Climbing District : après Climb Up, une nouvelle grève fait trembler les murs
- Pierre-Gaël Pasquiou
- 5 avr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 avr.
Licenciements économiques, conditions de travail jugées intenables et dialogue rompu : une partie des équipes de toutes les salles parisiennes de Climbing District se met en grève, dans la foulée du mouvement chez Climb Up Aubervilliers. Un signal fort pour un secteur en pleine expansion mais où les tensions sociales montent.

Le secteur français des salles d’escalade vivrait-il son printemps social ? Une semaine à peine après la grève remarquée chez Climb Up Aubervilliers, Climbing District, acteur phare de l'escalade parisienne, se retrouve confronté à une mobilisation similaire. Ce matin, à quelques mètres du bassin de la Villette, devant la salle emblématique de Jaurès, l'ambiance oscille entre détermination silencieuse et inquiétude palpable. Au cœur du mouvement : neuf licenciements économiques récents, des conditions de travail jugées dégradées par les salariés et un dialogue social décrit unanimement par les grévistes comme absent.
Un mouvement né dans l'urgence
Début avril, la direction de Climbing District annonce neuf licenciements économiques. Parmi les postes concernés, des hôtes d'accueil et du personnel administratif. « On l’a appris sans aucun dialogue préalable, » déplore un salarié gréviste de la salle de Jaurès. Pour lui et ses collègues, le choc est d’autant plus brutal qu’il intervient quelques semaines après l’annonce du rachat de quatre salles d’escalade à Londres, ville où les loyers commerciaux atteignent des sommets. Une décision stratégique que certains salariés vivent comme un symbole fort des priorités financières de l'entreprise :
« C'est dur d'accepter ces licenciements alors que des moyens conséquents sont mis ailleurs »
résume-t-il avec prudence, rappelant qu'il s'agit là d'une perception largement partagée chez ses collègues.
Revendications précises, cadre social fragilisé
À la lecture des revendications transmises par la CGT, les demandes formulées par les salariés apparaissent structurées et précises : respect des délais légaux dans la communication des plannings, revalorisation des majorations pour heures supplémentaires et travail dominical, augmentation des rémunérations jugées trop proches du SMIC malgré les fortes contraintes du poste d'accueil, indemnités compensatrices inexistantes sur les jours fériés et dimanches, et conditions de départ dignes pour les licenciés.
Les salariés dénoncent également « une politique du chiffre poussée à l’extrême », rendant selon eux le rythme de travail « impossible à tenir ». Le climat social décrit est tendu : turnover important, amplitudes horaires larges allant de 6h30 à minuit passé, journées morcelées, absence de visibilité sur les plannings. À cela s’ajoutent des éléments sanitaires (exposition à la magnésie), le port régulier de charges lourdes et l’interdiction controversée de s’asseoir durant plusieurs heures d’affilée, un point déjà soulevé précédemment par d'autres grèves dans le secteur.


Le témoignage nuancé d’un salarié en grève
Un salarié gréviste précise sa position : « On a essayé plusieurs fois de discuter, mais il n'y a jamais eu de vrai dialogue ». Selon lui, la direction locale aurait plutôt cherché à décourager les grévistes potentiels, évoquant des pressions à demi-mot, « toujours à l’oral, jamais par écrit ». Il décrit également des plannings imprévisibles, des heures supplémentaires non anticipées :
« On découvre parfois qu’on fait des heures sup' le jour même ».
Il reste toutefois très prudent et souligne que ce sont ses propres ressentis, mais que ces points sont au cœur des revendications collectives.
Concernant la grève elle-même, il explique que l'équipe d’accueil de Jaurès est particulièrement mobilisée : « Ici, tout le staff accueil est en grève, seuls les managers et le directeur assurent l’ouverture ». Un signe fort, selon lui, que le malaise va au-delà de simples revendications économiques.
Un contexte sectoriel sous tension, d’Aubervilliers à Los Angeles
La grève chez Climbing District intervient une semaine après une mobilisation similaire chez Climb Up Aubervilliers, où les licenciements et une gestion interne jugée brutale avaient déjà poussé une vingtaine de salariés à cesser le travail. De l'autre côté de l'Atlantique, le récent mouvement social chez Touchstone Climbing (Californie) révèle des problématiques communes au secteur mondial : croissance rapide, stratégies commerciales agressives et conditions de travail sous tension. Les grévistes parisiens le reconnaissent volontiers :
« Ce n’est pas isolé, c’est plus profond. Ça dépasse largement Climbing District »
avance un gréviste, souhaitant inscrire ce mouvement dans un contexte global de prise de conscience sociale.
Communication rompue, dialogue espéré
Sollicitée par Vertige Media pour commenter les revendications et la grève, la direction de Climbing District n’a pas souhaité répondre directement à nos questions pour l'instant. Elle a toutefois précisé « préparer un communiqué officiel » à venir rapidement, expliquant avoir découvert les revendications le matin même. L’absence actuelle de réponse directe souligne précisément ce que dénoncent les salariés : une communication qui semble, au moins dans cette situation, à sens unique.
Quelle suite pour un secteur en quête de maturité sociale ?
Au-delà de la grève immédiate, les grévistes de Climbing District souhaitent poser des bases durables pour l’avenir social du secteur.
« On ne veut pas juste des miettes pour calmer le jeu. On souhaite une évolution durable, pérenne, qui améliore le quotidien de ceux qui arriveront après nous ».
À l'heure où l'escalade en salle connaît une popularité croissante et attire des profils jeunes et passionnés, souvent en début de carrière ou étudiants, les enjeux sociaux deviennent une préoccupation majeure.
Si cette grève est l'expression d'un ras-le-bol, elle apparaît aussi comme un appel à une prise de conscience collective au sein d'un secteur en pleine structuration. En attendant le communiqué officiel promis par la direction, cette mobilisation révèle une fois de plus que la croissance rapide de l'escalade en salle ne pourra pas faire l'économie d'un dialogue social mature, construit, et nécessairement équilibré.
Aujourd’hui, devant la salle de Jaurès, le silence inhabituel des murs résonne comme un appel : celui d’une professionnalisation nécessaire, d’un secteur en pleine adolescence économique, cherchant encore ses repères humains et sociaux. La balle est désormais dans le camp de la direction, qui aura à cœur de démontrer que dialogue et développement économique peuvent cohabiter, pour une escalade plus juste, durable, et humaine.