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La SCOP contre l'ubérisation des moniteurs d'escalade

Dernière mise à jour : il y a 1 heure

Face à l'ubérisation rampante du métier de moniteur·ice d'escalade, Leslie Gesnouin oppose une résistance discrète mais incisive. Installée à Fontainebleau, elle construit avec quelques compagnons une alternative coopérative qui prône une désintermédiation assumée, refusant de céder à la facilité des plateformes numériques. Portrait d’une grimpeuse engagée, consciente que l'indépendance professionnelle ne s'obtient jamais sans combat.


Leslie Gesnouin
© Maël Serre

« J’ai découvert l’escalade en Ardèche. À l’époque, grimper en salle me semblait absurde. Jusqu’à ce que je comprenne que la salle avait un sens : s’entraîner pour mieux grimper dehors. » Leslie Gesnouin aurait pu rester sur la voie classique d’un CDI parisien dans le design, mais l’appel de la verticalité a été le plus fort. À son retour d'une année sabbatique en van à travers l'Europe, elle choisit définitivement la voie indépendante et décroche son Diplôme d’État (DE) d’escalade. Derrière ce choix, une conviction forte : refuser le confort du salariat traditionnel pour affronter la précarité d'un métier soumis aux dérives économiques des plateformes numériques. Désormais, Leslie grimpera sans filet.


Fracture, réflexion et rébellion entrepreneuriale


Le destin, qui parfois s’amuse avec une ironie cruelle, impose à Leslie un coup d'arrêt brutal en février 2023 : une fracture de la malléole. Onze mois d’immobilité. Mais c’est précisément dans cette période contrainte qu’elle élabore son projet le plus ambitieux : « Plutôt que de sombrer dans l'ennui ou l'apitoiement, j'ai décidé de lancer un site web pour fédérer des moniteurs d'escalade indépendants autour de Fontainebleau. » Ce projet devient rapidement la Maison des Guides, une structure conçue comme un antidote radical à l’ubérisation ambiante.


En France, la grande majorité des moniteurs·trices d’escalade exercent en indépendants, souvent sous le statut d’auto-entrepreneur, alternant contrats saisonniers et missions ponctuelles. Pour l’heure, l’ubérisation du métier se manifeste surtout par des agences ou opérateurs touristiques jouant le rôle d’intermédiaires entre client et encadrant, avec des marges variables selon les modèles. Mais comme dans d’autres secteurs — de la restauration au transport —, on peut imaginer que cette niche, encore confidentielle, finisse par attirer des plateformes plus puissantes, capables de standardiser l’offre et d’imposer leurs propres conditions économiques. C’est cette trajectoire-là que Leslie entend contrer avant qu’elle ne devienne inéluctable.


 « On n'est pas là pour conquérir le marché ni devenir gigantesques. Si on grossit trop, on risque justement de reproduire ce qu’on dénonce. L’idée, c’est de garder une échelle humaine, directe, et donc saine »

Pour Leslie, la critique est frontale : « Ces plateformes commencent toujours par proposer un modèle gagnant-gagnant, mais à la longue, elles deviennent systématiquement perdantes pour les indépendants. Le modèle économique finit par les contraindre, ils perdent leur autonomie tarifaire, leur capacité à choisir leurs missions, et finalement, leur liberté professionnelle. »


Leslie Gesnouin
© Maël Serre

Avec ses collègues DE (Diplômés d'État), Leslie refuse catégoriquement ce modèle prédateur. Elle préfère envisager un modèle coopératif, où chaque moniteur indépendant serait sociétaire, en prise directe avec les clients, sans intermédiaire inutile. « Si nous formalisons réellement cette structure, nous choisirons le modèle d’une SCOP, explique-t-elle. Je ne crois pas à la centralisation du pouvoir économique. Je ne crois pas aux plateformes qui promettent de faciliter la vie mais qui, in fine, l’appauvrissent. »


Une résistance discrète mais ferme à l’ubérisation


Leslie et ses collègues ne se contentent pas de théoriser : ils agissent concrètement. Le réseau local qu’ils tissent à Fontainebleau, avec le soutien de l'Office de tourisme, permet peu à peu à la Maison des Guides de se faire connaître. Leur démarche est pragmatique mais assumée politiquement : « On n'est pas là pour conquérir le marché ni devenir gigantesques. Si on grossit trop, on risque justement de reproduire ce qu’on dénonce. L’idée, c’est de garder une échelle humaine, directe, et donc saine », insiste-t-elle.


« Nous avons besoin d’une autre grimpe, qui refuse l’ubérisation et la précarisation rampante. Une grimpe consciente, qui respecte autant les pratiquants que les moniteurs »

Face aux salles privées d’escalade, qui multiplient désormais les offres outdoor, Leslie reste vigilante sans tomber dans l'opposition systématique. Elle considère que les salles peuvent être des partenaires, à condition qu'elles respectent des conditions tarifaires décentes : « Tant que l’intermédiaire apporte une valeur ajoutée réelle, ça peut fonctionner. Mais sinon, quel intérêt de perdre une part de sa rémunération au profit d’une simple mise en relation ? »


Le cœur de sa réflexion est là : rétablir une relation directe entre les moniteurs et leurs clients. Pour Leslie, l’indépendance économique dépasse la simple dimension financière : elle y voit aussi une forme de dignité et de responsabilité professionnelle.


Une escalade engagée, humaine et éthique


Mais la Maison des Guides ne se limite pas à la désintermédiation économique. Leslie souhaite en faire un outil de sensibilisation, notamment sur des sujets sociétaux importants, comme les violences sexistes et sexuelles dans le milieu de la grimpe. « C’est Alice, une de mes collègues, qui porte ce combat-là. Il est essentiel que notre collectif ait aussi une mission pédagogique et sociale forte. »


Ainsi, derrière l’apparente simplicité du projet de Leslie Gesnouin se dessine une réflexion profonde sur la pratique de l’escalade comme acte professionnel engagé, radicalement responsable et profondément humain. « Nous avons besoin d’une autre grimpe, qui refuse l’ubérisation et la précarisation rampante. Une grimpe consciente, qui respecte autant les pratiquants que les moniteurs », conclut-elle.


À Fontainebleau, Leslie Gesnouin expérimente une alternative audacieuse et inspirante à la dérive économique des métiers de l'outdoor. Par son parcours, par sa volonté politique affirmée et par sa détermination tranquille, elle esquisse une grimpe radicale et autonome. Une grimpe où l’on se soucie autant du geste technique que du geste éthique. Une grimpe où l’indépendance économique devient une condition sine qua non de l’indépendance tout court. En somme, une grimpe désintermédiée.

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