeaux  pour sécher les prises ? Des bâches  pour couvrir les blocs ? Où place-t-on la limite ? Shawn Raboutou a dû mettre en place toute une installation pour essayer le bloc Burden of Dreams en pleine tempête de neige en Finlande © capture d'écran de « Projecting "Burden of Dreams" V17 in the WORST weather ever?! » sur Youtube Et au fond, si la performance ne reposait que sur l’enchaînement physique des mouvements, pourquoi distingue-t-on encore une réalisation en tête d’un enchainement en moulinette ? Après tout, les prises ne changent pas. Si seul le mousquetonnage constitue la variable, il suffirait de grimper en moulinette tout en démousquetonnant les dégaines pour « compenser » ? Ce type de raisonnement éclaire une chose : en réduisant l’escalade à un pur exercice de force, d’endurance ou de friction, on passe à côté d’un élément fondamental. Car la performance, ce n’est pas juste ce que l’on fait. C’est aussi quand, comment et dans quelles conditions on le fait. Un équilibre subtil en somme. Faut-il préciser l’usage du ventilateur quand on annonce une croix ? Faut-il réserver son usage à la peau, pas aux prises ? Faut-il accepter qu’en extérieur aussi, la performance devienne un simple bien de consommation ? Faut-il gommer cet aspect psychologique de la performance à savoir jouer avec les conditions ? À vous de voir. À vous de décider quelles règles vous vous imposez. Mais à condition de les rendre visibles et de les assumer. Car c’est aussi cela, faire une performance : s’exposer, et accepter d’en discuter.

  • Chute mortelle à Amsterdam : la salle d'escalade condamnée pour négligence

    Le 3 novembre 2023, une fête d’anniversaire pour enfants vire à la tragédie dans la célèbre salle Klimmuur Centraal, en plein cœur d’Amsterdam. Un garçon de 11 ans fait une chute mortelle de 14 mètres. Le verdict de la justice néerlandaise , rendu il y a quelques jours, met en lumière des failles inquiétantes dans l’encadrement des jeunes grimpeurs et soulève des questions brûlantes sur les pratiques sécuritaires en salles d’escalade. © Google Street View Amsterdam, Klimmuur Centraal. Des murs bariolés, le brouhaha joyeux des enfants, l’insouciance apparente d’une après-midi festive. Le décor était familier, rassurant même. Pourtant, ce jour-là, tout s’effondre brutalement. Une cascade de négligences et c’est le drame absolu : un enfant de 11 ans chute de 14 mètres. Il succombe à ses blessures quelques heures plus tard, à l’hôpital. Au-delà de la tragédie intime d’une famille dévastée, c’est tout un système de sécurité qui se retrouve aujourd’hui sur le banc des accusés. Une sécurité approximative et une surveillance inexistante Le rapport d’enquête est sans équivoque. L’enfant grimpait en moulinette, assuré par un parent accompagnateur novice. Mais le mousqueton, reliant la corde à son harnais, avait été mal fermé. Lorsqu’il se laisse aller en arrière pour redescendre, la corde se détache brutalement, provoquant sa chute. Une négligence tragique, qu’un contrôle minimal effectué par un instructeur aurait permis d’éviter sans difficulté. Le parquet pointe une absence totale de protocoles clairs, des moniteurs sans formation spécifique à l’encadrement d’enfants novices Pourtant, la réalité révélée par l’enquête fait froid dans le dos : après une initiation expresse d’à peine trente minutes, les moniteurs abandonnent le groupe à lui-même. Les quatre parents présents, totalement inexpérimentés, doivent alors improviser seuls la sécurité d’une dizaine d’enfants grimpant jusqu’à 15 mètres de haut. Aucun encadrant professionnel à proximité immédiate, personne pour repérer cette erreur d’assurage pourtant basique. Pour le parquet néerlandais, ce manque flagrant de supervision constitue la faute déterminante. Des poursuites pour homicide involontaire Dès septembre 2024, après une longue enquête, le parquet d’Amsterdam engage des poursuites pénales contre Klimmuur Amsterdam BV et ses deux dirigeants, accusés d’homicide involontaire par négligence. Parmi les griefs, le parquet pointe une absence totale de protocoles clairs, des moniteurs sans formation spécifique à l’encadrement d’enfants novices, sollicités par ailleurs pour assurer simultanément des tâches annexes incompatibles avec une surveillance rigoureuse. Plus grave encore, le parquet a relevé l’absence d’un protocole imposant systématiquement la vérification du harnais et du mousqueton avant chaque montée. En l’absence de cette norme, l’erreur — ici, un mousqueton mal fermé — n’avait quasiment aucune chance d’être détectée. Les procureurs dénoncent notamment une comparaison stupéfiante faite par les dirigeants, qui avaient décrit l’escalade comme « pas plus dangereuse que faire du vélo sans casque », une phrase révélatrice d’un état d’esprit jugé irresponsable. « Ce n’était pas un accident » : les parents face au tribunal Lors de l’audience tenue le 26 mai 2025, les parents du jeune garçon ont livré un témoignage bouleversant. La mère a raconté comment leur vie a été irrémédiablement brisée , parlant d’une «  dévastation totale  » et d’un «  traumatisme profond  ». Elle a surtout insisté sur le fait que pour elle, la mort de son fils était tout sauf accidentelle, résultat évident d’un système de sécurité fondamentalement défaillant. Le père, de son côté, a dénoncé l’attitude de Klimmuur après le drame. La rapidité avec laquelle la salle avait repris ses activités habituelles, notamment les fêtes d’anniversaires, sans remise en cause apparente de ses méthodes, lui est apparue comme une indifférence insoutenable, un «  manque de respect évident  » à la mémoire de son fils. Une condamnation symbolique, mais sans interdiction Le 20 juin 2025, le tribunal d’Amsterdam rend son jugement : Klimmuur Amsterdam BV et ses dirigeants sont reconnus coupables d’homicide involontaire par négligence. Les deux directeurs écopent chacun de 120 heures de travaux d’intérêt général. L’entreprise reçoit une amende de 60 000 euros, dont la moitié avec sursis, assortie d’une période probatoire de deux ans. Le tribunal impose également une indemnisation d’un peu plus de 167 000 euros pour la famille de la victime. En revanche, les juges n’ont pas suivi la demande du parquet qui réclamait l’interdiction totale pour Klimmuur d’organiser des anniversaires pendant dix ans . Une décision modérée, assumée par la justice comme suffisante pour pousser la salle à repenser profondément ses pratiques sans mettre fin à l’une de ses activités commerciales principales. Un électrochoc nécessaire pour tout un secteur ? Ce verdict dépasse largement les frontières néerlandaises et résonne particulièrement en France. Récemment, lors des grèves chez Climb Up, les salariés dénonçaient précisément le fait que du personnel d’accueil, sans formation particulière, était chargé de la sécurité des enfants dans les espaces dédiés. Cette question de la qualification des encadrants avait également été soulevée dans nos échanges récents avec Alain Carrière, président de la FFME, évoquant une proposition avortée de l’Union des Salles d’Escalade (UDSE) : celle de créer un diplôme simplifié de type « BAFA escalade » , inférieur au CQP actuel, destiné à gérer spécifiquement les anniversaires et les espaces de « fun climbing ». Une idée finalement abandonnée, ne correspondant pas aux attentes des clubs, qui réclamaient au contraire une formation plus poussée. Cette affaire tragique d’Amsterdam rappelle, de manière crue, l’urgence absolue de repenser sérieusement les standards de formation et de surveillance des enfants dans les salles d’escalade. Entre impératifs commerciaux et exigences sécuritaires, c’est désormais tout un secteur qui est sommé de sortir définitivement du flou. Car si grimper rime avec plaisir et autonomie, la sécurité, elle, ne peut jamais être laissée au hasard.

  • Jesse Grupper et l’inhalateur interdit : grimper propre ou grimper pur ?

    Quand la quête du « style » grimpe au cerveau des athlètes, au risque de leur couper le souffle. Analyse haletante. Dans la communauté grimpante, il y a des débats dont personne ne parle. Comme ces cordes fixes oubliées sur les falaises, ces traits de magnésie invisibles, ou encore cette polémique sur les genouillères , accessoires anodins aux yeux du profane mais dont les initiés savent très bien qu’ils vous font gagner un demi-degré en douceur. Pourtant, récemment, c’est un objet encore plus insolite qui a mis le feu aux poudres : un inhalateur, celui-là même qui vous évite d’étouffer entre deux prises. L’homme derrière la controverse ? Jesse Grupper, grimpeur américain aux bras aussi longs que son CV, lourd : deux victoires en Coupe du Monde en 2022, qualifié aux Jeux Olympiques de Paris 2024, et capable de flasher des voies cotées 8c+. Un sportif aguerri, subtil, et habituellement raisonnable, mais qui a choisi ce jour-là de flirter dangereusement avec l’absurde. De l’éthique et de l’asthme : l’art de respirer à moitié Flashback . Octobre 2023. Jesse Grupper tente un exploit quasi mystique : flasher Life of Villains  (5.14d / 9a) au cœur de la grotte du Hurricave, dans l’Utah. Il enchaîne impeccablement, arrive tout près du relais, mais chute à deux mouvements de la quille. Pourquoi ? Parce que Jesse a décidé, en conscience, de se priver de son inhalateur, préférant risquer l’asphyxie plutôt que de compromettre la pureté de son ascension. Dit comme ça, c’est vrai que ça sonne moins héroïque. Mais c’est justement là tout le paradoxe : la quête de pureté est-elle plus importante que la santé ? Grimper à vue, proprement, est-il supérieur à grimper sainement ? Jesse, lui, a répondu par la négative après coup, mais seulement après avoir testé les limites de son système respiratoire avec une légèreté qui confine à la poésie absurde. Soyons honnêtes : l’éthique, en escalade, est un serpent qui se mord régulièrement la queue. Une prise taillée, c’est péché mortel. Une genouillère, c’est toléré avec une petite grimace. Une perche pour clipper, ça passe tant que personne ne regarde. Quant aux pads empilés comme un mille-feuilles sous un highball , c’est autorisé, mais gare à celui qui en abuserait trop ouvertement. Tout cela fait partie d’une savoureuse hypocrisie que chacun cultive selon son goût du risque et son rapport personnel au masochisme. Mais Jesse Grupper a poussé le vice plus loin : il n’est pas question d’une assistance matérielle discutable, mais d’un simple traitement médical. Comme s’il existait une version radicalement pure de l’être humain, débarrassée de ses fragilités, libre de toute béquille respiratoire ou pharmacologique. Or, dans un sport où la limite physique et mentale est recherchée, explorée, caressée avec fascination, comment ignorer la réalité du corps ? «  On devrait simplement dire clairement comment on a grimpé, avec quels artifices, quelles méthodes. C’est ça la vraie honnêteté  » Alexander Megos Pour comprendre ce dilemme, il faut se souvenir que le style, en escalade, n’est pas une simple coquetterie : c’est un manifeste personnel. Patrick Edlinger grimpait en solo intégral torse nu. Lynn Hill libérait le Nose d’El Capitan sans artifice. Dave Graham poussait la précision gestuelle jusqu’à l’obsession. Chaque génération redéfinit les frontières entre pureté et efficacité, tradition et modernité, ascèse et plaisir. Aujourd’hui, les frontières se brouillent davantage : crash pads XXL, magnésie liquide ultra-collante, genouillères adhésives comme des ventouses de poulpe, et maintenant même le petit inhalateur de poche devient un objet de suspicion. Jesse Grupper nous rappelle simplement une vérité inconfortable : le style, c’est avant tout une affaire de valeurs personnelles. La vraie liberté, c’est de choisir son poison Alexander Megos, grimpeur allemand emblématique et défenseur de l’éthique pointilleuse, avoue pourtant sans complexe : « On devrait simplement dire clairement comment on a grimpé, avec quels artifices, quelles méthodes. C’est ça la vraie honnêteté ». Adam Ondra, pragmatique, considère lui que chaque époque redéfinit les normes : les genouillères d’aujourd’hui sont simplement les chaussons ultra-adhérents d’hier. D’autres voix encore rappellent que refuser un traitement médical n’a rien à voir avec le purisme, mais tout à voir avec une forme d’orgueil déplacé. La morale de l’histoire ? Peut-être simplement qu’il n’y en a pas. Que l’éthique, au fond, est avant tout une affaire intime. Jesse Grupper aura au moins eu le mérite d’ouvrir le débat et de rappeler cette vérité inconfortable : l’escalade est aussi une guerre intérieure entre le grimpeur idéal que l’on voudrait être et le grimpeur réel que l’on est, avec ses forces, ses faiblesses et ses inhalateurs. On retiendra aussi que l’escalade ne se résume jamais à une cotation ou à un relais clippé : c’est une discipline philosophique et poétique, faite de compromis, d’élégance, et parfois de contradictions. L’essentiel reste finalement de grimper, de respirer (si possible), et surtout d’être honnête avec soi-même. Alors, à l’avenir, Jesse prendra probablement une bouffée d’air supplémentaire avant de partir dans le dur. Et personne ne lui en voudra vraiment, car il aura eu la sagesse d’admettre une évidence : dans la vie, comme sur le rocher, il n’y a pas de plus belle éthique que celle qui respecte simplement l’être humain derrière le grimpeur. C’est peut-être ça, la vraie pureté. Celle de ne pas sacrifier le souffle au nom d’un style trop abstrait.

  • Walltopia et le bouleau russe : un scandale qui nous rattrape

    On n’avait rien demandé. Nous, tout ce qu’on voulait, c’était grimper tranquillement, s’oublier quelques heures en enchaînant des mouvements improbables sur des volumes aux couleurs pastel – loin des crises mondiales, des embargos et des tensions géopolitiques. Sauf que la géopolitique, elle, ne nous oublie jamais vraiment. Et quand on pensait toucher du doigt la liberté, on se retrouve malgré nous à caresser du bois potentiellement « made in Russia », subtilement blanchi par quelques intermédiaires turcs ou chinois experts en camouflage administratif. Ce n’est pas le scénario d’un mauvais film d’espionnage, mais bien l’affaire très réelle révélée par l’enquête coup-de-poing d’Earthsight , qui plonge Walltopia, le numéro un mondial des murs d’escalade, dans un silence gênant – et nous tous avec. À mi-chemin entre la gêne et l'incrédulité. Entre responsabilité industrielle, naïveté collective et crise de conscience grimpeuse, aussi. Bref, bienvenue dans cette drôle d’époque où même l’évasion verticale devient politique. Quand un géant fait feu de tout bois ONG britannique à la réputation d’enquêtrice méthodique, Earthsight a publié un rapport au titre glaçant, «  Blood-stained Birch  » . L’organisation y révèle qu’en dépit des sanctions européennes interdisant l’importation du bois russe depuis l’invasion de l’Ukraine, le marché du contreplaqué de bouleau russe n’a jamais été aussi fringuant – simplement un peu plus discret . À coup d’arrangements dignes des romans de John le Carré, ce matériau précieux continue de circuler, se faisant passer pour du bouleau turc ou chinois avec une facilité troublante. Dans ce micmac géopolitique, Earthsight pointe explicitement Walltopia, géant bulgare des salles d’escalade qui équipe une grande partie des installations européennes et nord-américaines. Selon le rapport , Walltopia aurait déplacé ses achats vers des fournisseurs très suspects , notamment la société turque SAABR Global Wood, explicitement citée dans des documents internes du géant russe du contreplaqué Sveza comme spécialiste du « blanchiment » de bois russe interdit, et Linyi Camel Plywood en Chine, dont les responsables auraient reconnu sans embarras aux enquêteurs infiltrés qu’ils transformaient du contreplaqué russe en produit certifié chinois d’un simple coup de tampon. Le mécanisme, détaillé avec précision par Earthsight, est aussi efficace que cynique : le bouleau russe sanctionné devient ainsi miraculeusement légal, franchissant les douanes européennes sans même ralentir le pas , grâce à une chaîne complexe d’intermédiaires ( Earthsight, section 3 ). Walltopia, volontairement ou non, ferait partie des bénéficiaires réguliers de ce tour de passe-passe commercial dont la moralité laisse pour le moins perplexe. Le silence très bavard de Walltopia Évidemment, l’entreprise bulgare pourrait avoir mille raisons valables pour expliquer cette situation embarrassante : fournisseur trop peu scrupuleux, certificats falsifiés par des intermédiaires, ou tout simplement ignorance réelle des filières obscures de ses partenaires commerciaux. Mais alors, pourquoi ce silence quasi obstiné ?  Depuis les révélations d’Earthsight, Walltopia semble s’être calfeutrée dans une stratégie du « pas vu, pas pris », refusant systématiquement de s’exprimer sur ces accusations pourtant étayées par des documents internes compromettants. Le paradoxe est aussi gênant que réel : aucun grimpeur n’a signé pour devenir complice passif d’une guerre tragique, menée à plusieurs milliers de kilomètres de sa salle préférée. Ce mutisme intrigue, d’autant que même le média économique bulgare Capital.bg  s’est cassé les dents sur le refus catégorique de Walltopia de commenter l’affaire. Une telle attitude ne fait que nourrir les spéculations, renforçant cette idée aussi simpliste qu’efficace : qui ne dit mot consent.  Or, dans un secteur où les grandes salles d’escalade européennes affichent fièrement leurs engagements environnementaux, sociaux et éthiques, ce silence devient assourdissant – et surtout très risqué à long terme pour l'image de la marque bulgare. © Walltopia Le contreplaqué : matière noble ou boîte de Pandore ? Technique, solide, léger et surtout stable, le bouleau multiplis est depuis toujours le matériau phare des murs d’escalade indoor . C’est un peu la « matière miracle », le secret technique qui fait que vos prises tiennent en place sans que les murs ne pèsent trois tonnes . Avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, plus de la moitié du contreplaqué européen venait directement des forêts sibériennes et biélorusses ( voir contexte Earthsight ). Mais l’embargo décidé par Bruxelles a brusquement fermé ces approvisionnements massifs, provoquant un chaos industriel sans précédent : pénuries en chaîne, prix multipliés par trois ou quatre, et une recherche frénétique de solutions alternatives, parfois moins regardantes sur les étiquettes. Aujourd’hui, d’après les estimations prudentes mais alarmantes d’Earthsight, environ 20 % du contreplaqué de bouleau vendu en Europe proviendrait encore illégalement de Russie, via des circuits détournés en Turquie ou en Chine ( voir chiffres clés Earthsight ). Les grimpeurs sont-ils complices malgré eux ? Le paradoxe est aussi gênant que réel : aucun grimpeur n’a signé pour devenir complice passif d’une guerre tragique, menée à plusieurs milliers de kilomètres de sa salle préférée . Pourtant, chaque fois que l’on pose la main sur une prise fixée sur un mur Walltopia construit après 2022, la question de la complicité involontaire se pose cruellement. Car derrière l’insouciance apparente du grimpeur-consommateur se cache désormais la complexité morale d’un marché globalisé où les sanctions, les frontières et les consciences éthiques s’entremêlent dangereusement. Pour les grimpeurs cette histoire agit comme un révélateur : derrière le divertissement vertical se cache désormais une exigence éthique nouvelle, incontournable, et finalement bienvenue Les salles d’escalade elles-mêmes sont prises au dépourvu par ce genre de dilemmes : elles se fient généralement aveuglément aux garanties offertes par leurs fournisseurs, préférant ne pas trop creuser, au risque de déranger leur confort économique et marketing. Mais voilà : à force d’éviter les questions difficiles, elles risquent de voir leur image de marque s’effriter silencieusement . Et il viendra un moment où les grimpeurs – cette génération habituée à questionner la provenance de son café, de ses baskets ou de son smartphone – exigeront des réponses claires, précises, presque douloureuses dans leur transparence : «  Dis-moi, tu sais d’où vient exactement ton bois ?  » Un malaise inévitable, mais nécessaire. Une occasion en or (et du boulot) pour grandir Finalement, cette affaire gênante pourrait paradoxalement offrir une chance rare : celle d’une remise à plat radicale des pratiques d’approvisionnement dans l’industrie de l’escalade indoor . Pour Walltopia, c’est peut-être le moment ou jamais de briser son silence embarrassé, de faire preuve d’une transparence audacieuse et, pourquoi pas, de repenser profondément ses chaînes d’approvisionnement . Ce serait un message fort, un signal puissant envoyé à toute l’industrie pour indiquer qu’une autre voie, plus responsable et plus digne, existe vraiment. Du côté des salles d’escalade, la balle est désormais clairement dans leur camp : elles ont l’opportunité de monter en exigence, de réclamer des garanties solides et vérifiables, quitte à bousculer un peu leurs fournisseurs historiques . Elles pourraient ainsi transformer un embarras latent en avantage compétitif, jouant enfin franc-jeu avec leurs clients et leur éthique revendiquée. Enfin, pour les grimpeurs eux-mêmes, souvent tentés de croire qu’ils peuvent s’abstraire du monde une fois entrés dans leur salle favorite, cette histoire agit comme un révélateur : derrière le divertissement vertical se cache désormais une exigence éthique nouvelle, incontournable, et finalement bienvenue . Parce que grimper, au fond, c’est affronter ce qui nous dérange ou nous inquiète, c’est se confronter à l’inconfort pour mieux grandir. Cette crise du bouleau russe, aussi déplaisante soit-elle, pourrait bien être la voie inconfortable mais indispensable à ouvrir pour l’avenir d’un sport qui mérite mieux qu’une frêle innocence.

  • Qui est responsable des falaises d’escalade ?

    Falaises fermées, grimpeurs inquiets. Après qu'un accident a entraîné la condamnation de la FFME à 1,6 million d'euros, le déconventionnement des sites d'escalade a bouleversé le paysage de la grimpe française. Alors depuis que la fédération s’est retirée, quel avenir se dessine concernant la responsabilité des sites naturels d’escalade ? Une avocate spécialisée montre la voie. © Guillaume Guémas Maïté Cano, avocate en droit public et grimpeuse chevronnée depuis plus de 25 ans, a développé une expertise juridique pointue sur les questions d'accès aux sites naturels et notamment des sites d'escalade.  Vertige Media : On parle de déconventionnement des falaises depuis plusieurs années. De quoi s’agit-il ? Maïté Cano :  Le déconventionnement, c'est la fin d'un système qui fonctionnait depuis des décennies. Auparavant, la Fédération Française de la Montagne et de l'Escalade (FFME), et également la FFCAM ( Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne, ndlr ), signaient des conventions avec les propriétaires de falaises - qu'ils soient privés ou publics - comme les communes, par exemple. Ces conventions permettaient à la FFME d'équiper et d'entretenir les sites d'escalade, mais surtout, elles transféraient la responsabilité juridique des propriétaires vers la fédération en cas d'accident . En 2020, la FFME a annoncé qu'elle allait mettre fin à environ 650 de ces conventions. C'est ce qu'on appelle le « déconventionnement ». Vertige Media : Qu'est-ce qui a déclenché cette décision ? Maïté Cano :  Tout part d'un accident survenu en 2010 sur le site d'escalade de Vingrau ( situé dans les Pyrénées-Orientales, ndlr ). Un guide de haute montagne et sa compagne grimpaient ensemble quand un énorme bloc de rocher - 1,40 mètre de haut sur 1 mètre de large - s'est détaché de la paroi . Lui a chuté et sa compagne a été gravement blessée au bras droit. Ils ont ensuite poursuivi la FFME, considérant qu'elle était responsable en tant que gestionnaire du site. « Cette situation menaçait directement l'accès à des centaines de sites d'escalade en France, avec des répercussions potentielles sur le tourisme sportif dans certaines régions où l'escalade représente une activité économique importante » Maité Cano Ce qui a tout changé, c'est la décision de la Cour d'appel de Toulouse en 2019. Les juges ont estimé que la FFME était responsable car elle avait « la garde de la chose » - comprendre : de la falaise - au moment de l'accident. La fédération a ainsi été condamnée à indemniser les victimes à hauteur de 1.620.000 d’euros. C'est cette condamnation, sans précédent, qui a poussé la FFME et son assureur à mettre fin au système de conventionnement. Vertige Media :  « La garde de la chose » est justement un concept juridique qui semble central dans cette affaire. Pouvez-vous nous l'expliquer ? Maïté Cano :  En droit français, il existe un régime de responsabilité appelé « responsabilité du fait des choses », inscrit dans le code civil. Il dit en substance que vous êtes responsable non seulement des dommages que vous causez directement, mais aussi de ceux causés par les choses que vous avez « sous votre garde ». Pour illustrer simplement : si une tuile tombe de votre toit et blesse un passant, vous êtes responsable en tant que propriétaire de la maison, même si vous n'avez commis aucune faute. C'est ce qu'on appelle une responsabilité « sans faute » ou « objective ». Dans le cas de Vingrau, la cour a considéré que la FFME avait « la garde » de la falaise par le biais de la convention d'usage, et donc que sa responsabilité était engagée automatiquement lorsque le rocher s'est détaché. Vertige Media : Concrètement, quelles ont été les conséquences de ce déconventionnement pour les grimpeurs ? Maïté Cano :  Passé le choc de l’annonce, cela a généré beaucoup d’inquiétudes et d’interrogations, tant de la part des grimpeurs que des propriétaires privés et publics. On a assisté à la fermeture ou à des annonces de fermeture de certains sites, parfois de manière temporaire parce que les propriétaires voulaient connaître l’état des falaises avant d’autoriser la pratique. Il y a eu beaucoup d’articles sur le sujet. Cette situation menaçait directement l'accès à des centaines de sites d'escalade en France, avec des répercussions potentielles sur le tourisme sportif dans certaines régions où l'escalade représente une activité économique importante. Vertige Media : Face à cette situation, comment les pouvoirs publics ont-ils réagi ? Maïté Cano :  Après une forte mobilisation des collectivités territoriales et des acteurs du milieu de l'escalade, le législateur est intervenu avec le vote de la loi 3DS (Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification) en février 2022. Cette loi a introduit un nouvel article dans le code du sport qui dispose que « le gardien de l'espace naturel dans lequel s'exerce un sport de nature n'est pas responsable des dommages causés à un pratiquant [...] lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d'un risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée ». « Lorsqu'un grimpeur se rend en falaise, il accepte une part des risques inhérents à cette activité. Le propriétaire ou gestionnaire du site n'est donc plus automatiquement responsable d’un accident mettant en jeu la falaise » Maïté Cano Vertige Media : Le cas de l'accident mortel du viaduc de Vineuil et le jugement qui vient disculper la commune posent-ils une nouvelle jurisprudence en la matière ? Maïté Cano :   Le jugement rendu par le Tribunal administratif d'Orléans porte sur des faits spécifiques: il s'agit d'un accident mortel sur un viaduc et sur une partie où l'escalade était interdite. Le juge retient que l'accident est dû à l'imprudence de la victime qui n'a pas respecté l'interdiction de pratiquer l’escalade, interdiction qui était affichée. Cette décision n'est pas surprenante au regard de la jurisprudence rendue par exemple en matière d'accidents lorsque des personnes escaladent des fontaines ou des murs d'enceinte, ou plus largement des ouvrages publics. Cela dit, elle n'est, en l'état, pas transposable aux accidents qui peuvent se produire en site naturel. La jurisprudence administrative actuelle ne prévoit pas de décision qualifiant un site d'escalade en ouvrage public.  Maïté Cano Vertige Media : Qu'est-ce que cette loi change pour les grimpeurs et les propriétaires de falaises ? Maïté Cano :  C'est une avancée majeure car elle réintroduit la notion « d'acceptation du risque » par le pratiquant, qui avait été écartée par la jurisprudence. Concrètement, cela signifie que lorsqu'un grimpeur se rend en falaise, il accepte une part des risques inhérents à cette activité. Le propriétaire ou gestionnaire du site n'est donc plus automatiquement responsable d’un accident mettant en jeu la falaise . Les juges doivent désormais tenir compte du caractère « normal et raisonnablement prévisible » du risque en escalade et en tenant compte du lieu dans lequel l’activité est pratiquée. Il faut également rappeler que tous les accidents en falaise ne sont pas causés par des chutes de pierre, mais également par des erreurs des pratiquants (assurage, erreurs de sécurité, etc.)   Vertige Media : Comment définit-on ce « risque normal et raisonnablement prévisible » ? Ça semble assez subjectif... Maïté Cano :  Cette notion n'est pas précisément définie dans la loi, et c'est aux juges qu'il reviendra de l'interpréter au cas par cas. Une réponse ministérielle de janvier 2022 donne quelques indications : l'appréciation tiendra compte du comportement des pratiquants, de   l'aménagement ou non du site, des installations et de la signalétique mise en place. Cela permet de responsabiliser aussi les usagers qui auraient des pratiques dangereuses. À ce jour, aucune décision de justice n'a encore été rendue sur le fondement de ce nouveau texte. Nous sommes donc dans une période d'incertitude juridique où la jurisprudence va progressivement clarifier cette notion. Vertige Media : Dans ce contexte incertain, comment s'organise aujourd'hui la gestion des sites d'escalade ? Maïté Cano :  On assiste à l'émergence de nouveaux modèles de gestion plus collaboratifs. Plusieurs départements, comme l'Isère et la Drôme, ont déjà acté de modèles de gestion des sites d'escalade sur leur territoire . D’autres départements sont en train d’y travailler . Ces nouvelles approches reposent sur un partage de responsabilité entre différents acteurs : collectivités territoriales, associations locales, clubs d'escalade, et parfois même des entreprises privées . L'idée est de ne plus faire reposer toute la responsabilité sur un seul acteur, comme c'était le cas avec la FFME. Certains départements inscrivent également les sites d'escalade dans leur Plan Départemental des Espaces, Sites et Itinéraires (PDESI), ce qui facilite leur gestion. « Signaler aux gestionnaires du site tout problème constaté sur les équipements ou la falaise elle-même est un acte citoyen qui contribue à la sécurité collective » Maïté Cano Vertige Media : Quels conseils donneriez-vous à un·e grimpeur·se concernant sa responsabilité personnelle lorsque l’il/elle pratique en falaise ? Maïté Cano :  Je conseillerais d'abord de se tenir informé du statut des sites où l'on grimpe : sont-ils conventionnés, gérés par une collectivité, ou dans une zone où l'accès est toléré mais non officiellement encadré… Ensuite, il faut adopter une pratique responsable : acheter les topos, vérifier son matériel et porter un casque, respecter ses limites techniques, et être conscient que l'escalade en milieu naturel comporte des risques inhérents que l'on accepte en pratiquant. Il est conseillé de souscrire une assurance adaptée, comme celle proposée avec la licence FFME ou FFCAM, qui couvre non seulement les accidents dont on pourrait être victime, mais aussi la responsabilité civile si l'on cause un dommage à autrui. Enfin, signaler aux gestionnaires du site tout problème constaté sur les équipements ou la falaise elle-même est un acte citoyen qui contribue à la sécurité collective. Vertige Media : Comment voyez-vous l'avenir de l'accès aux sites naturels d'escalade en France ? Maïté Cano :  Je reste optimiste malgré les difficultés. La loi 3DS a apporté un premier cadre juridique plus équilibré, et les initiatives locales montrent que des solutions émergent. L'enjeu est considérable : l'escalade connaît un essor sans précédent, notamment depuis son entrée aux Jeux olympiques, et plus largement, tous les sports de nature attirent de plus en plus de pratiquants. De fait, les collectivités locales ont un rôle à jouer et on peut constater que beaucoup prennent ce rôle avec intérêt afin de créer un modèle de gestion plus territorialisée. La responsabilité sera davantage partagée entre tous les acteurs, y compris les pratiquants eux-mêmes.  Ce qui est certain, c'est que la préservation de l'accès aux sites naturels d'escalade nécessite une prise de conscience collective des enjeux juridiques, environnementaux et sportifs. C'est un équilibre délicat à trouver, mais essentiel pour l'avenir de notre pratique et plus largement pour la pratique des sports de nature.

  • Rando Bivouac dans les Alpes : deux femmes prennent la tangente (et vous y emmènent)

    Dans un paysage éditorial saturé de guides formatés, Rando Bivouac dans les Alpes détonne par son mélange rafraîchissant de poésie pratique et d’audace tranquille. Aux manettes, deux femmes décidées à secouer les habitudes : Clara Ferrand à l’écriture, Clémence Polge aux crayons. Résultat ? Un livre qu’on prête volontiers... et qu’on ne revoit jamais. © Vertige Media Dormir dehors a toujours été plus qu’une simple affaire de duvet ou de sardines bien plantées. C’est avant tout un état d’esprit, une invitation permanente à lâcher prise , à s’autoriser des micro-aventures loin des contraintes d’un quotidien trop sagement cadré. Mais pour franchir le pas sans encombres, encore faut-il savoir comment s’y prendre. Clara Ferrand et Clémence Polge, rencontrées pour l’occasion, nous livrent justement avec leur guide une méthode lumineuse et élégamment décalée pour que bivouaquer devienne (presque) un jeu d'enfant. Les coulisses d’une aventure à quatre mains À la base du projet, il y a Clara Ferrand, randonneuse expérimentée, habituée à bivouaquer aux quatre coins des Alpes. L’idée d'un livre germe longtemps dans son esprit avant de rencontrer des imprévus éditoriaux , comme elle nous l’a confié : « J’avais commencé avec une autre maison d’édition mais arrêté parce que c’était un moment compliqué. Puis Glénat est arrivé pile au bon moment avec exactement le projet dont je rêvais ». Parfois, l’alignement des planètes n’est donc pas qu’une expression galvaudée. Clara sait dès le départ qu’elle souhaite travailler avec une illustratrice, et son choix se porte naturellement sur Clémence Polge, avec qui elle échange depuis quelques années. Clémence, elle-même auteure d’un livre sur la vie en van , se souvient précisément de leur rencontre : « On se suivait sur les réseaux, Clara est venue à une de mes dédicaces à Paris, et puis tout s’est accéléré quand on a organisé un week-end improvisé en Camargue avec une autre amie. Là, le courant est passé immédiatement ». Dessiner pour éviter les galères Quand Clémence, ancienne architecte et illustratrice voyageuse, reçoit la liste très précise des éléments techniques à illustrer, elle jubile. Avec son trait précis et élégant, elle se charge de transformer des détails en apparence insignifiants en véritables clés pratiques . « Clara m’a envoyé tout ce qu’elle voulait expliquer de façon claire : planter une tente, réparer un arceau, répartir le poids du sac pour éviter de se faire mal au dos... C’était exactement mon truc, structurer visuellement ces explications ». Le résultat donne au guide une lisibilité limpide qui fait mouche immédiatement. Une méthode rigoureuse qui apporte au guide sa lisibilité limpide. « La force des choses fait que ce livre parlera particulièrement aux femmes, même si je ne voulais pas spécialement en faire un ouvrage féministe au sens revendicatif » En échangeant avec Clara, on comprend pourtant que l'aventure du bivouac réserve toujours quelques imprévus qui, eux, n’ont pas forcément trouvé leur place dans le livre. Elle nous raconte en riant : « Les galères les plus mémorables, bizarrement, n’étaient pas dans les Alpes mais plutôt en Norvège ou en Écosse. Et puis il y a eu ce renard particulièrement tenace qui m’a attaquée en solo dans le Mercantour ! ». On aurait volontiers lu ce chapitre bonus, mais l'anecdote reste finalement un plaisir réservé à ceux qui ont la chance d’échanger avec Clara elle-même. Féministe sans le vouloir vraiment ? Quand on interroge Clara sur le caractère féminin de son livre, elle répond en souriant : « La force des choses fait que ce livre parlera particulièrement aux femmes, même si je ne voulais pas spécialement en faire un ouvrage féministe au sens revendicatif ». Et pourtant, la démarche est évidente : autour d’elle, Clara a réuni exclusivement des femmes, de l’éditrice à l’illustratrice en passant par la correctrice – « ma voisine, une ancienne prof de français ». Une équipe 100 % féminine pour un résultat où la clarté du propos se double d'une invitation implicite aux femmes à franchir le pas. De son côté, Clémence, particulièrement émue au moment de recevoir le livre fini, ajoute avec sincérité : « Quand je l’ai reçu ce matin, j’ai versé ma petite larme. Pas seulement parce que je l’ai illustré, mais parce que nos deux noms étaient associés à ce projet qui tenait vraiment à cœur à Clara ». Le livre que vous ne reverrez jamais (et c’est tant mieux) Ce qui frappe enfin avec Rando Bivouac dans les Alpes , c’est cette manière unique d’être à la fois très précis techniquement et incroyablement stimulant . Le bouquin est tellement agréable à parcourir qu’on le prête volontiers, certain de faire plaisir. Mais ne vous faites aucune illusion, vous ne le reverrez pas. Croyez-en l’expérience de votre serviteur, à qui une amie ne l’a jamais rendu. Un rapt éditorial qui vaut toutes les critiques littéraires du monde. Clara Ferrand et Clémence Polge ont réussi un petit miracle : créer un guide intelligent et pratique, tout en incitant subtilement les lecteurs à oser l’aventure. Preuve qu’en littérature comme en bivouac, prendre la tangente est toujours une bonne idée. Disponible en libraire ou juste ici .

  • Éline Le Menestrel : en vert et contre tout

    À 27 ans, Éline Le Menestrel incarne une nouvelle génération de grimpeurs.ses : celle qui rend l'incommensurable non seulement possible mais aussi désirable. À grands coups de pédale, l’athlète et activiste écologiste fait brûler ses engagements et son intarissable soif d’apprendre en mettant dans sa roue tous les sujets inflammables du moment : environnement, féminisme, héritage familial et vertige existentiel. Portrait d’une jeune fille en feu. © Chris Eyre-Walker « Ma vie, c’est vraiment le bazar en ce momen t ». On aurait presque du mal à y croire tant la phrase est lâchée avec flegme. Quand Éline Le Menestrel la prononce, elle s’apprête à croquer dans un mezzé d’un restaurant syrien à Bruxelles. Le visage barré par une trace de paillettes dorées sous les yeux, elle finit sa bouchée, s’essuie les doigts avec un bout de serviette et se rappelle que « c’est quand même vachement bon ici ! ». Éline Le Menestrel est de cette trempe. De ces gens qui vous annoncent des trucs pas possibles avec un tel relâchement que vous ne savez pas vraiment s’ils vous disent la vérité. Ou s’ils ont simplement appris à faire tenir ensemble le chaos apparent et une forme bien à eux de lucidité. Chez elle, le désordre ne ressemble jamais tout à fait à une perte de repères. Plutôt à une manière souple d’habiter les virages. Elle avance à sa façon, entre intuition, éclats de rire et détours assumés. La tête dans le guidon Et pourtant, la grimpeuse est bel et bien dans la sauce. Le bazar ? Ses révisions de fin de première année de master en Sciences et Gestion de l’Environnement. La bûcheuse est en retard, elle en parle d’ailleurs beaucoup sur son compte Instagram  : « Dois-je réviser ou aller grimper ?  », demande-t-elle à sa communauté. Une question rhétorique, car en réalité, la slasheuse a toujours fait ce qui lui plaisait. « Je n’ai jamais réfléchi en termes de débouchés dans mes choix d'études, pose-t-elle avec un léger accent belge. Je réfléchis en fonction de ce que j’aime faire de mes journées  ». Et d’un jour à l’autre, Éline Le Menestrel aime faire beaucoup de choses. Si elle se définit comme « grimpeuse professionnelle et activiste écologiste  », la jeune femme de 27 ans est aussi étudiante, conférencière, cycliste et comédienne… Entre un taboulé à la menthe et de l’houmous, elle pointe son pote Pablo, assis à table avec nous. Le jeune Bruxellois aime aussi se lancer des défis. Un beau jour, il a décidé de rentrer d’un voyage-grimpe en Norvège à vélo. Alors pour le soutenir, et parce qu’elle en avait envie ce jour-là, Éline Le Menestrel est allée le chercher en Allemagne pour le ramener à Bruxelles. 500 km avalés en 38h. «  On a dû dormir trois heures », lancent-ils en chœur. Depuis quelques années, la grimpeuse a souvent la tête dans le guidon. Si bien qu’elle est devenue « la meuf qui part grimper à vélo ». En 2023, elle a créé « Upossible » avec son ex. Financé par son sponsor Salewa et pas mal d’apports personnels, ce projet part du principe qu’aller grimper à bicyclette est à la fois possible et désirable . Le couple débarque alors à Bruxelles, Vienne, au Luxembourg, à Naples et pédale pendant trois ou quatre jours. À la fin, ils proposent un spectacle pour raconter le monde qu’ils veulent faire exister. « U, c’est pour utopie et possible pour se le réapproprier  », éclaire la fondatrice de l’initiative. Un film retraçant le projet Upossible d'Éline Le Menestrel en 2023. « Aller grimper à vélo, ce n’est pas juste pour réduire notre impact carbone individuel. C’est pour changer le monde dans la mesure où on en fait exister un autre qui n’a pas besoin de cette dépendance capitaliste. Quand tu pédales à 15 km/h, tu ne fais pas que penser l’environnement, tu le vois défiler. Tu le vis dans ton corps » © Chris Eyre-Walker Associé à un autre mouvement dans lequel elle est aussi très impliquée - EcoPoint (qui est un dérivé du mot anglais RedPoint signifiant “ enchaîner une voie ”, ndlr) - « Upossible » donne à la grimpeuse la conviction qu’il faut continuer à pédaler. « Le mouvement EcoPoint est aussi une manière de redéfinir la performance en escalade sur le rocher, indique-t-elle. Désormais elle ne compte que si, et seulement si, on y est allé de manière écologique » . Derrière les deux projets, se déroule tout l’arsenal de pensée écolo d’Éline Le Menestrel. Un corpus qu’elle apprend, étudie et interroge tous les jours. « Premièrement, il y a les faits : le transport c’est 70% de l’impact carbone moyen d’un grimpeur, plaque-t-elle. Ensuite, il y a la philosophie : on se tape des kilomètres à vélo pour faire exister le monde dans lequel on veut vivre. Et ce monde, on ne veut pas qu’il dépende des énergies fossiles. Aller grimper à vélo, ce n’est pas juste pour réduire notre impact carbone individuel. C’est pour changer le monde dans la mesure où on en fait exister un autre qui n’a pas besoin de cette dépendance capitaliste. Quand tu pédales à 15 km/h, tu ne fais pas que penser l’environnement, tu le vois défiler. Tu le vis dans ton corps. L’Eco-Point, c’est ce qu’on appelle un levier écologique  ». Une affaire de famille Il est 17h. La pause-dej qu’Eline Le Menestrel vient de s’accorder le jour de sa compétition doit prendre fin. Elle s’est qualifiée pour la finale, et avec Pablo, ils doivent rempiler. Bras-dessus, bras-dessous, les deux coéquipiers se redirigent vers l’église Saint-Antoine de Padoue, dans le quartier de Forest. C’est dans une église du XVe siècle que Maniak, un réseau de salles d’escalades privées belge, organise les festivités. Sous l’immense nef, se dressent des murs de plus de 15 mètres de haut. En désacralisant une partie des lieux, les nouveaux propriétaires peuvent faire profiter d’une grimpe vénérable à la crème du monde de l’escalade belge. Après avoir claqué deux bises, Éline part s’échauffer sur les tapis. La jeune grimpeuse s’assure puis monte une voie qui reproduit les ouvertures extérieures de ce qu’on appelle les « Big Wall », ces ascensions en falaises qui peuvent nécessiter plusieurs jours, du fait de leur hauteur et de leur difficulté. En redescendant, elle regarde ses mains qu’elle vient de fourrer dans une fissure artificielle et souffle : « Je suis clairement meilleure en extérieur qu’en indoor  ». « J’ai des choses à prouver. J’ai quand même un sacré besoin de reconnaissance. C’est mon plus grand défaut, je crois  » Éline Le Menestrel fait partie de la poignée d’athlètes dans le monde qui ont réalisé les plus grands exploits sur le rocher. Parmi eux, Mingus une voie de 300 mètres dans le Verdon qu'elle a réalisée en style « Eco Point » . « En termes de niveau, je culmine à 8b+, détaille la Franco-Belge. Les filles au top font du 9b+ donc je ne suis pas au sommet. Mais je pense que j’apporte quelque chose à l’escalade avec toute ma réflexion sur l’écologie  ». Avant d’ajouter : « J’ai des choses à prouver. J’ai quand même un sacré besoin de reconnaissance. C’est mon plus grand défaut, je crois  ». © Guillaume Broust Éline Le Menestrel est née à Melun, en 1998. À trois semaines, elle passait déjà ses journées en forêt, à Fontainebleau. Ses premiers pas, elle les a quasiment faits sur les blocs du spot le plus légendaire du monde. Il faut dire qu’elle n’a pas trop eu le choix. Son père, Marc, et son oncle, Antoine , sont des légendes de l’escalade libre. Son grand-père répétait aussi de grandes voies mythiques dans les Dolomites . « Bref, l’escalade, c’était obligatoire. Tous les weekends, on allait grimper. Si tu n’avais pas envie, tu y allais quand même  », raconte-t-elle. « Non seulement il fallait qu’on grimpe mais on n'avait pas le droit de faire de compétition. Il fallait rester dehors, dans la nature  ». L’exigence flirte parfois avec l’intransigeance. Les Menestrel s’installent à Barcelone pendant dix-huit ans puis Éline file à Marseille, dans « ce quart sud-est de la France incroyable où on est entourés des parois parmi les plus belles du monde  ». L’installation en Belgique pour une grimpeuse peut sembler étrange. Le « plat pays » offre peu de reliefs à part quelques spots ici et là. Et puis Bruxelles, c’est la ville. Mais ici, Éline Le Menestrel y trouve une mixité, un vivre-ensemble et une ouverture sur les sujets de genre, « beaucoup plus avancés qu’en France  ». Si elle est là, c’est aussi pour se rapprocher de sa mère, Belge de nationalité. « Elle a été centrale dans mon parcours, confie la fille. Mon père est très connu dans le milieu, c’est sûrement une des personnes les plus intelligentes que je connaisse mais il aime beaucoup la lumière. Ma mère m’a appris à sortir de moi pour apporter quelque chose au monde » . Quand tout excitée, elle lui parle pour la première fois, du projet Upossible, Éline se prend d’abord une énorme veste. « Elle m’a dit : “Ouais, mais ce projet tu le fais pas pour l’écologie, tu le fais pour toi. C’est comme ces gens qui courent un marathon pour eux et qui greffent une cause à leur exploit personnel. C’est hypocrite” ». Alors la jeune grimpeuse réfléchit, réoriente son action en essayant de la collectiviser. Vertige existentiel dans les Dolomites « J’ai porté mon choix sur Salewa parce que c’est une entreprise familiale. Tu n’as pas de gros actionnaires qui font pression derrière  », explique-t-elle. Pour prendre sa décision, à 22 ans, Éline Le Menestrel part dans les Dolomites, en Italie, accompagnée par sa mère qui a 35 ans d’expérience pro dans le secteur de l’écologie. Une fois au siège, elle mitraille la famille des fondateurs : Comment marche votre innovation ? Quelles sont vos intentions ? Vers où vous voulez aller ? « J'ai vraiment eu besoin d'avoir le sentiment que les dirigeants cherchent un modèle de business différent ». Après son « audit », la fille demande à la mère ce qu’elle en pense et finit par accepter. Pour autant, la grimpeuse pro n’est pas dupe. « Je sais qu’un sponsor utilise mon image pour faire du business. Mais je les utilise aussi pour faire passer mes idées  ». Aujourd’hui, certains des projets que signent Éline Le Menestrel en tant qu’activiste sont financés par Salewa. « Chez moi tout est confondu, mon activisme fait partie de mon activité de grimpeuse pro. Il est écrit dans mon contrat qu'une partie de mon travail d'athlète, c'est d'aller poser des questions qui dérangent » . © Emile Pino Malgré l’assise de son éducation, l’héritage familial pèse souvent et conduit la jeune femme à penser qu’elle a des choses à prouver. Comme en 2020, alors qu’elle entame sa première année d'athlète professionnelle sous contrat. À 22 ans, Éline Le Menestrel part dans les Dolomites faire une voie que son grand-père a lui-même répété au même âge : la mythique Hasse-Brandler. «  En faisant ça, je voulais raconter l’histoire de notre famille, retrace-t-elle. Je devais la faire avec mon père sauf qu’à cause du Covid, il est resté bloqué à Singapour ». Livrée à elle-même avec le désir d'impressionner et de faire « un truc stylé pour mon sponsor  », la grimpeuse part avec une amie dans Le Poisson, une voie extrêmement engagée de La Marmolada. Et commence par faire une erreur qui lui sera fatale. L’accident est terrible. Éline Le Menestrel se casse le poignet, un os du pied et se fracasse la cheville en 30 morceaux. Une grave commotion cérébrale l’oblige à rester un mois dans le noir de sa chambre, sans lire, sans écran, sans podcast et sans le droit de parler à quelqu’un plus de cinq minutes. À l’issue de trois opérations, le meilleur chirurgien de Bruxelles lui annonce qu’il ne sait pas si elle remarchera un jour. «  Pleine d’éco-anxiété et de questionnements, je découvre l’activisme en groupe. C’est à partir de ce moment-là que je découvre la force du collectif et que je réalise à quel point agir fait du bien. Cet accident a été la clé, il a profondément changé qui je suis. » Le droit des montagnes, Camille Étienne et les carbo-capitalistes « Cet accident aurait dû m’éteindre, il a tout rallumé », lâche Éline, désormais assise en tailleur dans le calme d’une salle annexe à la nef. Des mois de kiné, des heures de musculation et un gros mental l’aident à surmonter l’épreuve. C’est aussi à ce moment-là que des Italiennes la contactent pour le projet des droits des montagnes d’Europe. Baptisé « United Mountains of Europe » , il s’agit de faire évoluer la loi en dotant les montagnes d’une personnalité juridique. La jeune éclopée y voit une proposition philosophique, juridique, culturelle et sociétale qu’elle portera jusqu’au Parlement européen. «  Pleine d’éco-anxiété et de questionnements, je découvre l’activisme en groupe. C’est à partir de ce moment-là que je découvre la force du collectif et que je réalise à quel point agir fait du bien. C’est à ce moment-là que je décide de faire de l’escalade mon métier et que ce métier doit apporter quelque chose au monde. Cet accident a été la clé, il a profondément changé qui je suis ». Aujourd’hui, à 27 ans, la soif d’apprentissage d’Éline Le Menestrel semble intarissable. Au-delà du corpus académique de son master qui lui fait passer du Bruno Latour ou du Baptiste Morizot entre les mains, l’étudiante lit et écoute Salomé Saqué, Camille Étienne... « En ce moment, je suis en pleine réflexion sur l’opposition entre changement institutionnel et actions individuelles, glisse-t-elle. Je suis en train de me rendre compte que je n’ai pas assez dit que le changement à l’échelle individuelle est un outil au service du statu quo. C’est une manière de dépolitiser les questions écologiques . Pendant trop longtemps, on a rejeté la faute sur les individus à nous faire croire qu’être écolo, c’est recycler et prendre son vélo. Ça a juste permis à l’élite des carbo-capitalistes de continuer à extraire du pétrole, à vendre des armes et à détruire la planète. Désormais, j’ai envie de pointer du doigt les coupables ainsi que les mécanismes de pouvoir qu’ils utilisent pour nous faire culpabiliser ». Et si finalement l’escalade était un prétexte pour Éline Le Menestrel ? Pour elle, c’est d’abord un métier, une passion et un ancrage dans une communauté. « C’est aussi ce qui me relie à ma famille, la nature et aux territoires qui m’ont forgée, poursuit-elle. C’est un noyau, mais c’est vrai que c’est surtout un moyen de faire passer des idées et un message politique », répond-elle. Lequel ? « Je me bats pour qu’on ait tous le droit, le temps et les moyens pour passer durablement davantage de temps dehors ».

  • Para-escalade à Innsbruck : deux jours pour bousculer les pronostics

    C’est parti aujourd’hui même (23 juin 2025) à Innsbruck pour deux jours d’une Coupe du monde de para-escalade particulièrement attendue. Première compétition depuis l’annonce officielle des catégories paralympiques pour Los Angeles 2028, l’étape autrichienne promet d'être électrique. Entre favoris intouchables et jeunes ambitieux, c’est tout un monde qui joue sa saison sur les murs du Tyrol. Gare aux secousses ! Marina DIAS © Lena Drapella/IFSC Innsbruck, ville de montagnes élégantes et de pâtisseries trop sucrées, accueille dès aujourd'hui un événement qu’elle connaît bien : la Coupe du monde de para-escalade. Sauf que cette année, l’atmosphère est un peu différente, plus piquante que le strudel local. Depuis l'annonce des catégories paralympiques pour LA 2028 , certains grimpeurs marchent sur des œufs, quand d’autres marchent carrément sur l’eau. Entre promesses de médailles et rêves contrariés, les murs autrichiens vont servir autant de révélateur que de théâtre aux ambitions. Classification : le « bac philo » de la para-escalade La compétition n’a même pas commencé que les enjeux ont déjà été redistribués ce week-end. Avant de s’élancer sur la résine colorée, les grimpeurs sont passés par la case « classification ». Un rendez-vous médical minutieux, qui peut à lui seul transformer une médaille d’or annoncée en simple aventure de milieu de tableau. Certains s'y préparent comme au bac philo, en espérant éviter la mauvaise surprise. Petit topo, sans migraine : les catégories en bref B (visuel)  : De l’obscurité totale (B1) à la semi-pénombre (B3), avec des guides vocaux qui connaissent chaque prise par cœur. AL/AU (amputés)  : Déficiences variées aux jambes ou aux bras, classées par niveau de mobilité et d’équilibre. RP (puissance et mobilité réduite)  : Catégorie ultra-diverse, où les ouvreurs doivent jongler habilement avec les difficultés pour offrir à chacun sa chance sans avantager personne. Un vrai jeu d’équilibriste. 240 athlètes, autant d’histoires Ils sont 240 venus de 27 pays à débarquer sur Innsbruck, formant une sorte de festival du film sportif grandeur nature. Les USA (39 athlètes) débarquent façon Marvel, l’Allemagne suit avec rigueur (34 athlètes), et les Britanniques assurent une présence distinguée mais solide (22 athlètes). Parmi eux, 118 grimpeurs engagés dans les catégories désormais officiellement paralympiques pour LA 2028. AL/AU : les favoris tout-terrain Chez les AL1, l’Autrichien Angelino Zeller affiche un palmarès aussi plat qu’une autoroute : droit devant et sans détour. Son éternel rival Markus Pösendorfer rêve secrètement de lui compliquer la tâche devant son public. Pavitra Vandenhoven (Belgique), quant à elle, aime bien bousculer les certitudes, même en compétition mixte. En AL2, Lucie Jarrige (France) collectionne les victoires avec la régularité d’une abonnée Netflix : elle ne rate aucun épisode depuis 2021. Chez les hommes, Thierry Delarue (France) adopte la même stratégie : gagner d’abord, réfléchir après. Efficace. En AU2, c’est ambiance Game of Thrones chez les hommes : Kevin Bartke (Allemagne), Brian Zarzuela (USA) et Isak Ripman (Norvège) se disputent le trône sans merci. Côté femmes, Solenne Piret (France) et Lucia Capovilla (Italie) nous rejouent un duel franco-italien façon cinéma vintage. AU3 pourrait réserver quelques surprises avec Rosalie Schaupert (Allemagne), grimpeuse précoce qui collectionne les médailles, et Dominic Geisseler (Suisse) prêt à saisir sa chance en l’absence du champion du monde israélien Mor Michael Sapir. RP : l’imprévisibilité au sommet En RP1, Aloïs Pottier (France) règne avec sérénité mais Kim Rishaug (Norvège) et Korbinian Franck (Allemagne) ne se déplacent jamais pour une seconde place. Chez les femmes, la rivalité made in USA entre Hannah Zook et Melissa Ruiz promet d'être piquante. En RP2, Jasmin Plank (Autriche) voudra absolument briller à domicile. Mais Chiara Cavina (Italie) et la très jeune Matoi Futahashi (Japon, 17 ans) pourraient rapidement calmer ses ardeurs. Manikandan Kumar (Inde) et Brayden Butler (USA) tenteront, eux, d’écrire leur propre histoire chez les hommes. En RP3, Tadashi Takano (Japon) vise une série de victoires digne d’une série Netflix à succès. Mais Camille Caulier (Belgique) et Jamie Barendrecht (Pays-Bas) aimeraient bien lui spoiler le scénario. Chez les femmes, Nat Vorel (USA), Marina Dias (Brésil) et Christiane Luttikhuizen (Pays-Bas) incarnent parfaitement l'esprit combatif et varié de la discipline. Catégories visuelles : avec ou sans lumières, le show continue Sho Aita (B1, Japon) est tellement dominant qu’il en devient presque intimidant. Son adversaire espagnol Francisco Aguilar Amoedo rêve de lui jouer un mauvais tour, mais ce rêve commence à durer. Nadia Bredice est elle aussi habituée aux triomphes en B1 féminin. En B2, Fumiya Hamanoue (Japon) devra surveiller Razvan Nedu (Roumanie) tandis que chez les femmes, Linda Le Bon tentera de confirmer son statut de favorite. En B3, Linn Poston (USA) vise le trois sur trois en Coupe du monde, alors que Cosmin Florin Candoi (Roumanie) cherche à prolonger une invincibilité digne des plus grands. Ouvreurs : les auteurs invisibles de l’histoire Maragda Gabarre, Aaron Davis et Nohl Haeckel sont aux commandes des voies et des scénarios verticaux. Eux seuls connaissent la fin de l’histoire avant même que la compétition ne commence. Dans la para-escalade, plus encore qu’ailleurs, leur rôle est crucial pour garantir équité et spectacle. Comment ne rien rater du spectacle ? Qualifications  : Aujourd’hui (23 juin), de 9h à 15h30 Finales  : Demain (24 juin), de 16h30 à 21h, en direct sur la chaîne YouTube IFSC À Innsbruck, entre sommets enneigés et grimpe en salle, c’est un autre versant du sport de haut niveau qui s’écrit. Moins médiatisé peut-être, mais tellement plus riche en récits humains, ambitions affichées et combats intérieurs. La compétition démarre aujourd’hui. Attachez vos chaussons, ça va secouer.

  • Coupe du monde d’escalade IFSC 2025 à Cracovie : programme, horaires, streaming et prize money

    Les 5 et 6 juillet 2025, après l'étape d’ Innsbruck , la Coupe du monde IFSC fait escale à Cracovie (Pologne) pour une compétition entièrement dédiée à la vitesse. Cet événement aura lieu sur la célèbre place centrale, le Rynek Główny, garantissant un spectacle exceptionnel au cœur historique de la ville. Voici comment suivre l'événement depuis la France : horaires, streaming, programme précis et détails sur le prize money. © Lena Drapella / IFSC Où regarder Cracovie 2025 en direct ? YouTube IFSC : gratuit mais restreint en France Comme chaque étape, les demi-finales et finales seront diffusées gratuitement sur la chaîne YouTube officielle de l’IFSC . Cependant, les finales seront bloquées en France et en Europe à cause des droits TV exclusifs détenus par Warner Bros Discovery. Discovery+ et Eurosport : diffusion officielle en France Discovery+ et Eurosport détiennent les droits exclusifs jusqu’en 2028 pour la France et l’Europe . Un abonnement est nécessaire pour suivre en direct les finales. Olympic Channel : replays gratuits dès le lendemain Les replays des finales seront disponibles gratuitement dès le lendemain sur Olympic Channel , sans contrainte d’abonnement ou de restriction géographique. Résultats live sur le site officiel IFSC Les qualifications ne seront pas diffusées en vidéo mais vous pourrez suivre les résultats en temps réel sur le site officiel de l’IFSC . © Lena Drapella / IFSC Programme complet (heure française UTC+2) (heure française UTC+2, même fuseau horaire que Cracovie) Samedi 5 juillet – Qualifications vitesse 12h00 :  Qualifications vitesse femmes puis hommes (résultats live uniquement) Dimanche 6 juillet – Finales vitesse 12h00 :  Finales vitesse femmes et hommes (en direct Discovery+, YouTube hors restrictions) Prize money : répartition des gains Cette étape de Cracovie est classée « Basic » par l’IFSC, voici la répartition des gains pour les finalistes : 🥇 1er : 3 690 € 🥈 2e : 2 460 € 🥉 3e : 1 722 € 4e : 1 230 € 5e : 984 € 6e : 861 € 7e : 738 € 8e : 615 € Suivre Cracovie 2025 sur les réseaux sociaux Pour vivre pleinement l’événement, retrouvez coulisses, résultats et contenus exclusifs sur les réseaux sociaux officiels de l’IFSC : Instagram IFSC Twitter/X IFSC Facebook IFSC En résumé : tout ce qu’il faut savoir sur Innsbruck 2025 Dates : 5 et 6 juillet 2025, à Cracovie (Pologne), discipline vitesse uniquement. Compétition en plein cœur de la ville, sur le célèbre Grand Square. Diffusion officielle en France sur Discovery+ et Eurosport (abonnement requis). Finales bloquées sur YouTube en France, replays gratuits dès le lendemain sur Olympic Channel. Prize money Basic : jusqu’à 3 690 € pour les vainqueurs. Résultats en direct sur https://ifsc.results.info . Début juillet, Cracovie offre aux athlètes et au public un spectacle sportif unique au cœur d'un décor historique d'exception. Retrouvez le calendrier complet IFSC 2025 ici.

  • Kangchenjunga : sommet interdit, crise existentielle de l’alpinisme

    À l’heure où les montagnes semblent n’être plus qu’un décor pour la course à la performance, la demande du Sikkim d’interdire définitivement l’ascension du Kangchenjunga pose un débat vertigineux : jusqu’où peut-on gravir sans perdre l’âme d’un lieu ? Pourquoi gravissons-nous les montagnes ? Par défi sportif, pour repousser nos limites ou par simple vanité ? Le Kangchenjunga, troisième sommet mondial à 8 586 mètres, cristallise aujourd’hui ces interrogations profondes, au cœur d’un bras de fer entre conquête alpine et spiritualité ancestrale. Une tension accentuée par une demande radicale : rendre cette montagne définitivement inaccessible. Un conflit au sommet, entre diplomatie et sacré À cheval entre le Sikkim indien et le Népal, le Kangchenjunga cristallise un conflit inédit : le chef du gouvernement du Sikkim, Prem Singh Tamang, exige une interdiction totale d’ascension , invoquant une violation des croyances locales et des lois indiennes protégeant les lieux sacrés . Le sommet indien est déjà fermé depuis 2000, mais les voies népalaises restent ouvertes, accueillant chaque année des dizaines d’alpinistes venus défier cette cime réputée technique. L’indignation a culminé ce printemps 2025 lorsque des grimpeurs indiens, passant par le Népal, ont fièrement diffusé leur exploit sur les réseaux sociaux , ignorant les appels répétés à respecter le caractère sacré de la montagne. Tamang estime que gravir le Kangchenjunga revient à « profaner une montagne habitée par les dieux » , notamment le légendaire Dzo-nga, protecteur des lieux selon les croyances tibétaines locales. Pourtant, cette controverse diplomatique dépasse largement la question politique  : elle soulève un débat existentiel pour l’alpinisme moderne. Jusqu’où peut-on repousser les limites sans compromettre ce que certains considèrent comme l’âme même d’un lieu ? La leçon oubliée de 1955 : renoncer pour préserver Cette question n’est pas nouvelle. En 1955 déjà, lors de la première ascension du Kangchenjunga, les alpinistes britanniques Joe Brown et George Band avaient volontairement fait demi-tour à quelques mètres du sommet, respectant ainsi une demande explicite des autorités locales. Cet acte fondateur marquait une rare reconnaissance du sacré dans l’alpinisme de conquête . Depuis, rares sont les expéditions ayant suivi cet exemple. Face à l’industrialisation croissante des sommets himalayens, où les performances sportives l’emportent souvent sur toute autre considération, cette leçon d’humilité semble aujourd’hui oubliée . Mais elle rappelle une possibilité radicale : celle de choisir volontairement de préserver un sommet inviolé, par respect profond et sincère envers les peuples et les lieux. Kailash et Gangkhar Puensum : ces montagnes qui disent non Ce choix radical de la préservation n’est pas unique au Kangchenjunga. Vertige Media l’a rappelé récemment à propos du mont Kailash (6 638 mètres) au Tibet , montagne sacrée pour quatre grandes religions asiatiques. Le mont Kailash n’a jamais été gravi, malgré des tentations historiques, notamment celle de Reinhold Messner dans les années 1980, qui déclara sobrement : « Si nous conquérons cette montagne, nous conquérons quelque chose dans l’âme des gens » . Le Kailash représente donc un symbole puissant, un rappel que certaines montagnes gagnent à rester intactes, préservant leur dimension symbolique et spirituelle par une interdiction tacite, acceptée universellement. Même radicalité au Bhoutan, où le Gangkhar Puensum (7 570 mètres)  demeure le plus haut sommet vierge du monde . Depuis 2003, le pays interdit strictement toute ascension au-delà de 6 000 mètres , préférant préserver l’intégrité culturelle et environnementale de ses montagnes sacrées plutôt que de céder à la pression touristique. Ces montagnes intactes illustrent parfaitement l’idée selon laquelle préserver certains sommets peut devenir une décision éthique forte, allant bien au-delà d’une simple interdiction administrative. C’est un geste volontaire de résistance face à la marchandisation du sacré. Everest : la contre-leçon d’une montagne profanée À l’inverse de ces sanctuaires préservés, l’Everest (8 849 mètres) illustre tristement les conséquences d’une absence totale de limites . Avec 403 permis délivrés en 2024, la plus haute montagne du monde est devenue le théâtre d’une véritable saturation touristique, au point que même la Cour suprême népalaise a récemment demandé une limitation urgente des permis d’ascension . Entre déchets accumulés, embouteillages mortels et conflits humains, l’Everest est devenu l’exemple parfait de ce qui arrive lorsqu’un sommet sacré perd toute sa dimension symbolique pour devenir un simple trophée à collectionner. La controverse du Kangchenjunga ne concerne pas seulement un sommet. Elle pointe du doigt le vide existentiel d'un alpinisme devenu parfois trop mécanique, trop avide de conquêtes à inscrire sur un CV sportif. Préserver certains sommets comme le Kailash ou le Gangkhar Puensum ne relève pas seulement du respect du sacré ou des croyances locales : c’est une façon puissante d’affirmer que certaines hauteurs doivent rester hors d’atteinte, précisément pour préserver leur essence . Peut-être que l'alpinisme a désormais besoin, plus que jamais, de sommets qui lui restent inaccessibles—non pas par impossibilité technique, mais par choix assumé, comme un rappel permanent que la vraie grandeur peut résider dans l'acte volontaire de ne pas conquérir.

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