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Chaos d’Hugo Perez : éloge de la chute

Photographe autodidacte, grimpeur urbain pur jus et avocat en reconversion chronique, Hugo Perez s’amuse à sublimer les échecs de la grimpe dans son projet "Chaos". Un carnet photo intime où ça saigne, ça tombe, et où la poésie s’invite joyeusement dans le désordre.


Hugo Perez
© Hugo Perez


Si l’escalade est habituellement célébrée comme une danse aérienne entre deux prises, Hugo Perez préfère clairement la variante casse-gueule : celle où l’on hésite, glisse, râle, et finit les doigts en vrac avec l’ego en miettes. Avec Chaos, son dernier projet photographique, ce Parisien de 29 ans met le doigt sur ce que la grimpe a de plus touchant : sa capacité à nous montrer sous notre jour le plus vulnérable. Et, franchement, c’est beau à voir.


Le beau désordre de l’échec


Quinze ans à se frotter au plastique des salles parisiennes, ça vous forge un œil aussi acéré qu’une réglette bleausarde. Hugo fait partie de cette génération pionnière d’urbains accros aux salles : « J’allais grimper quasiment tous les jours vers Antrebloc », nous confie-t-il, avec l’aisance tranquille de celui qui a poncé la résine avant que ça devienne cool.


Mais très vite, comme beaucoup de ses semblables, le voilà attiré par la forêt sacrée : Fontainebleau, ce temple où l’on apprend autant à tomber brutalement qu’à grimper avec style. Sans diplôme fédéral ni stage encadré, Hugo revendique cette dualité avec décontraction. « Moi, je n'en ai pas fait mon métier, je n'ai pas forcément cherché à le faire », avoue-t-il, préférant manier le flash plutôt que les mousquetons.


Tout part d’un cours public de photo proposé par la mairie de Paris. L’exercice ? Concevoir un livre photo. Hugo ne réfléchit pas longtemps : ce sera la grimpe, mais version rebelle. « J'en avais marre des clichés trop léchés de Fontainebleau. On peut avoir l'impression de tourner en rond parfois », reconnaît-il sans détour.


« Il s’agissait de casser les lignes, créer de nouvelles lignes, surtout celles de la chute »

Hugo Perez
© Hugo Perez

Plutôt que de saisir les mouvements parfaits et les blocs bien polis, il braque son flash sur ce qu’on cache d’ordordinaire : les échecs répétés, les doigts en sang, les sourires crispés après la dixième chute. « En général, on montre la photo finale, le beau mouvement bien réalisé. Mais l'échec, ça, on ne va pas forcément le montrer », explique-t-il. Et pourtant, « ce sont quand même des bons moments », insiste-t-il. Il fallait quelqu’un pour le dire.


L’art du flou : quand le photographe perd pied


Avec un usage décomplexé du flou et du flash, Hugo ne cherche pas à troubler le spectateur : il le déstabilise franchement. Là où les clichés classiques magnifient des corps gracieux suspendus dans l’éther, Chaos s’amuse à tracer d’autres lignes : celles de la chute, celles de la glissade incontrôlée, bref, celles de la lose assumée.


C’est la lutte absurde, la quête obstinée du grimpeur face à un caillou qui refuse obstinément de se laisser conquérir

« Il s’agissait de casser les lignes, créer de nouvelles lignes, surtout celles de la chute », annonce-t-il. Une démarche esthétique que n’aurait pas renié Chad Moore, ce photographe américain fasciné par le flou, le grain brut, et la poésie crue du réel. Hugo Perez offre ainsi une chorégraphie jubilatoire où les corps hésitent, vacillent, et chutent sans honte. Une ode à la gravité au sens propre comme au figuré.


Une poésie géologique et existentielle


Derrière le nom Chaos, Hugo ne cache pas une simple provocation esthétique : il nous offre aussi une jolie leçon de géologie. Car Chaos, à l’origine, décrit « un entassement naturel et désordonné de rochers », très fréquent dans les gorges d’Apremont, à Fontainebleau. Une belle image du joyeux bordel qu’est parfois la pratique du bloc.


Mais Hugo, joueur jusqu’au bout, ne s’arrête pas là. Son chaos devient métaphorique, existentiel même : c’est la lutte absurde, la quête obstinée du grimpeur face à un caillou qui refuse obstinément de se laisser conquérir. Et voilà comment, en un clic de flash, une simple chute devient presque philosophique.


Vers une suite au chaos : falaise et féminité


Si Chaos est déjà une belle aventure, Hugo en veut plus. Il admet volontiers les limites de son travail actuel – « Il n’y a pas de femmes, par exemple » – et rêve d’élargir son terrain de jeu vers les falaises, armé d’une corde offerte par ses amis spécialement pour lui permettre de passer des heures suspendu à photographier.


Hugo Perez
© Hugo Perez

Son objectif ultime ? Transformer Chaos en un livre plus ambitieux, ouvert à toutes les diversités, capable de parler à un public plus large. En attendant, il espère exposer ses clichés dans les salles parisiennes, histoire d’insuffler un peu de poésie à ces temples modernes où, trop souvent, seule la réussite est mise à l’honneur.


Avec Chaos, Hugo Perez ne nous montre pas simplement l’envers du décor : il célèbre cet envers avec un panache jubilatoire. En assumant pleinement l’imperfection, il rappelle que la grimpe, comme la vie, est souvent une histoire d’échecs splendides et de réussites modestes. Bref, avec Hugo, le chaos devient carrément désirable. On finirait presque par avoir envie de tomber plus souvent.


Pour consulter en ligne Chaos, c'est juste ici.

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