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Svana Bjarnason : « Ce n’est pas qu’une histoire de rocher »

Quand je retrouve Svana Bjarnason pour cette interview au Festival Femmes en Montagne, elle m’accueille comme si on se connaissait depuis toujours. Son sourire est chaleureux, complice même, et pourtant, c’est la première fois que l’on se voit. « Je lis Vertige Media, alors je me sens déjà un peu chez moi », lance-t-elle en s’installant. Une manière d’ouvrir la discussion avec décontraction, même si ce qu’elle partage ensuite est tout sauf léger.


Svana Bjarnason a beau être une grimpeuse accomplie, elle refuse de se laisser enfermer dans une image lisse. À travers son film Climbing from the Ashes, la Franco-Islandaise raconte son combat pour enchaîner Mind Control, une voie mythique cotée 8C en Espagne. Mais au-delà de l’exploit sportif, ce documentaire explore les défis personnels, les blessures, et les moments de vulnérabilité qui jalonnent sa vie. Et à mesure qu’elle se confie, on découvre une athlète à la fois sincère, entière, et profondément humaine.


Svana Bjarnason
© David Pillet

Mind Control : la voie, mais pas que


Mind Control c’était une épreuve totale, physique et mentale pour Svana. Entre un incendie qui a ravagé la falaise et des blessures récurrentes, le projet a mis à l’épreuve bien plus que ses doigts et son mental de grimpeuse. Pourtant, elle confie que la réussite n’était pas l’objectif principal.


« Même si je n’avais pas réussi cette voie, j’aurais gardé des souvenirs incroyables. J’ai tellement appris sur moi-même pendant cette expérience. »

Cette voie n’est effectivement qu’un fil conducteur. Climbing from the Ashes ne se concentre pas sur la seule performance, mais sur le processus, les doutes, et les moments où tout semble s’effondrer. « Ce film, je l’aurais fait même si je n’avais pas enchaîné. L’enjeu dépassait largement la réussite. »


Dire la vérité, même quand elle dérange


Pour Svana, être visible dans le milieu de l’escalade implique une responsabilité implicite : celle d’inspirer sans travestir la réalité. « Je ne veux pas mentir sur les réseaux sociaux. Oui, je suis DJ à mes heures perdues, et oui, ça m’arrive de faire la fête. Je n’ai pas à le cacher. » Mais cet engagement à être elle-même va bien au-delà d’anecdotes légères.


Dans son film, Svana choisit d'ailleurs d’aborder un sujet encore largement tabou : son avortement.


« Tout est fait pour que tu te sentes honteux. À l’époque, je ne travaillais pas beaucoup, donc poser une journée n’était pas un problème. Mais pour quelqu’un qui bosse à plein temps, il faut poser un congé pour avorter, et on te dit que tu peux travailler en télétravail. Moi, j’étais pliée de douleur sur mon canapé. »

Svana Bjarnason
© David Pillet

Cette expérience l’a poussée à partager son histoire, d’abord avec ses proches, puis plus largement sur les réseaux sociaux. « En parler m’a libérée. J’ai reçu des conseils, et j’ai pu en donner à d’autres. Ça m’a aidée, et ça a aidé des personnes en retour. »


Médiatiser autrement : des histoires avant tout


Pour Svana, mieux médiatiser l’escalade ne signifie pas en parler davantage, mais mieux. « J’aime l’idée de raconter l’histoire derrière la performance. Dire que quelqu’un a fait une voie dure, c’est plat. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il ou elle a mis en place pour réussir. »


Elle cite en exemple Jessica Pilz, qui a récemment enchaîné Papichulo (9a+). « Elle a expliqué qu’au début, elle voulait abandonner. Ce genre de détail, ça humanise l’exploit. » Cette approche se retrouve dans Climbing from the Ashes, où Svana dévoile les coulisses d’une vie de grimpeuse marquée par les hauts et les bas.


Neom : un choix difficile


Quand on interroge Svana sur son invitation aux Neom Beach Games en Arabie Saoudite, elle confie avoir hésité longuement. « J’ai demandé à des grimpeurs locaux ce qu’ils en pensaient. Ils étaient choqués par la vision que l’Occident a de leur pays et m’ont conseillé de venir voir par moi-même. » Pourtant, le contexte politique et humain entourant l’événement pèse lourd.


« Vérifier par soi-même ? Ça ne marche pas. On te montre ce qu’on veut. »

Finalement, Svana a choisi de décliner l’invitation. « Je ne voulais pas avoir à me justifier. C’était trop politique pour moi. » Elle admet néanmoins comprendre la complexité de la situation pour d’autres grimpeurs. « Dans un milieu où les moyens financiers sont limités, je ne juge pas ceux qui font des choix différents. »


Svana Bjarnason
© David Pillet

L’escalade d’aujourd’hui : entre démocratisation et contradictions


Svana observe avec lucidité l’évolution de l’escalade. « L’escalade en salle, c’est le nouveau fitness. Beaucoup de grimpeurs ne vont jamais dehors, et ce n’est pas grave. Mais il faut les éduquer, car grimper en salle et grimper en falaise, ce n’est pas la même chose. »


Malgré l’augmentation du nombre de pratiquants, les conditions de vie des athlètes restent précaires.


« Gagner une Coupe du Monde, c’est à peine 3 000 euros. Paradoxalement, des contests privés offrent souvent plus. »

Ce paradoxe reflète un marché encore en construction, où les athlètes doivent jongler entre passion et survie financière.


Quand on interroge Svana Bjarnason, elle confie ne pas s’attendre à certaines questions, comme si elle ne réalisait pas pleinement à quel point ses choix de vie et ses prises de parole interpellent. Pourtant, c’est bien elle qui, à travers son film et son authenticité assumée, enclenche ce type de discussions. Climbing from the Ashes est un prétexte pour ouvrir des débats qui dépassent largement l’escalade : la résilience face à l’échec, la nécessité de transparence, ou encore les dilemmes éthiques auxquels chacun peut être confronté.


Sans chercher à l’être, Svana devient une voix singulière dans le milieu de l’escalade, à la croisée de l’intime et de l’universel. Parce que, comme elle le dit si bien, « ce n’est jamais facile d’en parler, mais c’est toujours essentiel. »



Envie de prolonger l’expérience et de découvrir d’autres récits puissants comme celui de Svana Bjarnason ? Le Festival Femmes en Montagne continue de vivre en ligne jusqu’au 6 janvier. Avec 28 films à la carte, plus de 10 heures de récits captivants, l’édition digitale vous plonge dans des histoires de résilience, de dépassement et de métamorphose. Un voyage immobile au cœur de la montagne et des femmes qui la réinventent. À ne pas manquer !

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