États-Unis : les femmes trans exclues des compétitions
- Pierre-Gaël Pasquiou
- il y a 3 minutes
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Aux États-Unis, les femmes trans sont désormais interdites de toutes les compétitions féminines sanctionnées par la fédération nationale d’escalade. Pas suite à une razzia de podiums. Pas suite à un rapport scientifique irréfutable. Mais suite à un ordre politique tombé d’en haut. L’escalade, ce sport qui aime se penser hors du monde, se retrouve soudain entraînée dans une bataille culturelle qui n’a rien d’un simple débat de règlement. Éclairage.

En escalade, démonter une prise, c’est préparer une nouvelle voie. Mais quand la prise qu’on enlève équivaut à la fermeture d'une voie et d'une place sur la ligne de départ, on ne parle plus d’ouverture : on parle d’exclusion.
Cet été, c’est exactement ce qui est arrivé à des grimpeuses trans aux États-Unis. En un email sec, l’USOPC (Comité olympique et paralympique américain, ndlr) a ordonné que toutes les fédérations nationales bannissent les femmes trans des catégories féminines. USA Climbing, qui venait de passer dix-huit mois à construire, main dans la main avec des grimpeurs et grimpeuses trans, une politique inclusive quasi finalisée, a dû la ranger dans un tiroir. Pas parce qu’il y avait eu un « problème » dans une compétition. Mais parce qu’un décret présidentiel le dit. Et qu’en sport fédéral américain, la politique, c’est le chef d’équipe.
« Éloigner les hommes des sports féminins »
Dans la hiérarchie sportive américaine, une fédération nationale est reliée à l’USOPC comme une corde à son relais. Ce lien, c’est la certification officielle et l’argent du haut niveau. Si l’USOPC coupe la corde, la fédération chute. En février 2025, Donald Trump signe l’Executive Order 14201, intitulé « Keeping Men Out of Women’s Sports » — protéger les compétitions féminines en excluant systématiquement les femmes trans. Deux mots changent tout : « Executive Order ». Ce n’est pas une recommandation, c’est un ordre fédéral, et l’USOPC n’a qu’à l’appliquer à toutes ses fédérations. Refuser, c’est perdre sa reconnaissance officielle et ses financements, ce qui revient à une mort administrative. USA Climbing, qui préparait une politique inclusive respectant les critères de l’IFSC (testostérone inférieure à 10 nmol/L sur douze mois, ndlr), s’est vue contrainte de tout abandonner.
Executive Order 14201
Signé : 5 février 2025 par Donald Trump.
Objet : exclure toute femme trans des compétitions féminines dans les sports encadrés par des fédérations nationales reconnues par l’USOPC.
Mécanisme : obligation de conformité pour conserver certification et financements.
Portée : toutes les disciplines, du basket au curling… et désormais l’escalade.
L’escalade n’avait pas ce problème-là
Si cette décision choque, c’est aussi parce que l’escalade n’avait pas de précédent « conflictuel » autour de la participation des femmes trans. À ce jour, aucune femme trans américaine n’a participé à une Coupe du monde IFSC, ni à un championnat national élite, ni trusté les podiums. Le « problème » que cette loi prétend résoudre n’existait pas dans ce sport. Et sur le plan de la performance, l’argument de l’avantage physique massif ne tient pas : l’écart hommes/femmes est beaucoup plus faible en escalade que dans la plupart des sports mesurés.
Voie : le record féminin est à 9b+ (Excalibur, Brooke Raboutou), le record masculin à 9c.
Bloc : record féminin à 8C+ (Katie Lamb), record masculin à 9A.
Le message implicite : peu importe que le problème soit réel ou pas, on montre qu’on le « règle ». C’est l’équivalent sportif d’installer un paratonnerre par ciel bleu.
Certaines voies mythiques ont été ouvertes par des femmes avant d’être répétées par des hommes (Meltdown 8c+/9a, par Beth Rodden, The Nose en libre en une journée par Lynn Hill). Autrement dit, le plafond de verre existe, mais il est fissuré — et parfois, il se traverse très bien.
La voie de la chasse aux sorcières
Le Comité international olympique recommande de ne restreindre la participation que sur la base de preuves robustes d’un avantage disproportionné… spécifique à la discipline. En clair : si l’escalade prouvait que les femmes trans gagnent à tous les coups grâce à un atout physiologique incontestable, alors oui, on pourrait envisager une règle. Ici, ce n’est pas le cas. Pas d’étude publiée, pas de séries statistiques montrant un déséquilibre massif. On agit donc sur la base d’une crainte théorique, et surtout d’un signal politique. Le message implicite : peu importe que le problème soit réel ou pas, on montre qu’on le « règle ». C’est l’équivalent sportif d’installer un paratonnerre par ciel bleu. Cette logique a une conséquence directe : on crée un précédent où l’exclusion précède la preuve. Et dans le climat culturel actuel aux États-Unis, cette méthode n’est pas un hasard : elle est un outil politique.
Une fois la règle posée, reste à savoir comment l’appliquer. Actuellement, USA Climbing ne vérifie pas l’identité de genre de ses participants. Demain, faudra-t-il exiger des certificats médicaux, des résultats hormonaux ? Et qui les collectera, les stockera, les protégera ? Problème : les fédérations sportives américaines ne sont pas tenues par le secret médical. Rien ne garantit qu’un document transmis ne se retrouve pas exploité par des autorités locales, dans des États où les soins de transition sont criminalisés. Cela signifie qu’une grimpeuse trans pourrait se mettre en danger légal rien qu’en s’inscrivant à une compétition.
Et surtout, il reste cet esprit de salle qui ne se mesure pas sur un règlement : ici, on juge une grimpe à l’engagement, pas à un document médical. Comme cette finale où une grimpeuse trans, tétanisée à l’idée de gagner, a entendu ses rivales lui lancer : « Vas-y à fond ». Ce genre de solidarité, aucune directive fédérale ne peut l’interdire.
Les fissures dans le mur
Tout n’est pas verrouillé. Les compétitions locales, non gérées par USA Climbing, peuvent continuer à accueillir les athlètes qu’elles veulent. Des collectifs comme Trans Climbers Belong gardent en réserve la politique inclusive écrite ces deux dernières années, prête à être dégainée dès que l’occasion se présentera. Et surtout, il reste la culture de salle : celle où la performance se mesure à l’envie d’essayer, pas au sexe noté sur un certificat. Ce lien-là, aucune directive fédérale ne peut le démonter.
Rappel chronologique :
Septembre 2023 : USA Climbing publie une 1ʳᵉ politique trans (testostérone < 5 nmol/L sur 12 mois).
Novembre 2023 : face aux critiques, politique suspendue ; création d’un groupe de travail avec des athlètes trans.
Février 2025 : Donald Trump signe l’Executive Order 14201.
Juin 2025 : l’USOPC intègre le décret dans sa politique officielle.
Juillet 2025 : USA Climbing annonce l’interdiction totale dans les compétitions féminines sanctionnées.
Octobre 2025 (prévu) : publication des modalités d’application avant la Youth Series.