The Future of Climbing : l’escalade tous azimuts
- Matthieu Amaré

- 19 sept.
- 8 min de lecture
Dans un film à la promesse immense, Cédric Lachat a tenté de défricher l’avenir de l’escalade, entre coup de gueule et responsabilité environnementale. Pour y parvenir, le grimpeur pro a collaboré avec le réalisateur Guillaume Broust qui, lui, a tenté de mettre en récit les mille questions que pose le futur d’une discipline en pleine mutation. Pas simple.

À Saint-Léger, un homme s’énerve sur la paroi rocheuse. Plus il grimpe, plus il peste. Chaque prise devient une occasion de gueuler. Ce n’est pas l’ouverture ou la difficulté de la voie qui le rend fou, mais les décibels qu’il entend d’ici, alors qu’il était venu se percher tranquille sur ces falaises cultissimes du sud de la Drôme. En bas, des gens ont mis de la musique. Un peu trop fort, sans doute. Le grimpeur est un sanguin. Mais cette fois-ci, il ne s’emporte plus : il pète carrément les plombs. Une fois revenu au sol, l’homme saisit l’enceinte et la jette par terre. De rage.
Coup de sang, malaise et gros programme
Cet homme, c’est Cédric Lachat. À l’approche de la quarantaine, l’ancien champion d’Europe de bloc multiplie les projets difficiles dans les voies dures. Après le plastique des compétitions officielles, le grimpeur suisse se plaît à enchaîner les 9a sur le rocher. Ce jour-là, à Saint-Léger, Lachat ne court pas après la perf mais veut grimper tranquille dans le respect et le calme de la nature. Il ne le sait pas encore, mais ce coup de gueule sera le point de départ d’un des films les plus ambitieux sur l'histoire de la grimpe.
Quelques années plus tard, Cédric Lachat fait désormais un peu de route pour présenter The Future of Climbing dans toute la France. Un documentaire de 52 minutes dont la promesse est immense : expliquer d’où vient l’escalade et ce à quoi elle ressemblera. Pour la respecter, le grimpeur suisse a collaboré avec Guillaume Broust, réalisateur indépendant de films d’aventure et de sport outdoor. Au micro de Vertige Media, ce dernier se souvient : « Cette histoire à Saint-Léger, c’était un peu sketch. Cédric en avait marre de voir des grimpeur·ses ne pas respecter l’environnement dans lequel ils/elles pratiquaient. Alors à partir de ce coup de sang, on a d’abord voulu parler de l’accès à la nature par l’homme. » Les deux hommes se connaissent bien. Quelques années auparavant, ils ont sorti ensemble Swissway to Heaven, un documentaire sur le projet de Cédric Lachat d’enchaîner les cinq grandes voies les plus difficiles de Suisse.
« Le truc, c’est que Cédric voulait vraiment faire un film pour essayer d’éduquer les gens, reprend Guillaume Broust. Moi, je ne voulais surtout pas faire ça. » Avant de passer en indépendant, le réalisateur a passé 18 ans chez Petzl en tant que responsable de la production vidéo et de l’évènementiel. « Il pouvait m’arriver de faire venir 5000 personnes en Chine depuis le bout du monde pour des évènements promotionnels de grimpe, confie l’intéressé. J’ai des bagages. Cédric aussi, puisqu’il dit lui-même qu’il a fait des trucs peu recommandables. Bref, je n’étais pas très à l’aise. » Les deux collaborateurs prennent alors du recul et essaient de trouver le meilleur moyen de jumeler le projet de responsabilisation de Cédric Lachat à l’envie de parler de l’évolution de la discipline. Il en résulte un documentaire assez global sur la pratique de l’escalade à travers divers messages : sensibiliser les grimpeurs·ses au respect de l’environnement, continuer à pratiquer sereinement l’escalade sur les sites naturels, maintenir l’équipement des sites en état et analyser le développement des salles, leurs enjeux et les nouvelles pratiques. Vaste programme.
Un FOMO énorme
« Cela donne une image, explique Guillaume Broust. Un cliché d’où en est le sport, aujourd’hui. » De son propre aveu, le réalisateur déclare que ce film aurait pu être produit sur n’importe quel sport d’évasion. Les questions sociales et culturelles qui traversent la discipline sont les mêmes en ski, en VTT ou en surf. De son propre aveu aussi, The Future of Climbing aurait pu être une série en 10 épisodes. « C’était mon souhait, glisse-t-il. J’avais tellement de matière que je me suis dit plein de fois que des séquences étaient un film dans le film. » D’autant plus que le casting est extra-large : Solenne Piret, Éline Le Menestrel, Marc Le Menestrel, Dave Graham, Chris Sharma, Alex Huber, Julia Chanourdie… Toutes et tous prêtent leur vision de la discipline à la caméra avec évidemment autant de points de vue différents. « Pour des questions de moyens et parce que Cédric voulait aussi un seul film, on a fait un 52 minutes », explique Guillaume Broust qui s’est déplacé à travers la France mais aussi en Espagne, à Meschia en Italie ainsi que dans les vallées du Tessin, en Suisse. Au-delà de celui de faire court, le principal défi a été de sensibiliser les pratiquants à la fragilité des falaises et des milieux naturels sans avoir l’air d’y apposer un propos moralisateur. Alors, le film s’appuie beaucoup sur l’auto-dérision de Cédric Lachat qui multiplie les scènes burlesques, parfois potaches, autour de malheureuses habitudes : allumer une enceinte au pied d’une voie, traîner un crash-pad par terre ou traverser au milieu d’un troupeau de vaches…
« J’ai entendu pas mal de personnes me dire que c’est à cause des grimpeurs de salle que l’on fermait des sites naturels. Mais en enquêtant, je me suis aperçu qu’à Buoux, en 88, la falaise, elle ferme déjà ! »
Guillaume Broust, réalisateur de The Future of Climbing
Une fois le coup de gueule traité, il a fallu mettre en récit les différents points de vue mais aussi l’évolution et les nouveaux enjeux de la discipline. « J’ai dû penser le travail comme une trajectoire, confie le réalisateur. Ça a été mon fer de lance pour pouvoir faire un film qui s’adresse à la fois aux grimpeurs qui pensaient tout savoir et au grand public qui ne connaissait rien. » Après s’être arraché les cheveux pour résumer l’histoire de l’escalade en 5 minutes, Guillaume Broust commence sa trajectoire en s’assignant une mission : ne pas tomber dans le piège du qui a tort et qui a raison. « C’était ma ligne de crête, continue l’intéressé. J’ai entendu pas mal de personnes me dire que c’est à cause des grimpeurs de salle que l’on fermait des sites naturels. Mais en enquêtant, je me suis aperçu qu’à Buoux, en 88, la falaise, elle ferme déjà ! C’est un mec de la FFCAM (Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne, ndlr) qui m’a soufflé un jour : “Tu sais, Guillaume, il existe aussi de très mauvais grimpeurs en site naturel”. À partir de là, je me suis méfié des discours dénonciateurs. »

Le syndrome des parkings
En s’informant sur la gestion des sites naturels, le réalisateur est pris d’un FOMO énorme. « Je soulevais une pierre, un autre sujet de film surgissait », dit-il. Guillaume Broust a envie de parler de tout : du déconventionnement, des grimpeur·euses face à la biodiversité et même de la gestion nord-américaine des parcs nationaux confrontée aux populations indigènes. Sur la route, il croise mille témoignages mais se forge aussi des convictions. Parmi elles ? Les parkings. « Ça paraît tout bête mais je pense que les parkings sont un énorme enjeu dans l’activité, explique-t-il. Ils font fermer plus de sites que le déconventionnement ! Si tu as envie de réguler la pratique mais que tu coules une dalle qui peut accueillir 70 bagnoles, on n’arrivera jamais à protéger les sites. » En proposant un regard sur l’évolution de la grimpe, Guillaume Broust livre en réalité une vaste réflexion sur la surfréquentation des espaces naturels. « J’ai aussi décorrélé le nombre et le comportement, explique-t-il. Tu as beau avoir les personnes les plus respectueuses du monde, si elles viennent en masse dans un endroit, elles l’abîmeront. » Les solutions ? « Je n’ai pas la réponse, répond le vidéaste. Je pense juste qu’il y en a plusieurs et que certaines sont radicales. Un glaciologue me soufflait qu’il vaudrait mieux prendre un endroit et “le pourrir”. Tu fais venir 1000 personnes par jour dans cet endroit et tu sanctuarises les autres. Évidemment, tout le monde n’est pas d’accord. »
« Pour ma génération, la finalité de l’escalade, c’était d’aller sur le rocher. Même dans les années 2000, les premiers pans et les premières salles étaient conçus pour s’entraîner. Aujourd’hui, aller dans une salle d’escalade est devenu une fin en soi »
Guillaume Broust, réalisateur de The Future of Climbing
À l’entendre, tout l’avenir de l’escalade se situerait dans la protection de la nature. Au bout du film, ce passionné de sport outdoor alerte contre le délire des réseaux sociaux. « Ce qui se passe aux Dolomites est un drame, remet-il. Faire la queue pour refaire une photo qu’on a vue, ça me sidère. » Alors le réalisateur se met dans les pas d’Éline Le Menestrel qui incite les athlètes à ne plus partager leurs réalisations sur les réseaux sociaux afin d’empêcher la hype qui incitera forcément les gens à y aller. « Les athlètes ont une grande responsabilité, continue Guillaume Broust. Mais si je dois retenir une chose qui dessinera le futur de l’escalade, c’est que tout le monde devra faire sa part. Grimpeur pro, propriétaires de sites, gestionnaires de parcs, assos… une vraie discussion doit avoir lieu. Et elle doit se faire d’abord entre locaux car chaque lieu a ses propres problématiques. »
Pif, paf, pouf
Il serait alors tentant de résumer The Future Of Climbing comme un documentaire de grimpe qui tente de sensibiliser le grand public au bon respect des lieux de pratique. La vision d’avenir de l’escalade que tente d’esquisser Cédric Lachat et Guillaume Broust serait peinte de grimpeur·ses à brosses, débarquant à vélo dans un silence absolu, loin des nids d’oiseaux et des clichés d’Instagram. Mais paradoxalement, un autre message s’affiche en exergue sur la page du film : « Et si le futur de l’escalade était la salle ? ». Dans la fameuse « trajectoire » qu’entend suivre le réalisateur, il y a aussi sa propre expérience. À 45 ans, le Grenoblois a plus de vingt ans de grimpe derrière lui. « Pour ma génération, la finalité de l’escalade, c’était d’aller sur le rocher, décrit-il. Même dans les années 2000, les premiers pans et les premières salles étaient conçus pour s’entraîner. Aujourd’hui, aller dans une salle d’escalade est devenu une fin en soi. » Sous les toits des salles commerciales, une nouvelle forme de grimpeurs émerge, sensiblement séduite par le bloc et les nouveaux mouvements que suggèrent les ouvertures modernes, inspirées par le parkour et la gymnastique. « On voulait aussi le montrer dans le film. Cédric, qui est quand même un ancien champion d’Europe n’arrive pas à passer certains blocs d’une salle à Paris, confie Guillaume Broust qui surnomme ces nouvelles ouvertures le “pif, paf, pouf”. Quand tu regardes l’évolution des compétitions, tu t’aperçois qu’Adam Ondra n’y arrive plus non plus. Aujourd’hui les mouvements doivent être esthétiques parce que le spectacle doit être beau. »

Au-delà des compétitions, toute une génération semble se régaler sur les murs des salles de blocs privées. Quand on s’intéresse à l’escalade, difficile de rater le reel de cette jeune grimpeuse qui publie son jeté entre deux prises. Ou de celui qui a réussi son projet de voie qu’il a digitalisé sur une kilter-board. La grimpe bouillonne aussi d’innovations et les salles ont bien compris qu’il fallait allier la praticité au confort. « Elles ont réussi le tour de force de devenir des lieux de vie, résume Guillaume Broust. Et franchement, il fallait être visionnaire il y a 15 ans pour penser qu’une salle de grimpe pouvait être un lieu où on peut aussi boire des coups et profiter d’un sauna. » Parce qu’elles sont indéniablement devenues cool, les salles commerciales se sont imposées dans le paysage de la nouvelle grimpe. Logique qu’elles prennent une bonne place dans le grand kaléidoscope que propose The Future Of Climbing.
Entre tout, il vous faudra sûrement piocher plusieurs choses dans le documentaire à mille voies que Cédric Lachat et Guillaume Broust ont produit. Face à l'immensité des questions et des réponses à choix multiples, il sera aisé pour quiconque de voir ce qu'il veut dans l'avenir de l'escalade. Mais dites-vous une chose : vous pourrez le faire en mettant la musique à fond.














