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Coupe du monde IFSC Chamonix : l'escalade sportive face au défi climatique

La Coupe du Monde d’escalade débarque à Chamonix et avec elle, mille et une questions sur son empreinte écologique. Organisée dans l’une des vallées les plus polluées de France, l’étape chamoniarde du circuit IFSC est-elle la représentation d’une politique dépassée en matière d’écologie ? Plein gaz sur les dissonances de l'escalade sportive qui cherche encore sa voie.


L'empreinte carbone IFSC.
Coupe du monde d'escalade IFSC à Chamonix, 2024 © David Pillet

À deux jours du lancement de la Coupe du monde d'escalade, Chamonix vibre d'une effervescence particulière. Sur l'emblématique place du Mont-Blanc, les équipes techniques s'affairent autour du mur de compétition qui accueillera les épreuves de vitesse et de difficulté du 11 au 13 juillet prochains. Plus de 20 000 spectateurs sont attendus pour trois jours de spectacle gratuit et ouvert à tous. Mais derrière cette émulation, une crispation invisible : dans l'air, un voile gris, tenace, parfois confondu avec la brume matinale, recouvre la vallée. Ici, le mythe de la montagne chaste se confronte à la réalité d'une des zones les plus polluées de France.


L’IFSC, complètement carbo


Cette étape chamoniarde survient dans un contexte particulier. La semaine dernière, le Haut conseil pour le climat alertait que les émissions de CO₂ en France ont cessé de baisser dans des proportions qui permettent de limiter le réchauffement climatique. Le gouvernement vient d’admettre que le pays ne se trouvait plus sur la trajectoire pour tenir ses engagements climatiques de l’Accord de Paris. La montagne, premier témoin du réchauffement (+2,2°C en moyenne en France, ndlr), voit ses glaciers reculer, ses falaises se fissurer, et sa pollution chronique révéler les limites d’un modèle. Or, ce sont précisément ces territoires qui accueillent aussi les grandes compétitions sportives.


De son côté, l'International Federation of Sport Climbing (IFSC), organisatrice du circuit mondial d’escalade compétitive, n’a pas ménagé ses effets d'annonce. Le 11 février dernier, la fédération publiait un rapport de durabilité intitulé « IFSC Sustainability – 2024 Actions Overview ». Un document d'une dizaine de pages censé détailler ses engagements climatiques. Le plan ? Baisser les émissions de ses évènements pour atteindre la neutralité carbone en 2040. Ce qui veut dire les diminuer de 15% d’ici 2025 et de 50% d’ici 2030. Dans ce même rapport d’activité 2024, l'IFSC annonçait également avoir compensé plus de 4 160 tonnes de CO₂. Ce qui signifie que ses compétitions en ont émise au moins l’équivalent.


À la lecture du document, difficile de trouver davantage d’informations. Impossible même de connaître précisément l’empreinte carbone d’une étape de Coupe du monde organisée par la fédération. Sur quelques pages, on peut seulement consulter un tableau qui propose l’impact des déplacements professionnels du personnel de l'IFSC, en précisant que la direction a encouragé son staff à préférer le vélo ou la marche pour se rendre au travail. De bien maigres éléments si on les met en regard de la communication bravache du début d’année. D’autant plus que dans ce même rapport d’activité, la fédération internationale d’escalade insiste sur la compensation carbone qui prévoit de soutenir des projets climat - de reforestation principalement - afin de compenser les émissions effectivement rejetées dans l’atmosphère. Une pratique que beaucoup d’experts climatiques ont coutume de taxer d’esquive. Comme ceux de Carbone 4 (cabinet de conseil de référence sur les enjeux énergie et climat fondé par Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, ndlr ) dont le référentiel souligne que même si on compense ses émissions vers d’autres projets, le CO₂, lui, reste dans l’air.


C’est dans l’air


Selon ces mêmes experts, il faudrait au moins pouvoir montrer le chemin de la réduction réelle. Et il est justement difficile de l’apercevoir quand on se penche sur les dernières évolutions du circuit de l’IFSC. Alors que la fédération annonce vouloir réduire son impact, le circuit est passé de 9 étapes en 2024 à 13 cette année, notamment avec l’ajout d'un nouveau continent (l’Amérique du Sud avec une étape organisée au Brésil, ndlr). Le raisonnement devient alors mathématique : davantage d’étapes équivalent à davantage de déplacements donc davantage d’émissions.


 « Il n’y a pas encore de dialogues structurants sur les questions de décarbonation avec les décisionnaires de l’IFSC. Nous sommes au tout départ d’une prise de conscience »

Thibaut Zimmermann, chargé de mission RSO à la FFME


Comment expliquer ce manque d’informations de la part de la fédération internationale d’escalade ? Difficile à dire. Contactée par Vertige Media, la direction de la communication de l’institution n’est jamais revenue vers nous. Les rares traces d’informations tangibles sur une étape du circuit de Coupe du Monde proviennent d’un travail de la Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade (FFME) datant de 2023. Dans un rapport consacré à l’empreinte des compétitions qu’elle organise, la fédération a calculé celle de l’étape de Coupe du monde à Briançon de 2023. Résultat ? 805 tonnes de CO₂ eq. Dedans, on y lit aussi des détails intéressants sur la répartition de l’empreinte carbone parmi certaines catégories. Aussi, 80% des émissions concernent le déplacement des spectateurs. Celui des athlètes, quant à lui, ne représente « que » 7% tandis que les 13% restants concernent les autres postes émissifs comme la restauration, les infrastructures ou encore l’hébergement.


Empreinte carbone escalade Briançon
Infographie réalisée grâce au travail préliminaires des équipes de la FFME © Vertige Media

Récemment nommé au poste de chargé de mission RSO (pour Responsabilité sociétale des organisations, ndlr) à la FFME, Thibaut Zimmermann indique qu’il s’agit « d’une démarche embryonnaire ». Une sorte de travail préparatoire qui n'a pas été renouvelé en 2024 mais qui le sera, d’après lui cette année, à l'occasion de la Coupe du monde d’escalade à Chamonix. « Le travail s’effectue assez facilement grâce à un outil de calcul développé par le Comité d’Organisation de Paris 2024 : Coach Climat, continue Thibaut Zimmermann. Concernant Briançon en 2023, on a vite pu s’apercevoir que le poste le plus émissif était celui des trajets de spectateurs, qui venaient en voiture. » Pour le salarié de la FFME, ce type de travail, en mesurant les principaux postes d’émissions, permet de cibler les actions de la fédération en réduisant ce qui peut l’être et en compensant les émissions incompressibles (infrastructures, hébergement, déplacement d’athlètes…).


À la question de savoir pourquoi l’IFSC n’affiche pas plus d’informations sur son empreinte, Thibaut Zimmermann évoque « un travail naissant ». Il confie siéger depuis peu au sein de la commission « développement durable » de l’IFSC Europe. « Il n’y a pas encore de dialogues structurants sur ces questions avec les décisionnaires de la fédération internationale, poursuit-il. Nous sommes au tout départ d’une prise de conscience ». 


Enfer des tonnes


Reste que l’on peut à présent contextualiser ses chiffres. Grâce au travail préparatoire de la FFME et de la transparence de plus en plus forte des évènements sportifs internationaux sur leur impact, nous pouvons désormais mettre en regard ce qu’émet une étape de Coupe du monde comme celle de Briançon (qui a par ailleurs disparu du nouveau calendrier de l’IFSC, ndlr) avec d’autres compétitions de haut-niveau. Son empreinte reste ainsi très modeste comparée aux Grands évènements sportifs internationaux (GESI) comme un Grand Prix de Formule 1 qui génère environ 2 600 t CO₂ sur un week-end ou Le Tour de France 2021 qui émettait 216 000 tonnes de CO₂ sur une vingtaine de jours. Rapportée à des évènements qui sont également organisés dans les Alpes, une étape de Coupe du Monde d’escalade aurait 4 fois moins d’impact que l’UTMB (Ultra Trail du Mont-Blanc, ndlr), qui a rassemblé plus de 100 000 personnes en 2023. Comparaison n'est pas toujours raison. Beaucoup d'experts soulignent qu'il faudrait raisonner en « intensité carbone par spectateur » pour analyser des ordres de grandeur pertinents.


Empreinte carbone évènements sportifs
Notons que chaque évènement n'a forcément pas la même dimension, ni en terme de spectateurs ni en termes de durée. Une Coupe du monde de football peut durer un mois et demi alors qu'une étape de Coupe du monde d'escalade dure trois jours. Insistons sur le fait qu'il faudrait calculer « l'intensité carbone par spectateur » pour dresser des comparaisons véritablement pertinentes. Cela dit, ces ordres de grandeur permettent de situer les évènements entre eux. © Vertige Media

« On peut raisonnablement supposer que celle de cette année, à Chamonix, aura une empreinte carbone supérieure à celle de Briançon en 2023, précise Thibault Zimmermann. Il y aura en effet plus de spectateurs, et donc nécessairement une empreinte carbone liée aux déplacements plus élevée. Néanmoins, malgré des ordres de grandeur plus petits que les GESI, il reste quand même des défis que l’on peut relever. » D’autant plus que les enjeux climatiques semblent considérables dans une des vallées montagneuses les plus polluées au monde. Celle de Chamonix-Mont-Blanc et celle de l’Arve, voisine, subissent parfois les pires pics de pollution de France. En cause ? Le tunnel du Mont-Blanc où passent 500 000 poids lourds par an. L’incinérateur de la commune de Passy aussi, qui brûle en moyenne 60 000 tonnes de déchets par an. Ajoutez à cela une topographie qui piège les particules fines et les autres polluants et vous obtenez un endroit où il devient dangereux de faire du sport de haut niveau, voire du sport tout court.


« Je pense que le principal levier reste la mobilité, insiste Thibault Zimmermann. À Chamonix, des mesures incitatives pourraient être mises en place afin d’encourager les spectateurs à privilégier les modes de transport les moins émetteurs. » Le chargé de mission RSO de la FFME fait notamment référence à l’organisation du marathon du Mont-Blanc qui pour sa dernière édition a décidé de réserver 40% des dossards aux participants venant en train ou en bus. Pour autant, il souligne aussi que la responsabilité ne doit pas reposer que sur les spectateurs : « Les athlètes ont aussi un rôle à jouer. Sensibiliser, montrer l’exemple, faire du train la norme pour les déplacements nationaux… C’est aussi une question de culture sportive ».


Du gaz et du brouillard


Parmi les experts en bilan carbone propre aux évènements sportifs, d’aucuns considèrent que la clé reste structurelle. En s’empêchant de questionner le modèle même du calendrier international, les fédérations sportives risquent d’éluder un défi inéluctable, qui se pose depuis bien trop longtemps. Souvent, les réponses existent déjà, et l’IFSC pourrait être bien avisée - plutôt que d’augmenter les étapes de son circuit - de régionaliser ses compétitions voire d'offrir des finales centralisées. La spécificité de l'escalade tient aussi à sa relation intime avec l'environnement. On ne grimpe pas que sur de la résine, mais sur du rocher, des falaises, des montagnes. Qu’on le veuille ou non, cette authenticité oblige les représentants d’une discipline à être exemplaires et non pas seulement à afficher des ambitions. Dans un monde où la crise climatique s'accélère, où la montagne devient plus dangereuse, plus vulnérable, continuer à organiser des événements « comme avant » en ne se réduisant qu’à compenser son empreinte carbone relève de l’aveuglement. 


L'escalade sportive se trouve aujourd'hui à un carrefour. D'un côté, le rêve d'expansion mondiale, de spectacle, de démocratisation du sport. De l'autre, la réalité d'un monde qui se réchauffe et le terrain de jeu d’une discipline - la montagne, donc - qui en paie le prix fort. Entre ces deux logiques, il n’est pas forcément question de choisir. Il faudra plutôt inventer. Inventer un modèle sobre mais vibrant, local mais universel, exemplaire mais accessible. L'escalade, sport de nature par excellence, a sans doute une carte à jouer dans cette invention collective. À condition de passer des mots aux actes, des rapports aux (r)évolutions, de la compensation à la transformation. Ce weekend, Chamonix, dans sa beauté polluée, nous rappellera que l'urgence n'est plus climatique : elle est sociétale. 

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