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- À Bali, l’IFSC joue son va-tout
Organiser une Coupe du Monde d’escalade sur l’île des surfeurs, après trois éditions urbaines à Jakarta, il fallait oser. Du 2 au 4 mai 2025, la grimpe mondiale installe son mur officiel sur la presqu’île de Nusa Dua. Derrière le décor paradisiaque, une question se pose : peut-on vraiment rester olympique sans perdre son âme ? © Lena Drapella/IFSC Après trois éditions bien huilées à Jakarta, entre gratte-ciels et gradins climatisés, l’IFSC tente le changement radical en déplaçant son étape indonésienne à Bali . Un décor idyllique, certes, mais cette délocalisation vers la petite péninsule touristique de Nusa Dua n’a rien d’une simple promenade . C’est un test grandeur nature pour une discipline olympique tiraillée entre ses racines outdoor et son statut de sport spectacle. Ce qui ressemble à une parenthèse cool pourrait bien définir l’avenir de l’escalade compétitive mondiale. Le mur de Jakarta au bord de l’océan Indien Ce mur de compétition planté face à l’océan n’est pas neuf. Il arrive tout droit de Jakarta, démonté pièce par pièce après les éditions précédentes, puis reconstruit sur place dans des conditions logistiques délicates. Pour assurer sa stabilité face aux vents marins capricieux, 82 tonnes de contrepoids sont nécessaires . Ce détail logistique dit tout de la situation : malgré les apparences d’une compétition improvisée sur une plage paradisiaque, l’IFSC reste obsédée par la précision millimétrique, l’ingénierie rigoureuse, loin de l’esprit bohème que pourrait laisser croire le décor balinais. Avec près de 420 000 euros investis par le gouvernement, l’événement est devenu une affaire d’État. L’installation face aux vagues semble être une répétition générale avant les JO de Los Angeles en 2028, où le mur olympique s’élèvera sur Palm Beach . À Bali, l’IFSC teste grandeur nature son modèle olympique « détendu », mais toujours millimétré. La localisation de l'évènement sur l'île de Bali Bali, ou l’art subtil du soft power sportif Ce choix balinais ne doit rien au hasard. L’Indonésie, galvanisée par la médaille d’or olympique décrochée à Paris par Veddriq Leonardo , affiche désormais clairement ses ambitions sur la scène internationale. Avec près de 7 milliards de rupiah (environ 420 000 euros) investis par le gouvernement , l’événement est devenu une affaire d’État. Le gouverneur de Bali, I Wayan Koster, mobilise les autorités locales, des centaines de bénévoles sont au travail, et Yenny Wahid, récemment nommée vice-présidente de l’IFSC pour l’Asie, orchestre subtilement ce tournant diplomatique et sportif. En choisissant Bali, île emblématique mais fragile, l’IFSC se met volontairement dans une position inconfortable : célébrer une discipline ancrée dans la nature, tout en contribuant potentiellement à sa dégradation. En clair, l’Indonésie entend prouver que le pays est désormais incontournable dans le monde de l’escalade , capable d’organiser aussi bien une compétition ultra-professionnelle qu’un événement international populaire dans un lieu iconique mondialement reconnu. Pour Desak Made Rita Kusuma Dewi, grimpeuse balinaise médaillée mondiale et qualifiée aux Jeux Olympiques de Paris , cette Coupe du Monde est bien plus qu’une étape dans le calendrier de cette saison . C’est la toute première fois que cette star locale va pouvoir grimper devant son public, chez elle, à Bali . Un moment fort attendu par les fans indonésiens, et une belle opportunité pour l'île de célébrer celle qui l’a fait rayonner sur la scène internationale. Les organisateurs ont fait le choix d’une entrée libre et d’un camping gratuit sur place. Objectif affiché : casser l’image élitiste des compétitions internationales . Derrière cette apparente générosité se cache une stratégie : prouver que l’escalade peut rester populaire, accessible et communautaire , même quand elle atteint les sommets olympiques. C’est aussi un message clair envoyé par l’IFSC avant Los Angeles 2028, où l’escalade se tiendra dans une atmosphère similaire, à quelques mètres des vagues de Palm Beach. Le plan de l'installation du mur de la Coupe du Monde à Bali © IFSC L’IFSC face à l’océan (et à elle-même) Difficile d’éviter le sujet : organiser une compétition mondiale dans un lieu déjà victime de tourisme de masse ne va pas sans poser problème. En choisissant Bali, île emblématique mais fragile, l’IFSC se met volontairement dans une position inconfortable : célébrer une discipline ancrée dans la nature, tout en contribuant potentiellement à sa dégradation . Ce paradoxe n’est ni innocent, ni accidentel. Il reflète parfaitement le dilemme actuel d’une escalade devenue olympique : comment poursuivre sa croissance internationale tout en respectant ses propres valeurs écologiques ? À Bali, l’écologie n’est pas un simple décor, c’est le révélateur des contradictions profondes auxquelles la fédération va devoir faire face. Du 2 au 4 mai 2025, à Bali, l’IFSC teste plus qu’un décor exotique pour sa Coupe du Monde. À l’image de Briançon , réputée pour son ambiance authentique au pied des montagnes, Nusa Dua propose une autre expérience d’escalade outdoor : face à l’océan, les pieds dans le sable, dans une atmosphère de festival sportif ouvert à toues et tous. Ce choix balinais ne marque pas une rupture totale, mais plutôt une nouvelle tentative pour conjuguer olympisme et authenticité , professionnalisme et convivialité. Un test grandeur nature qui pourrait bien influencer directement les prochaines destinations choisies par l’IFSC pour les saisons à venir, en privilégiant des cadres toujours plus spectaculaires.
- Para-escalade : la FFME ouvre officiellement la voie aux ouvreurs spécialisés
Si, dans le petit monde de l’escalade, les ouvreurs sont les héros invisibles de chaque compétition, en para-escalade, leur rôle devient plus pointu encore : ouvrir, c’est anticiper précisément les mouvements selon des critères techniques mais aussi physiologiques précis . Face à la multiplication rapide des compétitions para, il devenait donc urgent que la FFME formalise enfin les choses. Voilà qui est fait : la fédération lance officiellement sa première formation nationale spécialement dédiée aux ouvreurs de compétitions para-escalade, programmée du 2 au 4 septembre 2025 à la CIME, à Troyes, en collaboration avec le club Dévers Troyes. © Lena Drapella/IFSC Pourquoi une formation spécifique ? Ouvrir en para-escalade ne s’improvise pas : chaque handicap présente des spécificités que l’ouvreur doit connaître parfaitement, en tenant compte des classifications internationales. Jusqu’ici, malgré la bonne volonté évidente, l’ouverture en para-escalade relevait souvent d’une démarche intuitive, parfois approximative . La fédération souhaite désormais offrir une approche structurée et homogène pour mieux accompagner les clubs organisateurs sur tout le territoire. En clair, l’objectif est d’améliorer la qualité générale des compétitions, et de garantir une équité sportive réelle pour tous les athlètes . Un métier exigeant et technique Cette première formation nationale sera encadrée par Christophe Cazin et Yoris Delahaye , deux ouvreurs de référence au niveau international. Durant trois journées intensives, ils transmettront leur expérience en se concentrant sur l’aspect technique spécifique à l’ouverture en para-escalade : positionnement précis des prises, adaptation aux différentes capacités physiques des athlètes, maîtrise des contraintes liées aux divers handicaps, mais aussi réflexion sur le caractère engageant et stimulant des voies proposées. Une formation qui anticipe l’avenir Même si l’objectif premier reste territorial et national, difficile de ne pas voir plus loin. Alors que la para-escalade va intégrer officiellement le programme des Jeux Paralympiques de Los Angeles en 2028 , former dès aujourd’hui des ouvreurs spécialisés est une étape logique pour anticiper une éventuelle professionnalisation à plus large échelle . Sans afficher ouvertement cet horizon paralympique, la FFME place tout de même ses pions de manière pragmatique, préparant ainsi le terrain pour une reconnaissance internationale future de l’expertise française dans ce domaine précis. Maintenant que la voie est ouverte, reste à voir qui voudra s’y engager. Infos pratiques et inscription La formation est ouverte à 12 candidats répondant aux critères suivants : Être âgé de 18 ans minimum , Détenir une licence FFME en cours de validité , Être titulaire du Brevet Officiel d’Ouvreur niveau 1 , avec formation continue à jour. Les inscriptions se font ici et se clôturent le 11 juillet 2025 .
- Caroline Ciavaldini et James Pearson lâchent The North Face pour coacher chez La Sportiva
Oubliez les communiqués de presse tièdes : chez James Pearson et Caroline Ciavaldini , la fidélité aux sponsors ne rime pas avec mariage à vie. Après près de 20 ans de collab’ avec The North Face, le duo franco-britannique tourne la page pour endosser une nouvelle casquette (à peine pompeuse) de « Coordinateurs du Climbing Team » chez La Sportiva , leur autre sponsor historique. Changement de décor, mais pas de convictions. © Vertige Media « De toute façon, on allait finir par se faire jarter » Pourquoi quitter l’un des plus gros sponsors de l’escalade mondiale ? Parce que parfois, l’histoire d’amour devient moins romantique quand les idéaux divergent. James assume : « C'était une décision très dure, mais à un moment c'était évident que ça ne marchait plus. On ne peut pas ramer à contre-courant de soi-même. » Caro tranche encore plus net : « Moi, j’étais bien au courant qu'à un moment, on allait se faire jarter. Le romantisme, ça va deux minutes ! » En cause : l’évolution des valeurs personnelles du couple, désormais parents, écolos assumés et adeptes de voyages sans kérosène. Caro n’y va pas par quatre chemins : « On a changé, on a vachement changé. Il y a huit ans, on prenait 50 avions par an pour nos aventures, aujourd’hui on essaie vraiment de ne plus en prendre. Mais les seules grosses expés qu’on propose désormais, c’est d’aller en train à l’autre bout du monde. Et ça, ça coûte vraiment cher. » Visiblement trop cher, ou trop contraignant, pour un géant comme The North Face. Caroline Ciavaldini © Vertige Media Chez La Sportiva, une aventure familiale (et à échelle humaine) La Sportiva, marque italienne née en 1928 au pied des Dolomites , leur a ouvert grand les bras pile au bon moment, avec une proposition sur-mesure : accompagner les athlètes de la marque au quotidien . Le timing idéal, le choix évident. « Ils nous ont proposé exactement ce qu'on voulait faire. On allait pas refuser, ils ne vont pas nous proposer ça tous les ans », souligne Caroline. Pour La Sportiva, l’arrivée du duo est stratégique : « James et Caroline vont apporter une contribution précieuse à la compréhension des besoins des athlètes », détaille Fabio Parisi, Sports Marketing Manager. Un rôle pensé pour accompagner les grimpeurs dans leur carrière, sur le rocher comme dans les coulisses médiatiques. Traduire la grimpe pro pour la nouvelle génération Leur mission ? Devenir un pont entre les grimpeurs et l’industrie . « On est presque des traducteurs entre les athlètes et la marque. Ce sont deux mondes un peu différents, qui veulent aller dans le même sens mais qui ne parlent pas toujours la même langue », explique James. Avec leur expérience accumulée depuis vingt ans de voyages, de compètes et de galères de sponsoring, le duo entend surtout éviter aux jeunes athlètes de trébucher là où eux-mêmes ont parfois ramé. « Notre objectif, c’est d'aider les jeunes, de leur donner une possibilité d'être grimpeurs professionnels. Pour nous, ça a été la meilleure chose dans nos vies. » James Pearson © Vertige Media « Athlète professionnel, ça sert à rien » ? Mais le plus intéressant est peut-être dans la manière dont James et Caroline envisagent désormais leur rôle. Ils le font sans illusions ni fausse modestie, questionnant ouvertement la pertinence même du métier d’athlète pro : « Finalement, un athlète professionnel, ça sert à rien », lâche Caroline, provocante mais lucide. « On vit dans une société qui encourage des individus à être extrêmement égoïstes. Je ne suis pas sûre d’avoir envie d’éduquer mes enfants avec ça comme valeur centrale. » En filigrane, une évolution vers plus de transmission, d’humilité et de prise de recul sur leur métier , même si James nuance : « Bien sûr, c'est génial d'inspirer les gens, mais tu dois te demander à quoi tu sers vraiment. » Fin d’un monde, début d’un autre Derrière l’annonce d’un simple changement de sponsor, c’est donc une petite révolution tranquille qui s’opère . Celle d’une grimpe pro capable de se remettre en question, d’un sponsoring moins obsédé par les croix extrêmes et davantage centré sur l’humain. Avec James et Caro comme « coordinateurs », La Sportiva fait le pari de miser autant sur la tête que sur les bras. Et si leur bilan carbone a drastiquement diminué, leur impact sur la grimpe pro, lui, pourrait bien augmenter. À condition que les jeunes athlètes écoutent attentivement leurs conseils… et prennent le train plutôt que l’avion.
- Monter une salle d'escalade en 2025 : les coulisses d'Unibloc
Dans un marché de l'escalade en pleine expansion, deux amis d'enfance ont décidé d’ouvrir une salle de bloc dans leur ville natale à Carcassonne : Unibloc . Trois semaines après l'ouverture, ils font un premier bilan - calmement - du projet qui les essore autant qu’il les épanouit. Alors, ça veut dire quoi aujourd'hui monter une salle d'escalade privée en France ? Réponses en plein shift. Robin Leduc et David Monnot, les deux fondateurs d'Unibloc © Robin Leduc Vertige Media : Vous avez ouvert il y a trois semaines. Comment ça va ? Robin Leduc : On est rétamés parce qu'on bosse en flux tendu depuis des mois. J’ai dû prendre trois jours de pause en quatre mois. C’est la configuration propre à notre lancement qui fait ça, parce qu’on a décidé d'enchaîner les travaux avec l’ouverture. Après, on est très contents du résultat. On sent que ça prend, qu'il y a un truc qui se passe. Vertige Media : C’est-à-dire ? Robin Leduc : À la base, pour qu'on tourne, il fallait qu'on soit sur un équilibre autour de 20 000 euros de chiffre d'affaires mensuel . Là, on n'a pas encore fini le mois, et on est déjà à 36 000 euros. C'est très encourageant. Au tout départ, on a eu pas mal d'abonnements. Et depuis une dizaine de jours, ce sont beaucoup d'entrées à la journée. Par exemple, lors d'une journée portes ouvertes, on a eu 600 personnes. Vertige Media : Qui sont vos principaux clients ? Robin Leduc : Depuis le début des vacances ( l’interview a été réalisée pendant les vacances de Pâques, ndlr ), c'est beaucoup d'enfants qui viennent découvrir. À Carcassonne, il n'y a pas beaucoup d'activités de loisirs sportifs. Tu as le tennis, le paddle, mais après, c'est plutôt jumper park, karting et bowling. L'escalade commence à être un peu plus connue, et on sent qu'il y a plein de jeunes qui ont envie d'en faire. D’ailleurs, on s’est fait avoir sur le nombre de chaussons. On avait prévu du stock, mais en ce moment, à 15h, on se retrouve en rupture ! David Monnot : Ça faisait partie de notre étude de marché : le Club Alpin Français (CAF) de l’Aude ( département où se situe Carcassonne, ndlr ) est saturé depuis des années. Ils font tous les ans un forum des associations pour sensibiliser à l'escalade, mais ils savent qu'ils vont refuser des centaines de demandes. Du coup, chaque année, du monde se fait refouler alors qu’il y a une vraie communauté de grimpeurs dans l'Aude et dans l'Hérault ( le département voisin, ndlr ). On savait que pas mal de pratiquants recherchaient une salle avec une bonne amplitude horaire, capable de les accueillir tous les jours. © Robin Leduc Vertige Media : D’autant plus que vous êtes la première salle d’escalade privée à ouvrir dans le coin… Robin Leduc : Exactement. Avant nous, il fallait soit aller à Toulouse, soit à Montpellier, soit à Perpignan. Il y a une toute petite salle à Narbonne, mais c'est tout. Et même avec ça, on a plein de Narbonnais qui viennent alors que c'est à 35 minutes de route. Vertige Media : Vous êtes tous les deux en reconversion professionnelle. Qu'est-ce qui a motivé ce projet ? Robin Leduc : Avec David, on s'est rencontrés il y a quelques années via un groupe WhatsApp de grimpeurs du Sud. On avait pas mal d'envies communes et de passions partagées. Je suis musicien, lui aussi. La musique, à Paris, c’était devenu compliqué. Et j’avais aussi ma femme et mon fils à Carcassonne. On est tous les deux d’ici… Bref, pas mal d’éléments personnels qui, couplés à l’opportunité que le projet représentait, ont presque agi comme une évidence. « L’enjeu c’était de véhiculer les valeurs d’un sport qui a toujours été un vecteur de lien social. On voulait aussi créer un lieu où les gens se parlent » On voulait aussi continuer à vivre d’une passion. Pour nous, monter une salle d'escalade, c’est une forme de création. On veut donner à Unibloc une âme, une identité. On ne veut pas en faire un projet purement commercial. Vertige Media : Est-ce que la popularité croissante de l'escalade ces dernières années vous a confortés dans ce choix ? Robin Leduc : Carrément, ça a grave participé. En vérité, on a beaucoup hésité avant de se lancer. Sans méchanceté pour Carcassonne, c'est une petite ville de province un peu ancrée dans des idées reçues, pas ultra-ouverte, on n’avait peur que ça prenne pas. Mais à l’époque où on réfléchissait, j’étais encore à Paris et je voyais bien à quel point l'escalade explosait . David, lui, était à Carcassonne et il commençait à faire son étude du marché en parlant avec des locaux. Puis on s’est dit : « Si on doit le faire, c'est maintenant ». On sentait que quelqu'un d'autre allait y aller, alors on s’est bougé. Vertige Media : Comment avez-vous adapté le projet à son environnement, dans une ville comme Carcassonne ? Robin Leduc : C’est vrai que l’escalade est désormais perçue comme un truc de bobo. Et je sais bien qu'à Carcassonne, ce n'est pas le dixième arrondissement qui grimpe. Mais je me disais quand même qu'on pouvait amener quelque chose d'intéressant esthétiquement et en faire un lieu vraiment cool qui sorte du lot. Après, l’enjeu c’était de véhiculer les valeurs d’un sport qui a toujours été un vecteur de lien social . Avec Unibloc, on voulait aussi créer un lieu où les gens se parlent. Vertige Media : Un tiers lieu finalement… Robin Leduc : Exactement. On a un bar, on prévoit de la restauration... Quand je parle de tiers-lieu ici, beaucoup ne savent pas ce que c'est. À Carcassonne, il n'y a pas d'endroit cool où sortir, discuter. Les jeunes n'ont que des bars un peu traditionnels, pas hyper intéressants. Vertige Media : Vous êtes tous les deux originaires de Carcassonne. Il y avait donc aussi un lien identitaire fort avec votre ville ? Robin Leduc : Oui, et il y a aussi une complémentarité dans nos profils. Moi dans la musique avec un aspect entrepreneurial, et David avec ses compétences de bâtiment puisqu'il avait une entreprise de menuiserie. L'auto-construction nous a d’ailleurs permis de réduire fortement les coûts d'investissement et donc notre prise de risque. Je gère davantage la direction artistique et la communication. David, lui, gère plutôt l'aspect technique de la salle qui est aussi un périmètre super créatif. Dans notre salle de bloc, on a voulu construire ce qu’on appelle « une proue ». C’est le truc qui se voit le plus quand tu rentres et elle symbolise vraiment notre désir de faire des blocs esthétiques. La proue, le monument de la salle de bloc d'Unibloc © Robin Leduc Vertige Media : Comment avez-vous construit la salle ? David Monnot : On a fait quasiment tous les travaux. On a coulé 300 m2 de béton, tout repeint, construit le bar, refait l'électricité… Pour la salle de bloc, on a également réalisé tous les pans de mur avec un peu d’aide pour finaliser les plans 3D. Finalement, le seul artisan « externe » avec qui on a bossé, c’est une société espagnole pour les tapis. Quand tu regardes nos postes de dépense pour l’ouverture, c’est d’ailleurs ce qui a coûté le plus cher, beaucoup plus cher que toute l’ossature bois et les panneaux. Ça, et les prises. Robin Leduc : En ce qui concerne les prises, on a bossé avec Expressions . Pour les ouvertures, notre pote Pierre Serin de Solo Escalade à Toulouse nous a aidés, tout comme Christophe Cazin de Panescalade . On a aussi travaillé avec les gens du coin, comme Johann Saint-Blanca , un jeune compétiteur qui est en train de passer le diplôme d’ouvreur. Fin août, notre deuxième salariée, Marilou Gonzalez , qui est ambassadrice du Rock Tour , grimpeuse forte, diplômée ouvreuse et monitrice, va également nous rejoindre. Faut bien se dire aussi que ce genre de projet, ça tient aussi sur le réseau. Et on a la chance que le nôtre soit super solidaire. Vertige Media : Comment avez-vous évalué le potentiel commercial avant de vous lancer ? David Monnot : On a regarde le marché, tout simplement : le nombre de grimpeurs, de licenciés FFME ( Fédération française de la Montagne et de l’Escalade, ndlr ), CAF qui sont de plus en plus nombreux, les ouvertures de salles, leurs tailles... On s’est vite rendu compte qu'il y avait un besoin au niveau local. On constatait aussi que plein de salles ouvraient dans des villes similaires à la nôtre, que le marché était en pleine expansion. Vertige Media : Quels ont été vos principaux défis pour le financement ? David Monnot : On a galéré pour trouver des banques, à la fois parce que notre apport n'était pas énorme et parce que les banques répondaient qu'il n'y avait pas de projet similaire sur lequel se fonder. Et puis le contexte économique actuel n'aide pas. Finalement, on a emprunté 280 000 euros et on a mis 50 000 euros de notre poche. Donc Unibloc, c’est un projet à 330 000 euros . « Aujourd’hui, bosser dans une salle d’escalade, ça peut représenter le nouveau cool mais il ne faut pas oublier que ça reste un boulot difficile » Vertige Media : Comment avez-vous construit votre modèle économique ? Robin Leduc : Sur le papier, c'est 70% d’escalade, 30% de bar/snack. Il y a un tel manque à gagner sur l'escalade dans la région qu'on a davantage misé sur ce volet que sur la restauration. David Monnot : Maintenant, on a un seuil de rentabilité à atteindre. L'emprunt est sur sept ans, mais j'ose dire qu'on pourra le rembourser avant. On a fait un prévisionnel assez sage, en partant sur 40 visites par jour. Depuis trois semaines, c'est le double, et ça ne fait que grimper. Pourtant, on a des investissements constants à faire : on veut développer des blocs extérieurs, un espace enrouleur, la cuisine... Et puis la masse salariale va grossir un jour ! Vertige Media : Beaucoup de salles privées ouvrent mais certaines tirent déjà la langue . C’est un sujet de préoccupation pour vous ? David Monnot : Ce qui me préoccupe, c'est que beaucoup de salles investissent énormément, parfois trop. Quand je regarde les nouvelles salles qui ouvrent, certaines investissent jusqu'à un million d'euros pour 400m² de blocs. Je ne sais pas comment ils étudient leur projet, mais en termes de productivité et de chiffre d'affaires, ça ne fonctionne pas. Beaucoup d’exploitants de salles négligent aussi leurs coûts d'exploitation. Ce n'est pas parce que tu as créé un outil que tu peux te reposer sur un acquis commercial. Les blocs d'escalade s'usent, les prises s'usent, les sanitaires s’usent.... Il faut investir constamment, les nettoyer, acheter des produits qui coûtent cher. C'est de la main-d'œuvre supplémentaire. Vertige Media : Quel regard portez-vous sur les récents mouvements sociaux dans certaines franchises d'escalade ? Robin Leduc : Je ne suis pas étonné que ce genre de dérive puisse arriver. C'est un sport assez nouveau qui est devenu « cool ». Et certains dirigeants peuvent jouer là-dessus en capitalisant sur le fait que plein de gens seraient contents de travailler dans des salles sympas, surtout dans les grandes villes . Aujourd’hui, bosser dans une salle d’escalade, ça peut représenter une sorte de nouveau « cool » mais il ne faut pas oublier que ça reste un boulot difficile. Quand tu as du monde toute la journée, qu'il faut être présent à 100%, qu’il faut faire gaffe à tout, la sécurité etc. Et cet aspect compliqué du métier, les patrons de salle n’en ont pas tous conscience. Ils ne rémunèrent donc pas leurs employés à leur juste valeur. Vertige Media : Ces évènements ont-ils alimenté vos réflexions sur la gestion de vos équipes ? Robin Leduc : On est au tout début, on a qu’un seul salarié. Néanmoins, on tient à ce que les personnes qui travaillent avec nous se sentent bien et soient rémunérées comme il faut. On n'est pas du tout dans le même schéma que certaines grosses salles parisiennes. On va être quatre pendant un moment, c'est presque familial. Et même dans ce format-là, on essaie de s'organiser pour avoir un meilleur équilibre. Par exemple, on se relaie sur les fermetures/ouvertures, un soir sur deux c'est l'un ou l'autre qui ferme, et celui qui a fermé n'ouvre pas le lendemain. Vertige Media : Finalement, quels enseignements partageriez-vous si une autre personne venait à se lancer dans la création d’une salle d’escalade privée ? Robin Leduc : I l faut être très passionné. Passionné, et sincère dans le sens où il va falloir mobiliser une envie phénoménale et parvenir à faire des sacrifices . Au-delà des problématiques de gestion, je dirais qu’il ne faut pas oublier de rester aligné avec sa raison d'être. Nous, notre but, c’est pas de devenir riches ou de nous implanter partout. On veut faire découvrir un sport qu’on aime, en vivre correctement et avoir un lieu dans lequel on est heureux d’aller bosser tous les jours. Notre mission, c’est de faire découvrir l’escalade alors autant être content de partager sa passion. Ce qui est bien, c’est que les retours correspondent. C’est simple, depuis qu’on a ouvert, le mot qu’on nous répète le plus souvent, c’est « merci ».
- Vertige Media fait sa première teuf !
Après une bonne année de grimpe sociale, culturelle et joyeuse, il est temps pour notre jeune média de célébrer ses premiers pas. Sauvez la date et accrochez-vous, la rédaction de Vertige Media part enfin en live. Une dégaine. C'est déjà ça... Voilà plus d'un an que Vertige Media grimpe à vos côtés en publiant toujours plus d'articles, de vidéos, de guides et quelques autres choses sur une discipline qui nous passionne et que nous avons voulu traiter à travers un prisme social, culturel, parfois même politique. Une année riche, bien pleine, aventureuse. Une année au sommet de laquelle nous avons voulu nous arrêter un peu, histoire d’admirer la vue. Le plaisir d’arriver en haut, c’est aussi ça : le luxe de pouvoir contempler les alentours, de respirer un bon coup, de laisser retomber les émotions et de jeter un œil en bas pour se rendre compte du chemin parcouru. En traçant notre croix, relâchons donc les bras et comptons sur nos doigts. Aujourd’hui, Vertige Media , c'est : Près de 1000 articles publiés Une cinquantaine de vidéos postées Une communauté de plus de 20 000 personnes qui nous suit sur nos canaux (réseaux sociaux, newsletters) Mais au-delà des chiffres, c'est aussi une vision de l'escalade qui s'est diffusée un peu partout. Un peu sans maîtrise aussi, tant nous avons souvent été surpris que nos réflexions dépassent les cercles dans lesquels nous pensions les projeter. Alors, il y a eu cette chronique sur France Inter bien sûr (quelle histoire) mais surtout vos retours - toujours sympas, parfois constructifs - sur nos interventions au salon de l'escalade , notre humour discutable sur Instagram, les dessins de Piet ou les jeux de mots qui excèdent certain·e·s d'entre vous (et qu'on se fait un plaisir de sales gosses à poursuivre). Que voulez-vous, c'est la faute de l'emprise (vous l'avez ?). Une chose est sûre, les sentiments que provoquent ces retours nous confortent dans notre mission : présenter la grimpe sous un jour nouveau et la traiter comme un fait social . Dit autrement : promouvoir la diversité de l'escalade et la peindre de toutes les couleurs. De quoi vous faire un joli dessin composé de reportages exclusifs, de témoignages uniques, de portraits hors-normes et, allez, d'enquêtes exclusives ! En un peu plus d'un an, il aurait été difficile d'imaginer que Vertige puisse grimper aussi haut. Pardonnez donc l'emphase, ou plutôt l’enthousiasme avec lequel on écrit ces lignes. C'est sans doute celui que vous ressentez quand vous passez un degré dans la voie que vous vous êtes choisie. Eh bien, cette énergie, très cher·e·s tout·es, il est temps de la partager. Et cette fois-ci, sans jeu de mots douteux ni envolées lyriques (quoi que). Cette énergie, on veut que vous la ressentiez dans la vie, la vraie. Un Vertige collectif Vous ne savez pas combien nous sommes heureux à l'idée de vous retrouver lors du premier événement officiel de la rédaction le 12 juin prochain, au TLM, à Paris . Alors c’est la première, c’est à Paris. Excusez le jacobinisme, mais c’est aussi là qu’a commencé notre histoire. Et il faut bien l’écrire en respectant la vérité. Pour accueillir celles et ceux qui voudront continuer l'histoire en train de se faire, on a donc choisi Le TLM . Une ancienne gare de marchandises réhabilitée en tiers-lieu, sur les rails de la petite ceinture parisienne. Encore une histoire de voie, ça nous allait bien. Dedans, c’est une grande salle d’échos qui nous attend. Un espace grandiose, un bar d'envergure et une petite scène d’où se propageront sans doute quelques mots doux. Dehors, on se croirait sur un chemin forestier, un air de campagne dont on voulait profiter pour orienter nos pensées à nos lecteur·ices, loin de la ville. Et puis à un moment donné, parmi tout, il s’agira de vous donner du Vertige en live. Du petit spectacle avec les ingrédients que l'on sait mettre : des histoires, de l’esprit, du décalage. L'histoire du 12 juin s'écrira en trois temps : 👉 Une présentation de Vertige Media avec son histoire, ses projets en cours, son équipe et les résultats de l'enquête de lectorat . 👉 Une conférence inédite avec des grimpeur·ses d'exception et une méga-surprise. 👉 Un apéro-géant où il s'agira de se rencontrer, de partager et de rire ensemble. Bref, un vertige collectif dans lequel nous sommes ravis de vous faire tomber. Alors, on danse ? ✨ Infos pratiques ✨ 🗓️ Jeudi 12 juin 2025 ⏰ 19h-23h 📍 Le TLM - 105 rue Curial, 75019 Paris 🚇 Métro 5 Corentin Cariou | Métro 2 Crimée | RER E Rosa Parks 🎟️ Inscription : formulaire disponible ici 👕 Stand de goodies Vertige Media disponible sur place
- Pollution invisible en salle d’escalade : ce que nos chaussons laissent dans l’air
Adhérence maximale, performance ultime… Et pollution invisible. Une étude scientifique révèle que nos précieux chaussons émettent des additifs chimiques préoccupants dans l’air des salles d’escalade. À trop vouloir coller aux prises, aurions-nous perdu de vue ce qu’on respire ? © Vertige Media C’est l’un des gestes les plus anodins pour une grimpeuse ou un grimpeur : poser son pied sur une prise, ajuster ses appuis, charger son poids, recommencer. Une danse quotidienne, répétée des centaines de fois pendant chaque séance. Mais si ce geste, en apparence inoffensif, libérait à chaque mouvement des particules chimiques invisibles et potentiellement problématiques pour notre santé ? La question n’est plus une hypothèse vague ou paranoïaque, elle fait désormais l’objet d’une étude scientifique détaillée publiée dans la revue de référence ACS ES&T Air . Et les résultats méritent, pour le moins, qu’on s’y attarde sérieusement. Quand la grimpe vire à la chimie industrielle On savait déjà que les salles d’escalade étaient des environnements particuliers, saturés de magnésie et d’humidité, parfois mal ventilés. Mais le sujet mis récemment sur la table par les chercheurs concerne une autre pollution, beaucoup moins visible : les additifs dérivés du caoutchouc (RDCs) libérés par nos chaussons. Oui, vous avez bien lu : nos chaussons. L’étude, menée dans neuf salles européennes (France, Suisse, Espagne et Autriche), révèle des concentrations inédites de ces substances chimiques dans l’air et les poussières déposées . Ces composés aux noms barbares – benzothiazoles, aniline, 6PPD, 6PPD-quinone ou diphénylguanidine (DPG) – sont utilisés industriellement dans le caoutchouc des semelles pour améliorer adhérence, élasticité et durabilité. Le hic, c’est que ces produits ne restent pas sagement à leur place. Ils migrent dans l’air qu’on respire. Pollution invisible, exposition bien réelle Ce que les chercheurs ont mis en évidence est une réalité chimique cachée derrière l’apparente simplicité d’une séance de bloc. Invisibles à l’œil nu mais omniprésentes dans l’air intérieur des salles, les substances chimiques issues de nos chaussons dépassent de loin toutes les attentes initiales des scientifiques. Dans les salles analysées, les mesures précises indiquent ainsi des niveaux de RDCs à couper le souffle (littéralement) : Jusqu’à 28,4 ng/m³ dans la fraction supérieure des particules respirables. Autrement dit, à chaque inspiration, ces composés chimiques entrent directement dans votre nez et votre gorge, pour finir rapidement dans votre organisme par voie digestive. Jusqu’à 7,81 ng/m³ dans la fraction profonde, celle qui atteint directement les alvéoles pulmonaires. Là, la préoccupation monte d’un cran : ces particules fines, riches en RDCs, restent beaucoup plus longtemps dans les poumons, augmentant potentiellement leur impact sur la santé à long terme. Mais la contamination ne s’arrête pas à l’air que l'on respire. La poussière accumulée au sol, que chacun déplace sans y penser, affiche elle aussi des concentrations inquiétantes de RDCs : jusqu’à 55 µg/g, une valeur qui écrase littéralement celles relevées dans d’autres lieux clos comme les maisons, les bureaux ou même les centres commerciaux . Plus troublant encore : ces niveaux sont parfois supérieurs à ceux détectés au bord de routes très fréquentées, là où l’on s’attend logiquement à un air saturé de polluants issus des pneus automobiles. Pour mesurer pleinement l’ampleur du problème, un détail parlant : les salles d’escalade dépassent même les niveaux enregistrés dans des espaces sportifs déjà jugés problématiques, comme les salles de gymnastique chargées en magnésie ou les terrains de sport en gazon synthétique, pourtant connus pour émettre des particules chimiques issues du caoutchouc recyclé des pneus. Autrement dit, en grimpant, nous respirons plus de chimie industrielle qu’en faisant du foot sur un terrain synthétique ou qu’en nous entraînant sur une poutre chargée de magnésie. Qui l’aurait cru ? La question mérite en tout cas d’être posée clairement, sans détour : l’air des salles d’escalade, prétendument saines, ne serait-il finalement qu’une soupe chimique invisible ? © The Invisible Footprint of Climbing Shoes: High Exposure to Rubber Additives in Indoor Facilities La faute aux chaussons (et seulement eux) Évidemment, la première réaction est de chercher les coupables : d’où sort cette pollution chimique, alors même qu’on pensait les salles d’escalade plutôt protégées de ce genre de problématique ? Les chercheurs ont mené l’enquête avec minutie, écartant méthodiquement d’autres pistes éventuelles, pour ne laisser planer aucun doute : les composés chimiques en cause proviennent directement et exclusivement des semelles en caoutchouc des chaussons . Les scientifiques ont analysé en détail pas moins de 30 modèles différents du marché, et le résultat est implacable. Ces semelles, que nous chérissons tant pour leur capacité à coller aux prises, contiennent en réalité de véritables cocktails chimiques, destinés à optimiser adhérence, élasticité et résistance à l’usure. Parmi les composés détectés en très fortes concentrations (jusqu’à 3405 µg/g) figurent des accélérateurs de vulcanisation, des antioxydants industriels et divers dérivés du benzothiazole, tous largement utilisés dans l’industrie du pneu automobile. Chaque appui, chaque « zip », chaque frottement libère ainsi des particules ultrafines chargées en ces additifs chimiques. Et ces particules ne se contentent pas de tapisser les prises. Elles restent en suspension dans l’air ambiant, suffisamment longtemps pour être inhalées par tous les grimpeuses et grimpeurs présents . Mais alors, qu’en est-il de l’autre suspect habituel, la magnésie, accusée à tort depuis des années ? Les chercheurs ont balayé cette piste : l’observation minutieuse au microscope électronique a confirmé sans ambiguïté que les particules problématiques ont une structure caractéristique du caoutchouc. Rien à voir, donc, avec la poudre blanche tant décriée par ailleurs. Distinction entre magnésite et caoutchouc © The Invisible Footprint of Climbing Shoes: High Exposure to Rubber Additives in Indoor Facilities Un air chargé en chimie réactive Et ce n’est malheureusement pas tout. Les composés libérés par l’abrasion des chaussons d’escalade ne restent pas simplement suspendus dans l’air à attendre sagement d’être inhalés. Ils entrent rapidement dans une danse chimique complexe avec l’ozone ambiant, naturellement présent dans les salles. L’étude le démontre clairement : ces réactions chimiques, loin d’être anecdotiques, produisent en réalité des composés secondaires encore plus préoccupants, capables d’amplifier les risques potentiels pour la santé des personnes présentes dans les salles . Parmi les transformations les plus frappantes figure la conversion du 6PPD, un additif chimique largement utilisé comme antioxydant industriel dans le caoutchouc, en 6PPD-quinone, une molécule désormais tristement célèbre pour ses effets toxiques documentés sur la vie aquatique. Ce composé secondaire, déjà pointé du doigt pour avoir causé des mortalités massives chez certaines espèces de saumons sauvages aux États-Unis , se retrouve ainsi, de manière inattendue, dans l’air intérieur des salles de grimpe. Pour appuyer leur démonstration, les scientifiques ont conduit des expériences d’ozonation en laboratoire : des particules de caoutchouc récupérées sur les prises d’escalade ont été exposées artificiellement à des concentrations élevées d’ozone pendant plusieurs heures. Les résultats, sans appel, ont confirmé que ces transformations chimiques surviennent très rapidement . Même si, précisent les chercheurs avec prudence, les niveaux d’ozone employés en laboratoire étaient supérieurs à ceux généralement rencontrés dans les salles d’escalade, l’existence même de ces réactions pose de sérieuses questions sur l’impact sanitaire à long terme. Le phénomène, déjà observé dans d’autres contextes (comme l’usure des pneus automobiles sur les routes), prend donc une dimension nouvelle et inattendue à l’intérieur des salles d’escalade. Il justifie selon les auteurs de l’étude une urgence absolue : poursuivre rapidement les recherches pour évaluer précisément l’ampleur réelle du problème en conditions réelles, avec les concentrations typiques d’ozone des espaces clos sportifs . Exposition : un risque sous-estimé ? Si les niveaux élevés de pollution chimique dans l’air des salles sont désormais établis, reste une question essentielle : quelles sont précisément les conséquences de cette exposition régulière sur les grimpeuses et grimpeurs, et surtout, à quel point ce risque est-il sous-évalué aujourd’hui ? L’étude se penche ainsi en détail sur l’exposition quotidienne des personnes les plus présentes dans ces espaces clos : les grimpeuses et grimpeurs réguliers, mais aussi et surtout les employés, qui passent plusieurs heures chaque jour dans ce milieu potentiellement chargé en RDCs . Les résultats des calculs d’exposition quotidienne potentielle, réalisés à partir des mesures relevées, révèlent des chiffres franchement inquiétants, notamment en ce qui concerne certains composés comme les benzothiazoles et les dérivés du p-phénylènediamine (PPD et quinones associées). Les grimpeurs réguliers – a fortiori ceux qui viennent pendant les pics d’affluence, lorsque la concentration en particules est maximale – seraient ainsi exposés à des niveaux largement supérieurs à ceux observés chez les travailleurs de secteurs industriels pourtant réputés très exposés, comme l’industrie chimique ou les usines de production de caoutchouc synthétique . Plus troublant encore, l’exposition à certains composés spécifiques (notamment les quinones dérivées des PPD) dépasse nettement celle observée chez des travailleurs évoluant quotidiennement au bord de routes à très fort trafic routier, lieux pourtant emblématiques de la pollution chimique issue des pneus automobiles. Pour autant, et c’est là que réside toute la nuance apportée clairement par les chercheurs, ces résultats doivent être interprétés avec prudence : à ce jour, il manque toujours des études toxicologiques approfondies spécifiquement dédiées à ces composés dans un contexte humain . Autrement dit, bien que les niveaux mesurés soient très élevés et donc potentiellement problématiques, on ne dispose pas encore des éléments scientifiques pour prédire précisément leurs effets réels sur la santé à moyen ou long terme. Cette absence de données toxicologiques précises n’est en rien rassurante, au contraire : elle souligne plutôt un vide inquiétant, une lacune de connaissance majeure . L’étude appelle donc avec force à combler rapidement ce manque, en lançant au plus vite des recherches toxicologiques approfondies sur ces substances spécifiques dans le cadre précis des salles d’escalade. En clair, oui, l’exposition est réelle, probablement préoccupante, mais ses conséquences précises restent encore à documenter pleinement . Et il est urgent de le faire avant que les éventuels risques, aujourd’hui sous-estimés ou ignorés, ne se transforment en problèmes sanitaires bien réels. Prévention, responsabilité, innovation : les pistes de solution L’étude ne fait pas que dresser un constat alarmant ; elle suggère aussi des pistes concrètes, réalistes et immédiatement applicables pour faire évoluer la situation . La bonne nouvelle, c’est que le problème, même s’il est sérieux, n’est pas insoluble. Trois leviers principaux émergent clairement des recommandations scientifiques, chacun exigeant des efforts ciblés de la part des différents acteurs concernés. Premier levier, la ventilation : Ce n’est ni nouveau ni spectaculaire, mais c’est efficace. Une ventilation adéquate, avec un renouvellement fréquent de l’air intérieur, permet de réduire très nettement la concentration en composés chimiques libérés par les chaussons. Pour les gestionnaires de salles, cela signifie investir davantage dans des systèmes performants de filtration et d’aération, voire adapter les horaires et l’affluence des séances pour éviter les pics de pollution chimique. Deuxième levier, le nettoyage régulier : Encore une fois, une solution simple mais sous-estimée. Passer régulièrement l’aspirateur, humidifier le nettoyage des sols et des prises, ou encore mettre en place des procédures strictes d’hygiène des espaces collectifs permet de limiter fortement l’accumulation des particules fines chargées en RDCs. Enfin, troisième levier et sans doute le plus stratégique : repenser les chaussons eux-mêmes. La responsabilité incombe ici directement aux industriels et fabricants, invités clairement par l’étude à revoir leur copie. L’enjeu ? Concevoir des semelles innovantes qui offrent toujours adhérence et performance, mais avec une empreinte chimique bien moindre. Cela implique probablement de repenser totalement les formulations actuelles, voire de développer des alternatives plus écologiques, moins chargées en additifs potentiellement problématiques. Ce dernier point interpelle directement toute la filière économique de la grimpe, depuis les grandes marques internationales jusqu’aux petites entreprises spécialisées. L’innovation technique ne devra plus seulement viser la performance sportive pure, mais aussi intégrer des critères sanitaires et environnementaux élevés . Un vrai défi industriel, mais aussi une opportunité unique de montrer que la grimpe peut être pionnière dans l’alliance du sport et du respect de la santé publique. Ces trois leviers – ventilation, nettoyage, innovation des matériaux – nécessitent évidemment une action coordonnée, et surtout une prise de conscience collective rapide. Mais ils constituent aussi, selon les chercheurs, des pistes réelles et efficaces pour sortir de ce piège invisible dans lequel nous nous sommes progressivement enfermés, grimpeurs comme professionnels du secteur. Et maintenant, on agit ou on attend ? L’étude est claire sur un point essentiel : elle ne prétend pas que vos chaussons vous intoxiquent à chaque séance, ni qu’il faudrait soudainement arrêter de grimper . À présent, la balle est dans le camp des acteurs de l’escalade : fabricants de chaussons en tête, mais aussi responsables de salles d’escalade et décideurs du secteur. C’est à eux d’innover, de trouver rapidement des alternatives crédibles, de garantir un environnement réellement sain. L’enjeu est crucial : permettre à chacun de pratiquer l’escalade dans un espace réellement protecteur, sans arrière-pensée sur la qualité de l’air inhalé. Il est temps d’agir, avant que ce sujet, encore discret aujourd’hui, ne devienne le prochain grand scandale sanitaire du sport indoor. On agit maintenant, ou on attend que d’autres le fassent à notre place, avec les conséquences que l’on imagine ? À chacun de choisir. Mais choisir vite. Pour lire l'étude dans son intégralité cliquez ici .
- Coupes du monde d’escalade : à bout de souffle ?
La semaine dernière, la première coupe du monde d’escalade de la saison s'achevait à Keqiao en Chine. Et avec elle, le premier test de nouvelles réglementations implantées par la fédération internationale, l’IFSC, pour la discipline du bloc laissant les spectateurs face à un constat mitigé. Décryptage. © Nakajima Kazushige / IFSC Il y a encore une dizaine d'années, l'escalade compétitive voyageait sur un long fleuve tranquille. Un enchaînement de coupes et championnats du monde dans un rythme cyclique, tranquille. Jusqu’à ce que la randonnée prenne des airs d’ultra-trail avec l’entrée de la discipline aux Jeux Olympiques. Entre exigences télévisuelles et besoin de capter l'attention des plus néophytes, l'escalade se cherche et chaque année apporte son lot de changements. Keqiao, késako ? À Keqiao, ils étaient au nombre de 3 : 👉 une augmentation du nombre de grimpeurs en finale passant de 6 à 8 👉 l'évolution du système de scoring 👉 et surtout, le changement de mode de passage des athlètes en finale, avec désormais deux grimpeurs en simultané sur les tapis. Un dernier changement avec un but assumé : réduire les temps morts et maximiser le temps d'action sur le mur pour le spectateur. À première vue, cette décision peut faire sens. Quiconque aura déjà vécu une finale avec très peu de tops le confessera : l'ennui s'immisce facilement. Or, dans un sport comme l'escalade où tout repose sur l'ouverture, la probabilité d'occurrence est élevée et plus les enjeux sont grands, moins l'aléatoire est toléré. Alors, on l'éradique. Quitte à dénaturer l'essence même du sport. À Keqiao, le système de ronde présentant deux athlètes simultanés en finale aura mis en lumière ses qualités autant que ses défauts . D’abord, gageons que l’objectif principal est atteint : il se passe quasiment toujours un truc à l’écran. Et dans des finales difficiles - notamment celle des femmes avec seulement 5 tops sur 32 possibles dont 4 sur le bloc 3 -ce nouveau format aura largement réduit l’impression d’un scénario qui piétine… Ensuite, posons que l'exécution est un peu ratée. Si doubler le temps d’action à l’image peut s’apprécier, la réalisation de l'événement a opté pour un plan large. Bien trop large pour suivre avec confort les deux athlètes sur les tapis. Cadrage approximatif, alternance de plan discutable, manque de niveau de détails… autant de sources de frustrations pour le téléspectateur incapable de suivre la totalité de la finale et parfois même empêché de pouvoir suivre son grimpeur préféré. Plan large pendant la finale féminine Pourtant, une solution peut facilement s’imposer : l’écran scindé . Une technologie éprouvée dans les réalisations de l’IFSC en compétition mais toujours avec une parcimonie assez mystérieuse. Nul doute que si ce système de grimpe en simultanée persiste, celui-ci devra devenir une obligation. Chargé à bloc Alors voilà, Keqiao a montré les défauts du système, quelques lacunes de réalisation à corriger pour enfin en arriver au format parfait ? Et bien pas tout à fait, car derrière ces balbutiements techniques finalement faciles à régler, se cache un autre constat : à vouloir éradiquer les temps morts, on sacrifie inévitablement le reste, à savoir, là où l’action est jugée la moins « intéressante ». Sauf que dans ce terme subjectif, on place irrémédiablement deux choses : les finalistes moins performants et les blocs les plus difficiles. Arriver en finale de coupe du monde, c’est pourtant quelque chose et chaque membre de ce plateau prestigieux devrait avoir le droit qu’on patiente pour lui. Combler sa présence par une autre, c’est avouer ouvertement que notre divertissement passe avant sa performance. Sans dire que ne pas suivre un grimpeur, c’est rater une partie de l'histoire, éclipser l’un des personnages principaux du récit et un grimpeur dans l’échec peut en dire bien plus sur l’état d’une finale qu’un flasheur fou. Pour s’en rendre compte, il suffit, par exemple, de regarder les réactions d’un Mejdi Schalck ou d’une Vita Lukan. Quant aux blocs « trop difficiles », grands sacrifiés de ce nouveau format à l’image du bloc 2 de la finale femme dont le temps d’antenne aura été largement moindre que ses homologues mieux réussis, n'est-ce pas ceux-là même qui donnent toute la saveur d'un top ? Et si cela ne faisait pas partie de la mythologie d’un sport qui a besoin de montrer des tentatives, des échecs, des épopées bravaches pour que les athlètes et celles et ceux qui les suivent puissent mieux exulter quand ils les franchissent ? Hachioji 2023, Mejdi Schalck, encore lui, entérine sa victoire avec un goût d'amertume, le dernier bloc lui résiste, comme à tous les autres finalistes avant lui. 25 minutes sans avancée notable dans la compétition, pourtant les grimpeurs, eux, ont progressé silencieusement. Championnats du monde de Berne , 5 mois plus tard, problème différent mais mouvement similaire. Depuis, Mejdi a travaillé et réussi le bloc, prenant une place de vice champion du monde. Un instant plus particulier pour ceux qui auront regardé jusqu'au bout cette finale d'Hachioji dont le goût d'inachevé s'était simplement reporté jusqu'ici. Disons-le franchement : le risque de s’habituer à l’absence de frustrations, c’est aussi risquer d’oublier à quel point une belle finale l’est vraiment. Le succès, c'est (se) tromper En escalade, la respiration est vitale, elle oxygène les muscles, et vous permet de continuer à grimper sans exploser. En télé, la supprimer, c’est donner la désagréable sensation d'une réalisation sous apnée. Et à trop vouloir éviter l’ennui, c’est tout un sport qu’on prive d’oxygène. Ces temps de repos, c’est l’essence d’une finale. Le public averti le sait, un grimpeur n'est jamais vraiment au repos. Il analyse, il lit, il observe, il gère son effort. Autant de gestes à décrypter pour le spectateur assis devant son écran. Lui non plus n’attend pas, il se remémore, il s’extasie sur le dernier mouvement qu’il vient de voir, il élabore les plus extraordinaires théories sur la suite de l’histoire, bref il vit sa propre finale. Retirer tous ces moments, c’est aussi retirer le plaisir de la réalisation, ce coup de tonnerre qui vient briser notre attente incertaine. Et les laisser se faire envahir par du contenu, c’est se fondre dans la mouvance actuelle, briser notre capacité d’attention, dire oui à l’accoutumance. C’est le risque d’oublier tout cela et celui de s'enfoncer dans cette philosophie autodestructrice du « toujours plus » quitte à ne plus rien ressentir. Une raison d’espérer cependant : par ses changements, l’IFSC montre que, pour elle, l'escalade n'est pas un sport immuable. La fédération cherche, itère, quitte à se rater et la récente annonce de la séparation des trois disciplines aux Jeux Olympiques de Los Angeles 2028 affiche sa volonté de protéger l’identité de l’escalade coûte que coûte. Ces changements de règlements sont à prendre comme autant d'essais à transformer le bloc en format télégénique exaltant. Car ne soyons pas naïf : la discipline souffrirait moins d’une réalisation erratique que d’une exclusion de la plus prestigieuse des compétitions. Ces choix de réalisation agissent comme une bouée de sauvetage. Reste à assurer qu’elle n’empêche pas à l’escalade de respirer.
- Outside s’éteint, et c’est toute une idée du dehors qui disparaît
Le déclin d’Outside Magazine, disséqué par Rachel Monroe dans une enquête pour le New Yorker, dépasse largement le simple naufrage éditorial. Derrière la débâcle d’un magazine culte, c’est une certaine idée du récit outdoor qui disparaît sous les coups des entrepreneurs hors sol, des NFTs ratés, et d’une quête absurde de « scalabilité ». L’occasion de rappeler aussi que ce qu’on lit, on le fait vivre, et que le futur du dehors s’écrit encore aujourd’hui dans les médias indépendants. La chute d’un média, quand elle se produit, est rarement spectaculaire. Quelques licenciements pudiquement appelés « réorganisations », une dernière fête de départ vaguement sinistre, et voilà une rédaction qui disparaît discrètement dans le flux d’informations. Pourtant, certaines agonies racontent beaucoup plus qu’elles n’en disent. Celle d’ Outside Magazine , racontée par Rachel Monroe dans un remarquable papier du New Yorker , est précisément de celles-là. Fondé en 1977 par Jann Wenner, également créateur de Rolling Stone , puis dirigé pendant près de quarante ans par Larry Burke, Outside était autre chose qu’un titre parmi d’autres. C’était un repère du journalisme littéraire outdoor, celui qui prenait le temps des détours, qui osait les récits longs, les enquêtes improbables et les histoires profondément humaines. Avec l’arrivée en 2021 de Robin Thurston, entrepreneur numérique adepte de « contenus scalables », l’histoire a pris une tournure absurde, entre promesses vides, management chaotique et une tentative ratée de « tokeniser l’aventure » à coups de NFTs. Mais derrière ce fiasco entrepreneurial, ce qui s’effondre lentement, c’est aussi toute une manière d’écrire et de penser le dehors, loin des logiques marketing, loin des métriques et des slogans creux. Une écriture dont la survie ne tient désormais qu’à un fil. Quand Outside incarnait l’opposé du « snack content » Dans les années fastes d’Outside Magazine, lorsque l’édition papier sentait encore l’encre et le grand reportage, le magazine cultivait volontairement une certaine lenteur . Il fallait bien ça pour laisser David Quammen s’interroger en longueur sur l’étrange existence des moustiques, ou Susan Orlean traîner dans les coulisses d’une corrida espagnole . La rédaction donnait carte blanche à Jon Krakauer pour livrer en 17 000 mots son récit tragique et magistral de l’Everest en 1996, publié sous le titre Into Thin Air . C’était audacieux, peut-être un peu fou, certainement moins rentable à court terme que des conseils « 5 façons d’optimiser votre sac à dos ». Mais justement : Outside n’avait que faire du court terme. Il était le magazine des récits sans filtre, où l’on osait dire l’inutile, le trivial, l’essentiel ou le douloureux avec le même talent littéraire. Un style assumé, à l’écart des injonctions commerciales. L’arrivée de Robin Thurston, ou l’irrésistible ascension du dehors numérique Cette époque révolue a trouvé son fossoyeur en la personne de Robin Thurston. Ancien CEO de MapMyFitness, cycliste semi-professionnel et surtout entrepreneur de génie lorsqu’il s’agit de séduire les fonds de capital-risque, Robin Thurston avait pour Outside une vision radicalement différente : en faire « l’Amazon Prime du lifestyle actif ». Rachel Monroe, dans son enquête, montre avec précision comment ce patron aussi énergique que déconnecté s’est progressivement coupé de l’âme même du magazine . Robin Thurston rêvait grand, très grand : un écosystème digital gigantesque, des podcasts à la pelle, des applications GPS, et surtout, cette fameuse idée du « Outerverse » , une tentative de vendre des NFTs d’expériences outdoor. Évidemment, la montagne virtuelle n’a jamais trouvé preneur : quelques centaines de NFTs vendus sur dix mille attendus, et un échec aussi prévisible que retentissant. Face au fiasco, Robin Thurston n’a pas résisté à un grand classique des dirigeants en difficulté : l’excuse du timing , incontournable argument tout droit sorti du manuel du CEO moderne. Ce n’était donc « pas le bon moment ». Bien sûr. On pourrait presque en sourire, tant la pirouette est caricaturale, si elle ne révélait pas quelque chose de plus profond : un storytelling outdoor vidé de son sens au profit d’une expérience lisse, aseptisée, sans météo, sans sueur, sans réel . Et désormais, apparemment, sans responsabilité. Médias indépendants : comment écrire et être lu sans se trahir ? La chute d’ Outside Magazine pourrait simplement prêter à sourire si elle ne venait pas rappeler douloureusement ce que vivent quotidiennement les médias indépendants. Au fond, le dilemme auquel Robin Thurston s’est confronté de manière caricaturale, tous les médias indépendants le connaissent : comment écrire ambitieux, fouillé, profond, sans disparaître aussitôt dans l’océan des contenus courts, viraux, instantanés ? Cette tension permanente entre exigence éditoriale et efficacité numérique est devenue un exercice délicat. Écrire bien demande du temps, de la réflexion, un luxe face aux algorithmes impitoyables des réseaux sociaux. Chez Vertige Media, on connaît parfaitement ce tiraillement : nous jonglons entre l’envie sincère de proposer des textes subtils, parfois complexes, et la nécessité de capter l’attention à coups de titres provocateurs ou de formats courts calibrés pour Instagram. Ce n’est jamais totalement confortable, mais c’est une réalité qu’on assume. Il serait toutefois injuste de juger trop sévèrement ces compromis. Après tout, une bonne accroche, même légèrement provocatrice, peut être une porte d’entrée vers un contenu riche. Le danger n’est pas dans l’accroche elle-même, mais dans le glissement vers une écriture entièrement calibrée pour l’algorithme . La responsabilité appartient aussi aux lectrices et lecteurs : à leur curiosité, leur patience, leur volonté de soutenir celles et ceux qui racontent encore autre chose que du prémâché. Car écrire et être lu sans se trahir relève d’une véritable co-responsabilité, où chacun doit accepter de jouer sa part, humblement mais sans hypocrisie. Ce qu’il reste à sauver : le dehors imparfait, le récit vivant Ce que le déclin d’Outside Magazine met aussi cruellement en évidence, c’est que l’écriture du dehors, celle que l’on aime lire et relire, est plus que jamais menacée par la standardisation digitale, par la start-upisation de l’outdoor, par la promesse de rendre tout « scalable », même l’aventure . Mais il reste encore des espaces où le récit peut respirer : ces médias indépendants, ces voix solitaires qui racontent les bivouacs ratés, les doutes et les moments ordinaires plutôt que les seules réussites photogéniques. Ils sont fragiles, parfois maladroits, jamais parfaits, mais toujours vivants. La responsabilité nous incombe désormais, lecteurs, grimpeurs, passionnés : ce qu’on lit, on le soutient. Et ce qu’on soutient, on le fait vivre. Il n’y aura jamais d’algorithme capable de saisir la peur sous un orage à 3 000 mètres, le frisson d’un sommet au petit matin, ou la beauté d’une phrase relue dix fois parce qu’elle touche juste. Il y aura seulement celles et ceux qui écrivent encore, et celles et ceux qui prennent le temps de lire. Ce contrat implicite est tout ce qui nous reste. Parce qu’à force de vouloir tout raconter en trois clics, on pourrait finir par oublier comment vivre ce qu’on prétend raconter.
- Le Népal verrouille l’Everest : fini l’alpinisme pour tous ?
L’Everest a fini par se lasser des touristes du dimanche. À force de laisser monter tout et n’importe qui vers son sommet, la montagne mythique menaçait de devenir le symbole du consumérisme en gore-tex. Le Népal vient de taper du poing sur la table et annonce une révolution alpine : dès 2026, seuls les alpinistes capables de prouver une ascension réussie à plus de 7 000 mètres (et pas n’importe où, au Népal uniquement) auront le droit d’aller tutoyer son sommet. En clair : pour grimper l’Everest , il faudra désormais montrer autre chose que sa carte bancaire ou son égo surdimensionné. Victime de son succès : l’Everest façon Disneyland Si Sir Edmund Hillary revenait faire un tour sur les flancs de l’Everest, pas sûr qu’il apprécierait le paysage. Ces dernières années, l’image désolante de centaines d’aspirants alpinistes faisant sagement la queue à plus de 8 000 mètres d’altitude a fait le tour du globe. Des files d’attente dignes d’un parc d’attractions, mais avec moins d’oxygène et plus de morts. En mai 2023, le désastre atteignait son paroxysme : 900 alpinistes coincés dans la tristement célèbre « zone de la mort » , provoquant indirectement la disparition de 17 personnes en quelques jours. Mourir en montagne, passe encore. Mais mourir d’avoir trop attendu son tour pour atteindre le sommet relève d’un ridicule cruel et morbide. Et que dire des tonnes de déchets jonchant les pentes glacées ? Les sommets de la chaîne himalayenne se sont progressivement transformés en une gigantesque déchetterie d’altitude, où bouteilles d’oxygène et tentes éventrées côtoient les excréments gelés des aventuriers pressés de redescendre. Nouvelle loi au Népal : le filtrage par l’expérience Face à ces images qui salissent autant la montagne que la réputation du pays, le Népal propose donc un projet de loi radical , déposé au Parlement en avril 2025 : aucun permis d’ascension de l’Everest ne sera désormais délivré sans la preuve d’une expérience préalable sur un sommet népalais de plus de 7 000 mètres. En résumé : finis les grimpeurs débutants venus jouer les héros sur le toit du monde. Avant de s’attaquer à l’Everest, il faudra désormais commencer par des montagnes moins instagrammables, histoire de faire ses classes sans prendre toute la chaîne himalayenne à témoin de son éventuel échec. Cette mesure n’est pas une lubie soudaine : déjà en 1996, le Népal avait tenté une règle similaire (à 6 000 mètres), vite abandonnée sous pression économique. Mais cette fois, le gouvernement semble décidé à tenir bon, convaincu que le jeu en vaut la chandelle. Guides exclusivement népalais : patriotisme ou verrouillage économique ? Autre aspect crucial du texte, moins consensuel : chaque expédition devra obligatoirement employer un guide principal népalais certifié, excluant ainsi les guides étrangers. La mesure ne plaît évidemment pas à tout le monde, notamment à Lukas Furtenbach , guide autrichien reconnu, pour qui l’important est la qualification IFMGA (certification internationale des guides), « peu importe le passeport ». Mais derrière la rhétorique sécuritaire, c’est bien une question économique qui transparaît : le Népal veut garder la main sur les bénéfices générés par les ascensions. Autant dire que derrière le débat sur la nationalité des guides, il y a aussi un discret mais puissant bras de fer économique entre agences locales et opérateurs internationaux. Une caution environnementale désormais obligatoire Sur l’aspect écologique, le projet népalais ne fait pas non plus dans la demi-mesure : exit la caution récupérable après avoir descendu quelques kilos de déchets ; bonjour la redevance environnementale obligatoire, non remboursable. Autrement dit, impossible désormais d’échapper à sa contribution au nettoyage des camps d’altitude. Cette mesure, sévère mais logique, sera directement intégrée au prix déjà exorbitant des permis d’ascension, assurant au moins une réelle prise en charge du nettoyage des lieux sacrés. Quant à la santé des alpinistes, là aussi, on arrête les frais : un certificat médical récent (moins d’un mois) devient obligatoire pour obtenir le précieux sésame vers le sommet. L’idée ? Limiter les sauvetages dramatiques qui coûtent cher et mettent en danger les équipes de secours en altitude. Un pari économique à haut risque Bien sûr, ce durcissement des règles inquiète les acteurs économiques locaux qui redoutent une chute du nombre de permis délivrés. Moins d’alpinistes, c’est potentiellement moins d’argent dans les caisses. Mais le Népal n’a pas froid aux yeux : dès septembre 2025, le prix du permis augmentera de 36 % , passant de 11 000 à 15 000 dollars par grimpeur. Avec cette hausse, le gouvernement fait le pari que les prétendants à l’Everest seront moins nombreux mais mieux préparés, plus solvables, et donc potentiellement tout aussi lucratifs. L’objectif est clair : moins de monde mais plus de valeur, en espérant éviter une catastrophe économique. Entre Chine et Pakistan : le Népal tente une troisième voie Cette nouvelle réglementation place le Népal dans une position intermédiaire intéressante. En Chine, le versant tibétain de l’Everest est déjà strictement réservé aux grimpeurs ayant fait leurs preuves sur un autre 8 000 mètres. Au Pakistan, c’est l’opposé : n’importe qui, sans critère préalable, peut tenter le K2 ou le Nanga Parbat, pourvu qu’il en assume les risques. En Europe enfin, sur le Mont Blanc notamment, pas de restriction stricte mais des tentatives locales de régulation (réservation obligatoire de refuges, cautions exigées, etc.). Le Népal invente ainsi un modèle hybride inédit, naviguant entre ouverture économique et régulation sécuritaire et écologique. La question qui demeure : ce modèle séduira-t-il assez les alpinistes pour être viable sur le long terme ? Révolution ou dénaturation ? Ce virage législatif interroge profondément l’essence même de l’alpinisme : doit-on réguler un rêve ? À force d’encadrer, l’Everest ne risque-t-il pas de perdre ce qui faisait précisément sa force : être une montagne d’exception, à conquérir avec liberté et responsabilité individuelle ? La ligne entre protection nécessaire et aseptisation excessive est ténue. Mais à voir les dérives récentes, difficile de nier l’urgence d’une remise en ordre. En résumé, le Népal vient de répondre très clairement à une question existentielle : non, l’Everest ne peut plus être une simple attraction pour touristes fortunés . L’Everest, c’est autre chose qu’une destination sur une bucket-list. C’est une expérience, une conquête, une aventure qui se mérite. Il fallait bien que quelqu’un remette l’église au milieu de la montagne. C’est désormais chose faite. À ceux qui veulent atteindre le sommet du monde, il reste une seule option : le faire pour les bonnes raisons. Et pour le reste, comme dirait l’autre, les neiges éternelles jugeront.
- Réenchanter l’incertitude : l’aventure comme antidote à une société du contrôle
Alors que l’époque s’évertue à contrôler l’incertitude jusqu’à la rendre suspecte, l’ouvrage collectif "L’aventure : réenchanter l’incertitude "(UGA Éditions, 2025), coordonné par Florence Roche, fait entendre une voix discordante. Grimpeurs, navigateurs, philosophes et sociologues se rassemblent pour défendre l’aventure non pas comme un simple loisir héroïque, mais comme une réponse philosophique et politique à l’obsession sécuritaire contemporaine. En cherchant sans cesse à neutraliser l’imprévu, nos sociétés ont oublié qu’habiter le monde, c’est précisément accepter d’y être vulnérable . Plutôt que de fuir cette vérité dérangeante, Florence Roche et ses contributeurs proposent d’en faire une force : réhabiliter l’aventure, c’est remettre l’incertitude au cœur de nos existences. Le GMHM : une rationalité du risque au service du collectif Dans l’imaginaire populaire, le Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) incarne facilement l’archétype de l’héroïsme alpin : exploits vertigineux, conditions extrêmes, bravoure physique. Pourtant, lorsqu’on écoute réellement ces personnes, lorsqu’on pénètre dans leur méthodologie intime, le cliché se dissipe rapidement. Leur aventure n’est pas une recherche gratuite de sensations fortes, ni une quête narcissique de sommets prestigieux. Elle se fonde au contraire sur une rationalité minutieuse, presque scientifique, du risque. Chaque décision est pesée, analysée, discutée en collectif. La formule emblématique « La mort fait partie des options » n’est ni une provocation ni une figure de style. C’est une acceptation profonde et sobre de la vulnérabilité humaine, condition sine qua non d’un engagement lucide dans l’incertitude radicale que constitue la haute montagne. Cette éthique du réel brut renvoie directement à une conception humble de l’aventure : elle n’est pas héroïque parce qu’elle défie le danger, mais précisément parce qu’elle l’anticipe et le domestique par le biais d’un savoir collectif et d’une vigilance constante. L’héroïsme du GMHM, c’est l’anti-spectaculaire, l’anti-performance médiatique : c’est le courage discret de décider ensemble, dans l’ombre, sans gloire immédiate, en tenant compte des failles humaines et matérielles. Ainsi, leur aventure devient un puissant révélateur de ce que pourrait être une société adulte face au risque : ni une négation naïve du danger, ni une dramatisation anxieuse, mais une intégration rationnelle et solidaire de l’imprévisible. Anne Quéméré : l’océan, expérience de l’extrême solitude À l’autre extrême de l’aventure collective et méthodique du GMHM se trouve Anne Quéméré. Son aventure solitaire en haute mer est l’expression radicale d’un autre rapport à l’incertitude : celui d’une solitude absolue face à l’immensité. Quand son téléphone satellite cesse brusquement de fonctionner en plein Pacifique, la privant de tout lien extérieur pendant 68 jours, elle expérimente une forme extrême de dépouillement existentiel. Là encore, nul romantisme de la solitude héroïque. Juste un face-à-face sans concession avec soi-même, avec ses doutes, avec la peur et avec l’inconnu. Son témoignage, extrêmement précis et sans emphase, est particulièrement dérangeant pour une époque obsédée par le maintien permanent du contact et du contrôle. « On enlève une panoplie dans laquelle on est un peu à l’étroit », dit-elle simplement, révélant ainsi que l’incertitude absolue a ceci de libérateur qu’elle nous dépouille des artifices et des protections dont nous avons tendance à nous encombrer. Anne Quéméré nous montre que l’aventure solitaire est aussi une épreuve philosophique : elle contraint à vivre le présent dans son immédiateté absolue, sans fuite possible dans le virtuel, sans échappatoire technologique, imposant une confrontation nue avec le réel et soi-même. Crise du héros moderne : pour une redéfinition de la bravoure Mais au-delà des témoignages concrets, l’ouvrage de Florence Roche livre une critique féroce et salutaire de la dérive spectaculaire du héros contemporain. Dans une société où chaque exploit doit être immédiatement partagé, liké, célébré, le sens véritable de l’aventure risque constamment d’être détourné. Face aux figures héroïques fabriquées par les marques et les médias, figures aseptisées et surpuissantes issues de Marvel ou Red Bull, l’ouvrage propose une vision radicalement différente de la bravoure. Celle-ci n’est plus performance spectaculaire, mais éthique intime du risque quotidien, bravoure modeste du doute et de la vulnérabilité assumée. Jankélévitch, cité dans l’ouvrage, rappelle avec acuité : « Pour qu’il y ait aventure, il faut être mortel ». Ce rappel essentiel ramène l’héroïsme à sa dimension authentiquement humaine : l’aventure véritable ne se mesure pas à l’exploit, mais à l’intensité existentielle, au courage discret d’habiter lucidement un monde complexe et incertain, sans chercher constamment à le dominer ou à en effacer les aspérités. C’est une critique subtile mais radicale du culte contemporain de l’hyper-performance, une invitation à renouer avec un héroïsme du quotidien fait d’incertitude acceptée et d’humilité devant la fragilité humaine. L’aventure comme ressource organisationnelle et politique Enfin, l’ouvrage porte un message plus politique encore : l’aventure et son rapport lucide à l’incertitude constituent une ressource précieuse pour les organisations modernes. Alors que l’imprévisible paralyse aujourd’hui les entreprises, administrations et institutions au moindre grain de sable, il y aurait beaucoup à apprendre de ces aventuriers du quotidien. En s’inspirant du mode de décision collectif des alpinistes ou de la résilience solitaire des navigateurs, les organisations pourraient réhabiliter une véritable éthique de l’incertitude. Celle-ci consisterait notamment à accepter l’échec comme possibilité permanente, à valoriser l’expérience vécue plus que les plans théoriques, à construire des systèmes collectifs fondés sur la confiance authentique et non sur des contrôles toujours plus sophistiqués. L’ouvrage devient alors presque un manifeste philosophique pour un renouveau organisationnel : il propose de transformer notre rapport à l’incertitude, non pas en la niant ou en la fuyant, mais en l’intégrant comme une ressource essentielle, voire comme un levier de créativité et de renouvellement politique et social. Ainsi réhabilitée, l’aventure pourrait redevenir non seulement une école existentielle, mais aussi un modèle fécond pour penser autrement nos sociétés saturées de contrôle et pourtant si fragiles face à l’imprévisible. Une révolution douce mais urgente, dont l’enjeu n’est rien moins que la réinvention de notre rapport au monde. Disponible en librairie et en ligne, pour le commander sur le site de la FNAC suivez ce lien .
- Everest express : le gaz xénon, nouveau raccourci vers le toit du monde ou impasse toxique ?
Fini les semaines interminables passées à monter, redescendre, remonter, grelotter dans sa tente et apprivoiser lentement le manque d’oxygène. Oubliez l’image romantique d’un alpinisme lent et humble, acceptant la loi naturelle des altitudes hostiles. Aujourd’hui, certains guides et leurs clients fortunés rêvent d’ascensions « express », raccourcies à l’extrême par un allié inattendu : le gaz xénon . Prochain exemple en date ? Al Carns, ministre britannique et ancien militaire des forces spéciales, accompagné de trois anciens camarades du même pedigree. Leur projet : gravir l’Everest en à peine quatre jours sur place . Arrivée prévue un lundi, sommet le jeudi, et retour à Londres dès dimanche pour le thé. Ambitieux ? Non. Déraisonnable ? Probablement. Xenon : ce gaz qui défie la montagne (et la science) Mais d’abord, c’est quoi exactement ce fameux gaz xénon ? Élément chimique classé parmi les « gaz nobles », inerte et sans odeur, il a fait carrière en médecine depuis les années 1950 comme anesthésique efficace mais très coûteux, utilisé seulement dans une poignée d’hôpitaux. Plus récemment, il s’est illustré comme dopant « indétectable » en Russie , activant artificiellement l’érythropoïétine (EPO), cette molécule magique qui pousse le corps à produire des globules rouges, indispensables au transport d’oxygène en altitude. Ce qui nous amène à l’idée lumineuse (et lucrative) d’appliquer ce principe à l’alpinisme : une inhalation préalable de xénon boosterait l’EPO, permettant aux grimpeurs d’arriver presque immédiatement acclimatés à haute altitude . Problème : aucune étude sérieuse ne valide vraiment l’efficacité du procédé sur le terrain, et les rares publications disponibles parlent d’un effet éphémère , quelques heures tout au plus. Pas suffisant pour tenir les longues journées d’effort au-delà de 8 000 mètres. En prime, ce « shoot » de gaz anesthésique, même à faible dose, induit souvent une certaine somnolence, potentiellement dangereuse en plein effort extrême . Pourtant, l’organisateur de l’expédition, Lukas Furtenbach, qui a déjà expérimenté la méthode sur l’Aconcagua , assure que ce risque est maîtrisé. Les fédérations d’alpinisme, elles, sont nettement moins enthousiastes, l’UIAA (Union Internationale des Associations d’Alpinisme) qualifiant carrément cette pratique de « dangereuse et non recommandée ». Petite histoire des méthodes pour tromper l’altitude L’envie de raccourcir l’épreuve de l’altitude ne date pas d’hier. Depuis que l’Himalaya s’est ouvert au tourisme montagnard, les guides rivalisent d’ingéniosité pour accélérer l’acclimatation et réduire les risques. Parmi les méthodes éprouvées : L’acclimatation progressive classique : la méthode traditionnelle, lente et laborieuse mais sûre. Des semaines d’aller-retour, « monter haut, dormir bas », pour habituer le corps. Efficace mais contraignante. La tente hypoxique : une pré-acclimatation artificielle, qui reproduit chez soi les effets de l’altitude grâce à un air raréfié en oxygène. On gagne du temps sur place, mais on dort mal à la maison. L’hypoxie intermittente : des sessions régulières et courtes d’exposition à un air pauvre en oxygène pour habituer progressivement l’organisme, souvent couplées à l’exercice physique. Efficace, mais exige discipline et logistique. L’oxygène en bouteille : la méthode reine, répandue sur l’Everest depuis les premières ascensions. Fiable, éprouvée, mais logistique lourde et dépendance risquée. Face à ces approches, le xénon apparaît aujourd’hui comme un outsider séduisant sur le papier, mais très fragile face aux réalités scientifiques et éthiques. Le gaz xénon : zone grise éthique et réglementaire La montée en puissance du gaz xénon pose aussi des questions éthiques essentielles : l’alpinisme, même non compétitif, doit-il tolérer une substance officiellement classée comme dopante par l’Agence mondiale antidopage (AMA) depuis 2014 ? La communauté montagnarde, divisée sur l’usage même de l’oxygène, se fracture encore plus face au xénon : D’un côté, les puristes dénoncent un « alpinisme assisté », voire une triche pure et simple, contraire aux valeurs d’autonomie, d’effort et d’humilité devant la montagne. Pour eux, le gaz xénon représente un pas de plus vers la marchandisation outrancière des sommets. De l’autre, les pragmatiques , comme Lukas Furtenbach, insistent sur la sécurité : « Plus vite on monte et on descend, moins on s’expose aux dangers objectifs », affirme-t-il. Argument valable, sauf que rien ne prouve que le xénon augmente réellement cette sécurité. Quant aux autorités, l’UIAA est catégorique : elle déconseille formellement l’usage hors d’un cadre médical strictement contrôlé . Pourtant, aucune réglementation officielle n’existe pour interdire le xénon en montagne – terrain de jeu encore largement dérégulé, livré aux seules consciences individuelles. Le business de la haute altitude : jusqu’où ira-t-on ? Derrière cette controverse pointe l’ombre grandissante de l’alpinisme commercial extrême. À 155 000 dollars le billet pour cette ascension express à coup de gaz rare, il s’agit clairement d’un produit d’exception réservé à une élite fortunée, prête à s’offrir l’Everest en fast-food de luxe. Al Carns ne s’en cache d’ailleurs pas : l’aventure express, spectaculaire et médiatique, vise à récolter plus d’un million de dollars pour diverses œuvres caritatives. Louable intention certes, mais qui interroge sur la frontière éthique du tourisme extrême : peut-on encore parler d’alpinisme quand l’effort physique et mental est court-circuité à ce point par une inhalation magique ? La montagne aura toujours le dernier mot Face à la promesse séduisante mais bancale du gaz xénon, la prudence reste de mise. Aucun raccourci technologique ne peut véritablement remplacer les adaptations naturelles du corps à l’altitude extrême. Les vétérans de l’Everest le rappellent : au-delà de 8 000 mètres, la nature a toujours le dernier mot. Et l’altitude, impitoyable, ne pardonne aucun excès de confiance. En choisissant ce chemin rapide mais incertain, les futurs clients des ascensions au xénon doivent savoir qu’ils prennent le risque de devenir les cobayes d’une expérimentation grandeur nature , menée dans une zone impitoyable. Le sommet de l’Everest s’atteindra toujours à pied, mais peut-être pas à coups d’inhalations miracles. Aux apprentis sorciers de la montagne, une question reste ouverte : si l’éthique s’évapore, que reste-t-il encore de l’alpinisme ?
- L’escalade sous influence : la verticalité à l’heure du scroll
Entre Adam Ondra qui vaut désormais autant pour ses 9b+ que pour son million d’abonnés, Magnus Midtbø qui cumule près d’un demi-milliard de vues sur YouTube, et des salles de bloc équipées en perches à selfie, l’escalade est passée de la marginalité au statut de « sport connecté ». Une verticalité en plein paradoxe, où la recherche du geste se mêle désormais à celle du scroll. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ? Sans doute un peu des deux. L’ère du spectacle : quand la grimpe joue la comédie humaine L’époque où grimper signifiait avant tout s’extraire de la société, chercher une forme de solitude assumée, parfois même une fuite volontaire loin du regard des autres, semble définitivement révolue. Aujourd’hui, grimper, c’est aussi – et peut-être surtout – se montrer. Non plus seulement aux yeux d’un compagnon de cordée complice ou d’un assureur patient, mais à une foule invisible de followers. L’escalade, elle aussi, semble avoir succombé à la tentation moderne du spectacle digital. Hannah Morris, grimpeuse et youtubeuse britannique (donc bien placée pour parler du sujet), soulève précisément cette ambiguïté dans une récente vidéo intitulée : « Is Social Media Ruining Rock Climbing? » . La grimpe, selon elle, vit un moment décisif où la verticalité authentique se voit doublée d’une verticalité numérique, celle du scroll infini. Une tendance qui promet autant qu’elle inquiète. Selon elle, cette tension entre la quête d'authenticité et l'appel du numérique trouve une illustration parfaite dans l’expérience vécue par Will Bosi sur un bloc dont la notoriété a été considérablement amplifiée par cette exposition digitale. Burden of Streams : Will Bosi et le bloc numérique Will Bosi, sur le mythique « Burden of Dreams » en Finlande, a attiré 80 000 spectateurs virtuels sur son livestream YouTube. Dans une scène à la fois amusante et troublante, Will Bosi, pourtant seul au milieu des bois, s’excuse auprès de son audience : « Désolé, la caméra est un peu loin aujourd’hui, mais je trouve que l’horizontal rend mieux. » Le grimpeur s’est fait réalisateur malgré lui, pris dans l’obsession d’une mise en scène parfaite. Signe révélateur que l’escalade moderne s’écrit autant sur la roche que dans le cadre numérique . Cette mutation n’est toutefois pas sans conséquence : à force de vivre sous l’œil permanent de la caméra, ne risque-t-on pas de perdre le contact direct avec la réalité même de la grimpe ? Derrière cette anecdote se cache alors une question plus intime, plus délicate peut-être : jusqu’à quel point notre rapport personnel à l’escalade s’en trouve-t-il modifié ? De la dopamine à la dopamime : grimper pour soi, ou pour ses followers ? Hannah Morris a l’honnêteté de pointer ce risque en le formulant ouvertement : « Pendant mes voyages d’escalade, ma satisfaction est souvent liée à la publication et aux réactions sur mon meilleur enchaînement, ce qui m’interroge sur mes vraies motivations. » Cette remarque fait mouche, car elle pointe un paradoxe bien contemporain : combien sommes-nous à consulter notre compteur de likes aussi instinctivement que la cotation d’un bloc qui nous résiste ? Selon l’auteur et grimpeur Dave Wetmore, les réseaux sociaux introduisent une pression nouvelle : même en grimpant seul, l’athlète peut désormais ressentir le poids d’une audience virtuelle permanente, poussant certains à prendre davantage de risques simplement pour « faire le spectacle ». Le risque, clairement identifié, est que le « soi numérique » finisse par prendre le dessus sur le « soi authentique ». Au-delà des motivations individuelles, l’impact des réseaux sociaux affecte également les lieux et les pratiques eux-mêmes, modifiant profondément notre manière d’explorer la grimpe. Quand Instagram dicte les spots : le diktat subtil du « cool » Dan Varian, fondateur de Beastmaker , résume parfaitement le piège du cool à l’ère du digital : « Quand quelqu’un de populaire grimpe un bloc, tout le monde va grimper ce même bloc. Résultat : des secteurs saturés, pendant que d’autres restent déserts simplement parce qu’ils ne sont pas assez cools. » Cette uniformisation invisible, insidieuse, pourrait transformer l’escalade en un gigantesque pan homogène où les prises seraient dictées non plus par l’inspiration, mais par l’imitation systématique. Au Colorado, le journaliste Matt Samet rapporte qu’à Eldorado Canyon, des blocs autrefois confidentiels connaissent désormais des afflux massifs après avoir été popularisés sur Instagram. Il raconte avoir vu des grimpeurs faire la queue sur le bloc « Resonated » (7c), simplement pour atteindre la prise emblématique le temps d’une photo avant de redescendre aussitôt, créant ainsi un phénomène inédit de « tourisme vertical de masse ». L’antidote serait sans doute de se rappeler que l’originalité se trouve rarement dans l’ombre d’une tendance virale. Pourtant, il serait injuste de réduire cette révolution numérique à ses seules dérives. Elle constitue aussi, pour les grimpeuses et grimpeurs eux-mêmes, une opportunité de se financer et de vivre de leur passion, quitte à endosser le rôle d’ambassadeurs. Grimpeurs ou ambassadeurs : quand la verticale fait vendre Aujourd’hui, les athlètes – même les plus authentiques – deviennent des relais publicitaires via Instagram ou YouTube, transformant leurs followers en monnaie d’échange. Voir Adam Ondra, incarnation par excellence du purisme sportif, promouvoir ponctuellement une boutique de costumes sur YouTube aurait semblé totalement surréaliste il y a seulement quelques années. Pourtant, c’est désormais chose courante. Plus largement, cette tendance modifie profondément la notion même de sponsoring : les athlètes ne sont plus sélectionnés uniquement pour leurs performances ou leur style de grimpe, mais aussi sur leur capacité à incarner les valeurs d’une marque – ou tout simplement sur la taille de leur communauté en ligne . Le nombre de followers devient alors un critère aussi déterminant qu’un palmarès de compétition. Ce nouveau modèle économique brouille subtilement les frontières entre sport, influence et marketing. Un signe de plus que l’escalade, elle aussi, se voit contrainte de composer avec les réalités d’une époque où même l’authenticité peut devenir un argument commercial. Du marginal au mainstream : une démocratisation bienvenue Mais les réseaux sociaux ne sont pas qu’un miroir aux alouettes numériques. Ils offrent aussi une voix à ceux que les médias traditionnels n’auraient jamais écoutés. Kathy Karlo, grimpeuse et animatrice du podcast For the Love of Climbing , souligne justement le rôle positif des réseaux sociaux : « Ils ont donné à chaque personne, quel que soit son parcours, la possibilité de s’exprimer sur des sujets d’inclusivité et d’accès équitable à la grimpe. » Cette démocratisation est précieuse : elle permet à l’escalade d’échapper aux vieux clichés, pour offrir une vision plus inclusive, plus diverse, plus accessible. L’escalade s’ouvre donc au monde, au risque parfois d’y perdre une partie de son intimité première, mais avec l’opportunité d’y gagner en humanité et en richesse culturelle. Face à ce panorama complexe, il reste une question essentielle à laquelle il faudra répondre collectivement : comment concilier ces deux versants du numérique pour que l’escalade en sorte grandie, et non appauvrie ? Vers une éthique numérique de la verticalité ? Avant l’ère numérique, les médias traditionnels constituaient des « garde-barrières médiatiques », sélectionnant soigneusement les exploits dignes d’être racontés. Aujourd’hui, comme le note Matt Samet, « Instagram est devenu la source principale des news d’escalade, livrant des histoires sans filtre directement par les grimpeurs eux-mêmes, contournant ainsi les gardiens médiatiques traditionnels. » Cette évolution a bouleversé la manière dont nous racontons et consommons l'escalade. Face à ces nouvelles dynamiques, l’enjeu consiste à préserver l’équilibre entre visibilité nécessaire et intimité préservée, entre dopamine numérique et plaisir authentique. À nous, grimpeuses et grimpeurs, de réinventer une éthique de la verticalité numérique. Une éthique qui accepterait sans naïveté les contraintes d’une époque connectée, tout en préservant ce qui fait de l’escalade une expérience unique : une relation intime à soi-même, aux autres, et surtout à ce caillou éternellement silencieux, mais paradoxalement plus vivant que jamais.