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Entretien exclusif : la vice-présidente de l’IFSC s’explique sur les dossiers chauds

Dernière mise à jour : il y a 18 heures

Naomi Cleary, vice-présidente des finances de l'IFSC, s'exprime pour la première fois. Entre l'absence des stars du circuit, la privatisation de la diffusion, l'arrêt brutal des NEOM Masters et les contradictions écologiques de l’organisation, Vertige Media l’a plongée dans les contradictions de l’institution. Et pour son premier saut, c’est peu dire que la dirigeante australienne ne s’est pas mouillée.


Naomi Cleary
Naomi Cleary lors de l'étape de Coupe du Monde à Chamonix en juillet 2025 © Jan Virt / IFSC

Vertige Media : Ici à Chamonix, nous constatons des absences notables de grands athlètes sur le circuit, qui ont préféré l'escalade en extérieur. Est-ce pour vous un sujet de préoccupation majeur ?


Naomi Cleary : Je pense que c'est tout à fait naturel. Nous sommes devenus un sport olympique et désormais, les athlètes gèrent leur performance en tenant compte du cycle de quatre ans. Je ne pense donc pas que nous les « perdions » ou qu'ils disparaissent, mais qu'ils choisissent leurs événements un peu plus soigneusement qu’avant.


Vertige Media : N’y a-t-il tout de même pas un enjeu, celui de rendre le circuit de compétition plus attrayant


Naomi Cleary : Je pense que nous travaillons toujours sur la manière de rendre nos événements attrayants. Il est important que les athlètes aient une bonne expérience et que l’on puisse produire un grand spectacle. Cela dit, on s’inscrit aussi dans une vision globale et aujourd’hui, une partie de cette vision nous indique que les athlètes doivent prendre soin d'eux.


Vertige Media : Certains athlètes expriment ouvertement que l'escalade en compétition ne les inspire plus. 


Naomi Cleary : L’escalade de compétition est un sport jeune. L'opportunité de pouvoir le faire évoluer est donc immense. Nous avons mis des choses en place, comme le fait d’augmenter le nombre de participant·e·s en demi-finale, de permettre aux athlètes de bénéficier de davantage d’exposition médiatique et plus globalement, de tirer plus d’avantage à venir à nos évènements. Je pense qu’avec le temps, et davantage de ressources, les compétitions seront plus attractives.


Vertige Media : Justement, l'IFSC s'est récemment associée à de nombreuses chaînes TV et de sociétés de production. Quels en ont été les résultats en termes de croissance des revenus et d'accessibilité pour les fans d'escalade ?


Naomi Cleary : Nous sommes très satisfaits. C'est formidable d'amener le sport à un public plus large. L'avantage de ces contrats, c’est que les fans de sport en général, les téléspectateurs en particulier, peuvent découvrir l’escalade sportive. La communauté de fans d’escalade va croître encore et encore. Davantage de personnes vont apprécier la beauté de notre sport. Donc pour moi, c'est un avantage.


« Concernant nos partenariats TV, ce n'est pas qu’une question d’argent. Notre objectif principal reste de toucher le grand public »

Vertige Media : Avec la diffusion de l'escalade sportive - désormais principalement accessible via des plateformes payantes -, certains observateurs dénoncent une « premiumisation » du circuit. Comment conciliez-vous développement commercial et préservation de l'essence même de ce sport ?


Naomi Cleary : Ce n'est pas qu’une question d’argent. Notre objectif principal reste de toucher le grand public. Dans beaucoup de parties du monde, les compétitions sont encore disponibles gratuitement sur YouTube. Et pour ce qui est de celles où nous avons conclu des partenariats, je reste persuadé que cela amène de nouveaux publics. Ce ne sont pas forcément des grimpeurs ou des fans qui vont pro-activement aller chercher les retransmissions mais d’autres personnes qui vont découvrir l'escalade en parcourant leurs chaînes. En Chine par exemple, l’audience s’est décuplée grâce au partenariat que nous avons noué avec la télévision nationale (CCTV, ndlr).


Vertige Media : Il y a aussi un intérêt économique certain.


Naomi Cleary : Oui, c’est une source de revenus qui nous permet de réinvestir dans la qualité de nos évènements et la professionnalisation de l’escalade. Ce n’est pas encore une source majeure, car nous ne voulons pas être trop dépendant·e·s d’un modèle unique.


Vertige Media : Les NEOM IFSC Masters ne reviendront pas en 2025. Pouvez-vous expliquer pourquoi cette décision a été prise ? 


Naomi Cleary : Pour nous, c'était l’expérience d'un nouvel événement organisé par un partenaire. Nous avions un accord sur plusieurs années. Il s’est terminé après deux ans.


Vertige Media : D’accord mais l'IFSC est demeurée silencieuse sur cet arrêt prématuré. Pourquoi ne pas avoir communiqué clairement sur la décision ?


Naomi Cleary : Ce sont eux qui ont décidé d’arrêter.


Vertige Media : Avez-vous compris l’inconfort voire le malaise des athlètes quant à votre décision de participer au NEOM IFSC Masters ?


Naomi Cleary : Je comprends que chaque fois que nous tentons quelque chose de nouveau, il faut du temps pour s'y habituer. Pour nous, il est important d'essayer des choses. Nous ne poursuivons pas toujours ce que nous essayons. C’est par exemple le cas  du test de vitesse à quatre voies. Cela fait partie de l’évolution d’un sport jeune dont je parlais précédemment. On essaie d’offrir des opportunités à nos athlètes, à tous les niveaux, et permettre à un groupe aussi large que possible de vivre des événements d’ampleur.


« Je pense que nous avons commencé avec bien moins que 8% d’ouvreuses, donc nous sommes sur la bonne voie »

Vertige Media : Malgré vos engagements envers l'égalité des genres, seulement 8% des ouvreurs des compétitions IFSC sont des femmes. Comment expliquez-vous ce décalage ?


Naomi Cleary : Je pense que nous avons commencé avec bien moins que 8%, donc nous sommes sur la bonne voie. Mais il est important de s'assurer que, à mesure que les ouvreuses arrivent, elles soient correctement soutenues, possèdent des opportunités et engrangent de l'expérience. Les ouvreuses des Coupes du monde, des Championnats du monde sont la partie émergée de l’iceberg. Désormais, il faut renforcer la base à tous les niveaux, afin que ces personnes puissent gravir les échelons. Nous travaillons donc avec les fédérations nationales pour qu’elles puissent former davantage d’ouvreuses dans leur pays.


Vertige Media : L'IFSC promet une réduction de 50% de ses émissions carbones d'ici 2030 tout en élargissant le circuit de 9 à 14 étapes. Comment est-ce mathématiquement possible ?


Naomi Cleary : Il y a toujours un équilibre à trouver à mesure que nous grandissons. Il est important d’introduire l'escalade dans le monde entier. Avant, beaucoup d’étapes de Coupe du monde se déroulaient en Europe, mais il est désormais essentiel pour nous d'organiser des événements dans d’autres parties du globe. Nous travaillons beaucoup pour rationaliser la progression de notre circuit, pour qu’il soit logique, afin que les athlètes n'aient pas à voyager à travers le monde en zig-zag. Nous nous efforçons aussi de construire un calendrier pérenne, aussi durable que possible, pour ne pas le détricoter chaque année. 


« Peu de temps a passé depuis la communication de nos objectifs de durabilité. Je ne peux pas dire que grand-chose a changé »

Vertige Media : Quand pouvons-nous attendre des données claires sur l'empreinte carbone des événements de l’IFSC, comme ce que la FFME en France a déjà réalisé ?


Naomi Cleary : Je ne suis pas sûre de pouvoir m’engager sur un calendrier. Je ne sais pas quand nous aurons des données disponibles à communiquer. Nous sommes au début du chemin. La Commission chargée de ces questions vient d'être nommée. Nous devons donc nous assurer que les personnes qui communiqueront sur ces progrès sont celles qui produisent ce travail. Elles n'ont même pas encore eu leur première réunion, donc je ne me permettrai pas, en leur nom, de promettre un quelconque calendrier sur la progression de leurs sujets.


Vertige Media : D’accord mais pouvez-vous assurer que l’IFSC parviendra à tenir ses engagements de durabilité en 2030 ?


Naomi Cleary : Peu de temps a passé depuis février (et la publication du rapport dans lequel la fédération avait annoncé ses objectifs, ndlr). Je ne peux pas dire que grand-chose a changé.


« Je viens du monde de la finance. C’est aussi pour cela que la soutenabilité financière m’importe autant que la soutenabilité écologique »

Vertige Media : Si vous deviez citer un seul enjeu parmi tous ceux auxquels la fédération est confrontée, quel serait-il ?


Naomi Cleary : Vous savez, le conseil d’administration de l’IFSC est tout nouveau. Nous sommes en train d’apprendre à nous connaître. Nous venons juste de tenir notre première réunion physique au siège, à Turin. Le groupe se forme. Ce que j’apprécie, c’est qu’il est composé de voix très différentes, de parcours variés, d’expériences diverses. Moi-même j’ai découvert l’escalade quand mes enfants ont commencé à pratiquer la discipline. Je viens du monde de la finance. C’est aussi pour cela que je porte des sujets économiques vitaux pour la fédération. Nous parlons beaucoup de soutenabilité écologique mais la soutenabilité financière m’importe tout autant. Il est essentiel que nous trouvions un modèle économique stable et pérenne pour notre sport. Que ce modèle protège la culture de l’escalade mais permette aussi son développement et sa professionnalisation.


Vertige Media : Comment expliquez-vous la popularité croissante de l'escalade sportive ces 15 dernières années ?


Naomi Cleary : C'est facile à expliquer : c'est un sport génial. Il y a un aspect que nous n’avons pas abordé : c’est la croissance continue des salles privées d’escalade dans le monde entier. Il y a de plus en plus d’endroits et donc d’opportunités de pratiquer notre sport. De plus en plus de publics peuvent découvrir l’escalade à la télévision mais ils peuvent aussi la pratiquer davantage, ou permettre à leurs enfants d’essayer. Quand ma grande fille a commencé en Australie, il fallait faire 2h30 de route pour l’emmener à la salle où elle s’entraînait en équipe. Aujourd’hui, nous en avons une à dix minutes de chez nous.

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