Chamonix 2025 : le paradoxe d'un succès
- Pierre-Gaël Pasquiou

- 15 juil.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 août
Avec près de 18 500 spectateurs réunis dimanche soir (selon Le Dauphiné Libéré), la Coupe du monde d'escalade 2025 à Chamonix a battu tous les records. Entre un public conquis, des performances marquantes, des innovations marketing notables mais aussi quelques frictions organisationnelles, l’événement a confirmé sa place majeure dans le calendrier international. Retour complet et sans filtre sur un week-end qui laisse présager des évolutions importantes pour le futur de la compétition.

Sous le regard placide du Mont-Blanc, la Place du même nom a pris des airs d'arène bouillante, pulsant au rythme des finales de vitesse et de difficulté d'escalade sportive. Certes, la difficulté conserve toujours son statut royal, mais le succès étonnant de l'épreuve de vitesse, samedi soir, a bousculé quelques certitudes, confirmant l'émergence spectaculaire d'une discipline plus jeune, plus médiatique, et qui attire désormais autant les néophytes curieux que les grimpeurs les plus chevronnés.
Mais derrière cette euphorie populaire qui fait les gros titres, d'autres enjeux affleurent discrètement. L'événement est à un tournant, tiraillé entre des choix organisationnels contestés, une amorce timide - mais bien réelle - vers la marchandisation, et l'ombre persistante de Briançon, grande absente du calendrier 2025.
Affluence record et perfs' explosives : la vitesse monte, la difficulté régale
La vitesse, longtemps regardée de travers par les puristes, est parvenue à renverser la table samedi soir en rameutant une foule inattendue et débordante d'énergie. On savait la discipline spectaculaire, on la découvre désormais franchement populaire. Sur le mur, l'Américain Sam Watson et l'invincible Polonaise Aleksandra Miroslaw ont fait régner leur loi sans partage. Chez les Bleus, Pierre Rebreyend a profité des qualifications pour claquer un nouveau record national en 5”08 : un exploit personnel impressionnant, mais qui ne suffit pas encore à décrocher une médaille.
Dimanche, changement d'ambiance et retour aux fondamentaux avec la finale de difficulté devant une foule record. Les Françaises Camille Pouget et Zélia Avezou ont tenu tout Chamonix en haleine jusqu'au bout, accrochant de belles 5ᵉ et 6ᵉ places devant leur public chauffé à blanc. Et c'est la Coréenne Chaehyun Seo qui s'impose alors qu'on attendait plutôt Annie Sanders ou Erin McNeice. Au sommet chez les hommes, le Japonais Sorato Anraku s'impose devant l'Espagnol Alberto Gines Lopez et le sémillant Filip Schenk.
Village des marques : grosses prises, grands coups et pari réussi pour Simond
Cette année, le village des marques ressemblait davantage à une opération commando du marketing vertical qu’à un banal alignement de stands promotionnels. Scarpa, YY Vertical, EP Climbing : tous les poids lourds du secteur étaient là, à vendre des chaussons par cartons entiers, des prises à la pelle, et même, fait improbable, des volumes géants qu’on imaginait mal repartir autrement qu’en camion-grue. Ambiance de bazar branché, avec en arrière-plan le bip régulier des terminaux bancaires chauffés à blanc.
Au milieu de ce joyeux tumulte, c'est la marque Simond qui a dégainé le coup parfait : un spraywall XXL, audacieux et immanquable, ouvert par Pierre Broyer, l’ouvreur-star incontournable pour quiconque sait apprécier autre chose que les blocs standardisés des grandes chaînes urbaines. Un mur-phénomène qui a littéralement avalé l’attention du public et des réseaux sociaux pendant trois jours entiers. En coulisses, Nathalie Jacquier, nouvelle boss du marketing de Simond, affichait le sourire satisfait de celles qui ont parfaitement réussi leur coup. Cerise sur le gâteau : la visite discrète mais très remarquée de Monsieur Simond lui-même, histoire de rappeler à toutes et tous que derrière l’industrie et le business se cache toujours une petite part de légende locale.
Organisation et médias : souriez, vous êtes surveillés
Derrière l’ambiance survoltée côté public et l’énergie impeccable des bénévoles, la salle de presse avait aussi ses petites histoires. Si l'atmosphère générale restait conviviale – entre retrouvailles chaleureuses, complicités évidentes et parfois rivalités gentiment assumées –, nous en avons profité pour faire de belles rencontres, comme celle de Martin Baudry, tout nouveau rédacteur en chef de Grimper, avec qui les échanges sur l’avenir du métier et du secteur se sont avérés particulièrement enrichissants.

Mais dès vendredi soir, certains choix organisationnels ont rapidement pesé sur le quotidien des photographes et vidéastes. Cette année, la zone réservée aux photographes était sensiblement réduite par rapport aux éditions précédentes, obligeant ces derniers à travailler sous les mêmes angles limités. « On se retrouve tous sous les fesses des athlètes », déplorait dimanche soir David Pillet, photographe reconnu et habitué incontournable de l’étape chamoniarde. Il nous explique aussi que l'an dernier, il était possible de s’approcher davantage du mur et de varier ses prises de vue pour proposer des images vraiment différentes. Assailli par les demandes des athlètes espérant récupérer ses clichés toujours très attendus, David Pillet confiait, un brin désabusé : « C’est très peu probable que je revienne l'an prochain ». Un signal faible à ne surtout pas ignorer.
Premiers pas vers une monétisation : places assises et tensions discrètes
Cette édition 2025 a discrètement marqué une première étape significative vers la marchandisation de l’événement. Pour la première fois cette année, le public pouvait réserver des places assises afin de suivre les finales dans un confort inédit : vue dégagée garantie, accès privilégié à son siège et surtout l'assurance d’éviter la bataille habituelle pour obtenir le meilleur angle devant les murs. Une offre qui se veut rassurante pour le grand public, mais qui interroge sérieusement sur l’avenir de la gratuité historique de cet événement emblématique.

En parallèle, l’espace VIP, déjà présent depuis plusieurs éditions, proposait une expérience haut de gamme : vue premium, espace détente exclusif et catering chic pour une poignée d’élus. Une démarche certes classique, mais qui, combinée à l’apparition des nouvelles places assises payantes, pousse à réfléchir : l’étape chamoniarde s’oriente-t-elle doucement vers un modèle économique totalement repensé, où l’accès populaire gratuit pourrait, à terme, ne plus être la norme ? La question mérite d’être posée.
Briançon aux abonnés absents, mais sur toutes les bouches
Parmi les sujets brûlants discutés tout au long du week-end, l'absence de Briançon, étape historique récemment disparue du calendrier international, revenait sans cesse. Cette ville des Hautes-Alpes, traditionnellement complémentaire à Chamonix, cultivait une ambiance unique, plus confidentielle, chaleureuse et authentique, particulièrement appréciée des passionnés de longue date. Son retrait soudain laisse une sensation de vide chez de nombreux habitués, renforçant un peu plus l'impression que le calendrier international perd une part précieuse de son identité.
Ce manque se ressentait encore plus fortement au sein d’un public venu chercher, au-delà du spectacle, un vrai moment d’escalade, loin des gradins et de l'écran géant. C’est ainsi que les falaises environnantes, à l'image des Gaillands, ont attiré un nombre exceptionnel de grimpeurs durant l’événement. Non pas que ces spots locaux puissent remplacer Briançon, bien sûr, mais leur fréquentation accrue montre bien que l'envie d'une grimpe plus authentique, en plein air, demeure profondément ancrée chez les spectateurs présents. Une manière discrète mais symbolique de rappeler que l’escalade reste indissociable de ce contact avec le rocher et la nature, loin de l'agitation de la Place du Mont-Blanc.
Chamonix à un tournant ?
L'édition 2025 de la Coupe du monde à Chamonix restera gravée comme celle de tous les paradoxes : succès public retentissant avec une fréquentation record, démocratisation palpable de l'escalade sportive, mais aussi premiers signaux de restrictions médiatiques et amorce d'une monétisation inédite. Si la ferveur populaire témoigne d'une réussite indiscutable, ces nouveaux enjeux placent clairement l'événement à la croisée des chemins.
Pour Chamonix, le défi à relever est désormais limpide : comment préserver l’âme profondément populaire et ouverte de ce rendez-vous historique tout en répondant aux réalités économiques et aux ambitions croissantes de l'IFSC ? Le dialogue entre organisateurs, fédération internationale et communauté des grimpeurs sera déterminant pour que l'étape chamoniarde ne devienne pas une vitrine commerciale déconnectée de sa base passionnée. Rendez-vous en 2026 pour vérifier si ce subtil équilibre aura tenu ou si les premières fissures observées cette année auront fini par se transformer en failles irréversibles.














