Caroline Ciavaldini : « Être parent et grimpeur, c’est apprendre à tout réinventer »
Caroline Ciavaldini n’est pas du genre à faire dans la demi-mesure. Grimpeuse professionnelle, elle a passé sa vie à poursuivre l’excellence. Mais à presque 40 ans, tout a changé. Devenir mère l’a forcée à repenser ses priorités, sa manière de grimper, et même sa définition de la réussite. Dans Kindness, son dernier court-métrage présenté au festival Femmes en Montagne, elle raconte comment elle a appris à concilier passion, performance et parentalité. Une réinvention radicale.

« Être heureux tous les jours : facile à dire, infernal à faire »
« La règle numéro un, c’est que je dois être heureuse tous les jours. Ça paraît idiot, mais ça m’a changé la vie. » Pour Caroline, cette décision a été une révolution. « Avant, je pensais qu’il fallait en baver pour réussir. Pleurer après une compète ratée, hurler au pied d’une falaise, ça faisait partie du jeu. Mais quand tu deviens parent, ce n’est plus possible. Je ne veux pas que mes enfants voient ça. »
Elle raconte ces scènes qui appartiennent à une autre époque : « J’ai des souvenirs de grimpeurs qui jettent leurs chaussons dans les bois après un mauvais essai. Ou moi, pleurant une semaine entière parce que j’avais raté une coupe du monde. Quand tu es seule, ça passe. Mais tes enfants ? Je ne veux pas qu’ils grandissent avec ça comme modèle. »
Un retour sur "Le Voyage" et un apprentissage de soi
Kindness suit Caroline sur Le Voyage, une voie mythique de 38 mètres située à Annot, ouverte par son compagnon James Pearson. Une ligne qu’elle avait déjà tenté sans succès avant de devenir mère. « Quand Zoélie est née, j’ai voulu relever ce défi. Mais je savais qu’il fallait tout faire différemment. »
« Ils voient quelqu’un qui persévère sans frustration. Qui ne se laisse pas abattre. J’espère qu’ils retiendront ça. »
Changer d’approche a été un vrai défi. « Avant, si une journée d’essais était mauvaise, je passais ma soirée à m’en vouloir. Aujourd’hui, je me bats même dans les mauvais jours. Je me demande toujours : Comment tirer le meilleur d’un mauvais jour ? Parfois, ça veut juste dire bien grimper sur des sections faciles. Mais à la fin de la journée, je peux être fière de moi. »
Et ses enfants ? Ils apprennent en la regardant. « Ils voient quelqu’un qui persévère sans frustration. Qui ne se laisse pas abattre. J’espère qu’ils retiendront ça. »

La parentalité, entre illusions et réalités
Devenir parent a obligé Caroline et James à revoir complètement leur pratique. « On était pleins d’illusions. On imaginait grimper avec un porte-bébé. Même le hissage, on l’a envisagé. Complètement débile. Un enfant, ça ne dort pas dans un sac de hissage, et tu ne peux pas lever les bras en portant un bébé. » Elle rit en repensant à ces projets irréalistes, mais reconnaît que l’ajustement a été brutal.
« Maintenant, on est flexibles. Fini les journées à huit longueurs. Moi, je grimpe seule parfois, en bloc ou même en auto-assurage. C’est une pratique que je n’aurais jamais envisagée avant. Mais ça marche. »
Elle se souvient de l’Éthiopie, où ils sont partis avec leur fils Arthur alors qu’il avait un an. « On avait embarqué les grands-parents pour nous aider. On grimpait sur du caillou pourri toute la journée, et le soir, ils nous refilaient le bébé. Il ne dormait pas à cause des épices, du décalage, et de l’inconfort. On n’a pas fermé l’œil pendant une semaine. C’était héroïque... mais on était contents. »
« La compétition ? Je n’en veux pas pour mes enfants »
Si l’escalade reste une passion centrale, Caroline est plus critique envers la compétition. « Arthur a presque six ans, et c’est l’âge où tu commences à poser les bases pour aller loin. Mais moi, je ne suis pas sûre de vouloir ça pour eux. La compétition, c’est apprendre à écraser. Ça ne colle pas avec nos valeurs. »
Elle questionne ce qu’on lui a inculqué. « On te dit que pour être excellent, il faut oublier les autres. Mais moi, je veux transmettre l’empathie à mes enfants. Et pour ça, il faut montrer autre chose. »
Elle cite l’exemple de grimpeurs poussés très jeunes, comme Ashima Shiraishi. « Pour certains, l’escalade devient un boulot dès l’enfance. Ça, je n’en veux pas. Je veux que mes enfants choisissent leur chemin, sans pression. »
« L’escalade c’est pas comme se brosser les dents, c’est pas obligatoire. »
Caroline revient sur le quotidien d’un parent grimpeur. Un quotidien souvent absurde, où tout se mélange. « Nos enfants ne savent pas que notre vie n’est pas normale. Arthur il a presque 6 ans, je ne suis pas sûr qu’il ait compris que l’escalade c’est pas comme se brosser les dents, c’est pas obligatoire. » Elle rit, mais derrière cette anecdote se cache une vérité plus profonde. « Je veux qu’ils comprennent qu’ils ont le droit de ne pas grimper. Que ce n’est pas une obligation. Mais pour eux, ça reste flou. Grimper, c’est notre travail. Mais c’est aussi notre plaisir. »

Émotions, discussions, et progrès
Dans leur couple, cette manière de vivre l’escalade est un sujet constant de discussion. « James est anglais, donc il vient d’une culture où les émotions, ça ne s’exprime pas. Moi, je hurle. Je viens des îles, c’est comme ça. Nos enfants voient ces deux extrêmes, et on essaie de leur donner des clés pour comprendre leurs propres émotions. »
« On progresse encore, même à 40 ans. »
Elle évoque les ajustements permanents. « On progresse encore, même à 40 ans. James aime dire que je l’influence, parce que ça va à l’encontre des clichés sur les rapports de force dans un couple. Mais au final, c’est une progression mutuelle. »
La leçon de Kindness : réinventer sans renoncer
Caroline conclut avec une sincérité nécessaire. « Si tu crois que tu vas devenir parent et continuer à grimper comme avant, tu rêves. Mais si tu acceptes de changer, tu peux faire des choses incroyables. »
« Être parent, ce n’est pas une limite. C’est une opportunité de réinventer ta manière de grimper. »
Dans Kindness, elle livre cette leçon de vie : « Être parent, ce n’est pas une limite. C’est une opportunité de réinventer ta manière de grimper. Mais ça demande de la flexibilité, et une bonne dose de bienveillance envers soi-même. »
Et cette bienveillance, c’est son mantra. « Être heureuse tous les jours. C’est simple sur le papier. Mais c’est le plus grand défi que je me sois imposé. »