Grimpeuses 2025 : un espace qui fissure le récit dominant
- Pierre-Gaël Pasquiou
- il y a 4 minutes
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Les 4 et 5 octobre, entre Arkose Nanterre et la forêt de Fontainebleau, Grimpeuses revient pour une deuxième édition francilienne. Plus qu’un simple rendez-vous de grimpe, c’est un laboratoire vertical : ici, les femmes n’attendent pas la permission pour prendre leur place.

On pourrait croire que l’escalade, sport de liberté par excellence, aurait naturellement produit un espace égalitaire. Après tout, une prise est une prise, que le rocher ne distingue pas du reste. Sauf que dans la réalité, la grimpe s’écrit encore majoritairement au masculin : héros solitaires, récits virils, légendes bâties à coups de premières. Grimpeuses naît précisément de ce décalage. Non pas pour colorier les marges, mais pour réécrire la partition, montrer que l’inclusif ne se décrète pas : il se construit, bloc après bloc, discussion après discussion.
Aux origines d’un collectif vertical
L’idée de Grimpeuses émerge en 2018, presque comme une évidence. Si les femmes peuplent les salles, pourquoi restent-elles si peu visibles sur les falaises et dans les récits ? La réponse fut d’abord un rendez-vous intimiste à La Capelle, puis d’autres formats : des week-ends entiers à Ailefroide, une première édition parisienne, et même des stages réguliers. Toujours le même fil rouge : créer un espace en mixité choisie, où la progression technique dialogue avec la prise de parole.
En juin dernier, à Ailefroide, elles étaient cinquante-six, malgré une météo dantesque, à enchaîner ateliers, débats et même une jam session improvisée. En octobre, le projet revient en Île-de-France pour une deuxième édition francilienne, avec un programme pensé comme un aller-retour entre salle et forêt, crashpads et discussions, magnésie et idées.
Samedi à Nanterre : la cathédrale de béton
Samedi matin, Arkose Nanterre. L’odeur de café se mélange à celle, plus persistante, de la magnésie. Les crashpads claquent mollement, les chaussons crissent sur le béton ciré. Mais quelque chose change : les groupes se forment sans hiérarchie tacite, l’ambiance est sérieuse sans être compassée.

La matinée déroule son lot d’ateliers : échauffements, grimpe coachée par niveaux, discussions improvisées entre deux tentatives. L’après-midi, les tables rondes prennent le relais, transformant la salle en agora où l’on parle autant d’engagement que de méthode de bloc. Et pour clore la journée, le spectacle UPossible d’Eline Le Menestrel, qui brouille les frontières entre récit intime, performance artistique et manifeste politique. On y grimpe avec des phrases, on chute dans des silences, on cherche des prises dans ses propres failles. Puis vient le relâchement : apéro, jeux, magnésie incrustée jusqu’aux cuticules.
Dimanche à Fontainebleau : retour au grès
Le lendemain, changement radical. Exit le béton calibré, place au chaos organique de Mont Ussy. Fontainebleau, ce temple du bloc à ciel ouvert, devient le prolongement naturel du projet.
Sous les chênes, les crashpads s’empilent, les semelles se chargent de sable, le grès râpe les doigts. Le matin, on grimpe encadré. À midi, pique-nique partagé. Puis les tables rondes s’installent au milieu des arbres, pour parler écologie. Parce qu’on ne peut pas aimer un site et le piétiner. Parce que grimper en forêt oblige à penser au vivant. L’après-midi, grimpe libre : chacune se lance, chute, recommence. La forêt se transforme en place commune, où l’expérience collective compte autant que la réussite individuelle.
Quatre invitées, quatre trajectoires
Grimpeuses ne se contente pas d’afficher des slogans, il les incarne. Cette édition réunit quatre grimpeuses dont les parcours déplacent les lignes :
Eline Le Menestrel sillonne l’Europe à vélo, reliant escalade, écologie et liberté. Son spectacle, comme sa pratique, montre que grimper est un acte politique.
Soline Kentzel vit sa grimpe comme une fugue. Grandes parois, expés en autonomie, traversées océaniques : elle défend une pratique joyeuse, sobre et collective.
Svana Bjarnason écrit autant qu’elle grimpe. Ses contenus mettent des mots sur l’invisible : la place des femmes dans un milieu qui se prétend inclusif. Elle milite pour une escalade joyeuse, politique, résolument partagée.
Caroline Ciavaldini, enfin, relie passé et futur. Ancienne compétitrice, aujourd’hui exploratrice de voies engagées, elle incarne une pratique exigeante, éthique, profondément humaine.
Plus qu’un festival : une réécriture collective
Réduire Grimpeuses à un « festival féminin » serait une erreur de jugement. Ici, la progression ne se mesure pas en cotations mais en audace. Les débutantes y trouvent autant leur place que les bloqueuses confirmées. Tomber devient une normalité, recommencer une victoire.
Dans un univers où la performance sert trop souvent de hiérarchie implicite, Grimpeuses propose un autre système de valeurs. On apprend à poser un talon, certes, mais surtout à poser les bases d’un autre récit. Les femmes ne sont pas des exceptions : elles sont le cœur battant d’une pratique qui n’appartient à personne.
Vertige Media, compagnon de cordée
Si Vertige Media s’associe officiellement à cette édition, ce n’est pas pour cocher la case diversité ni pour ajouter un logo en bas d’une affiche. C’est parce que nous reconnaissons dans Grimpeuses ce que nous défendons : une grimpe qui dépasse le simple geste sportif, qui refuse les silences, qui interroge nos imaginaires.

Soutenir Grimpeuses, c’est affirmer que la visibilité des femmes n’est pas une faveur mais une évidence. Que l’écologie n’est pas un supplément d’âme mais un socle. Que la grimpe, enfin, peut être à la fois plaisir, performance et politique. Bref, que les murs sont faits pour être grimpés, et parfois pour être abattus.
Rendez-vous au pied du bloc
Les 4 et 5 octobre, entre Arkose et Fontainebleau, Grimpeuses propose deux jours de grimpe et d’échanges, de sueur et de feuilles mortes. Deux jours pour apprendre à grimper autrement, mais surtout pour penser la grimpe autrement. Parce qu’au fond, la première prise, c’est toujours celle qu’on ose saisir.
👉 Infos et inscriptions : www.grimpeuses.com/paris2025