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Coupes du monde d’escalade : à bout de souffle ?

  • Photo du rédacteur: Kayoo
    Kayoo
  • 25 avr.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 29 avr.

La semaine dernière, la première coupe du monde d’escalade de la saison s'achevait à Keqiao en Chine. Et avec elle, le premier test de nouvelles réglementations implantées par la fédération internationale, l’IFSC, pour la discipline du bloc laissant les spectateurs face à un constat mitigé. Décryptage.


ANRAKU Sorato
© Nakajima Kazushige / IFSC

Il y a encore une dizaine d'années, l'escalade compétitive voyageait sur un long fleuve tranquille. Un enchaînement de coupes et championnats du monde dans un rythme cyclique, tranquille. Jusqu’à ce que la randonnée prenne des airs d’ultra-trail avec l’entrée de la discipline aux Jeux Olympiques. Entre exigences télévisuelles et besoin de capter l'attention des plus néophytes, l'escalade se cherche et chaque année apporte son lot de changements.


Keqiao, késako ?


À Keqiao, ils étaient au nombre de 3 : 

👉 une augmentation du nombre de grimpeurs en finale passant de 6 à 8 👉 l'évolution du système de scoring 

👉 et surtout, le changement de mode de passage des athlètes en finale, avec désormais deux grimpeurs en simultané sur les tapis.


Un dernier changement avec un but assumé : réduire les temps morts et maximiser le temps d'action sur le mur pour le spectateur.  À première vue, cette décision peut faire sens. Quiconque aura déjà vécu une finale avec très peu de tops le confessera : l'ennui s'immisce facilement. Or, dans un sport comme l'escalade où tout repose sur l'ouverture, la probabilité d'occurrence est élevée et plus les enjeux sont grands, moins l'aléatoire est toléré. Alors, on l'éradique. Quitte à dénaturer l'essence même du sport.


À Keqiao, le système de ronde présentant deux athlètes simultanés en finale aura mis en lumière ses qualités autant que ses défauts. D’abord, gageons que l’objectif principal est atteint : il se passe quasiment toujours un truc à l’écran. Et dans des finales difficiles - notamment celle des femmes avec seulement 5 tops sur 32 possibles dont 4 sur le bloc 3 -ce nouveau format aura largement réduit l’impression d’un scénario qui piétine… Ensuite, posons que l'exécution est un peu ratée. Si doubler le temps d’action à l’image peut s’apprécier, la réalisation de l'événement a opté pour un plan large. Bien trop large pour suivre avec confort les deux athlètes sur les tapis. Cadrage approximatif, alternance de plan discutable, manque de niveau de détails… autant de sources de frustrations pour le téléspectateur incapable de suivre la totalité de la finale et parfois même empêché de pouvoir suivre son grimpeur préféré.


Keqiao 2025 IFSC
Plan large pendant la finale féminine

Pourtant, une solution peut facilement s’imposer : l’écran scindé. Une technologie éprouvée dans les réalisations de l’IFSC en compétition mais toujours avec une parcimonie assez mystérieuse. Nul doute que si ce système de grimpe en simultanée persiste, celui-ci devra devenir une obligation.


Chargé à bloc 


Alors voilà, Keqiao a montré les défauts du système, quelques lacunes de réalisation à corriger pour enfin en arriver au format parfait ? Et bien pas tout à fait, car derrière ces balbutiements techniques finalement faciles à régler, se cache un autre constat : à vouloir éradiquer les temps morts, on sacrifie inévitablement le reste, à savoir, là où l’action est jugée la moins « intéressante ». Sauf que dans ce terme subjectif, on place irrémédiablement deux choses : les finalistes moins performants et les blocs les plus difficiles. Arriver en finale de coupe du monde, c’est pourtant quelque chose et chaque membre de ce plateau prestigieux devrait avoir le droit qu’on patiente pour lui. Combler sa présence par une autre, c’est avouer ouvertement que notre divertissement passe avant sa performance.

Sans dire que ne pas suivre un grimpeur, c’est rater une partie de l'histoire, éclipser l’un des personnages principaux du récit et un grimpeur dans l’échec peut en dire bien plus sur l’état d’une finale qu’un flasheur fou. Pour s’en rendre compte, il suffit, par exemple, de regarder les réactions d’un Mejdi Schalck ou d’une Vita Lukan. Quant aux blocs « trop difficiles », grands sacrifiés de ce nouveau format à l’image du bloc 2 de la finale femme dont le temps d’antenne aura été largement moindre que ses homologues mieux réussis, n'est-ce pas ceux-là même qui donnent toute la saveur d'un top ? Et si cela ne faisait pas partie de la mythologie d’un sport qui a besoin de montrer des tentatives, des échecs, des épopées bravaches pour que les athlètes et celles et ceux qui les suivent puissent mieux exulter quand ils les franchissent ? 

Hachioji 2023, Mejdi Schalck, encore lui, entérine sa victoire avec un goût d'amertume, le dernier bloc lui résiste, comme à tous les autres finalistes avant lui. 25 minutes sans avancée notable dans la compétition, pourtant les grimpeurs, eux, ont progressé silencieusement. Championnats du monde de Berne, 5 mois plus tard, problème différent mais mouvement similaire. Depuis, Mejdi a travaillé et réussi le bloc, prenant une place de vice champion du monde. Un instant plus particulier pour ceux qui auront regardé jusqu'au bout cette finale d'Hachioji dont le goût d'inachevé s'était simplement reporté jusqu'ici.

Disons-le franchement : le risque de s’habituer à l’absence de frustrations, c’est aussi risquer d’oublier à quel point une belle finale l’est vraiment.


Le succès, c'est (se) tromper


En escalade, la respiration est vitale, elle oxygène les muscles, et vous permet de continuer à grimper sans exploser. En télé, la supprimer, c’est donner la désagréable sensation d'une réalisation sous apnée. Et à trop vouloir éviter l’ennui, c’est tout un sport qu’on prive d’oxygène. 

Ces temps de repos, c’est l’essence d’une finale. Le public averti le sait, un grimpeur n'est jamais vraiment au repos. Il analyse, il lit, il observe, il gère son effort. Autant de gestes à décrypter pour le spectateur assis devant son écran. Lui non plus n’attend pas, il se remémore, il s’extasie sur le dernier mouvement qu’il vient de voir, il élabore les plus extraordinaires théories sur la suite de l’histoire, bref il vit sa propre finale.


Retirer tous ces moments, c’est aussi retirer le plaisir de la réalisation, ce coup de tonnerre qui vient briser notre attente incertaine. Et les laisser se faire envahir par du contenu, c’est se fondre dans la mouvance actuelle, briser notre capacité d’attention, dire oui à l’accoutumance. C’est le risque d’oublier tout cela et celui de s'enfoncer dans cette philosophie autodestructrice du « toujours plus » quitte à ne plus rien ressentir.


Une raison d’espérer cependant : par ses changements, l’IFSC montre que, pour elle, l'escalade n'est pas un sport immuable. La fédération cherche, itère, quitte à se rater et la récente annonce de la séparation des trois disciplines aux Jeux Olympiques de Los Angeles 2028 affiche sa volonté de protéger l’identité de l’escalade coûte que coûte.


Ces changements de règlements sont à prendre comme autant d'essais à transformer le bloc en format télégénique exaltant. Car ne soyons pas naïf : la discipline souffrirait moins d’une réalisation erratique que d’une exclusion de la plus prestigieuse des compétitions. Ces choix de réalisation agissent comme une bouée de sauvetage. Reste à assurer qu’elle n’empêche pas à l’escalade de respirer. 

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