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Climb Up Aubervilliers : grève sur prises

Dernière mise à jour : 18 avr.

Grève inédite chez Climb Up : une vingtaine de salariés de la salle d’Aubervilliers ont cessé le travail pour dénoncer des conditions qu’ils jugent dégradées. En cause : six licenciements controversés, une direction locale perçue comme hors-sol, et une absence de dialogue avec le siège. Le mouvement s’inscrit dans un climat tendu pour le secteur, en France comme à l’étranger.


Grève Climb Up Aubervilliers
© Vertige Media

Ce matin, devant la salle que Climb Up revendique comme la plus grande d’Europe, le calme inhabituel a quelque chose de paradoxal. Aucun cliquetis métallique, pas de rires nerveux devant un bloc rebelle, seulement le silence déterminé d'une vingtaine de salariés : ouvreurs, moniteurs, hôtes d'accueil. Sur le bitume glacé d'Aubervilliers, l'ambiance n'est pas à la conquête verticale mais à l'affirmation horizontale d'un collectif. Vertige Media était là pour comprendre les ressorts intimes d’un conflit qui raconte bien plus qu’une simple histoire de prises.


« Cette grève, c'est parce qu'on n'a pas été écoutés »


La phrase, prononcée par un ouvreur en CDI à Aubervilliers, pourrait résumer à elle seule le malaise. Mais c'est précisément parce que derrière elle s’empilent les récits, les griefs, et les demandes sans réponse, qu’elle résonne si fort.


« On a essayé. On a tenté des discussions. Et la direction, notamment le directeur de la salle, a fermé toutes les portes. »

À ses côtés, une hôtesse d’accueil en CDD abonde, voix fatiguée mais ferme :


« On est traités comme des exécutants, pas comme des personnes. On demande juste de la considération. »

Cette notion revient comme un leitmotiv chez les grévistes : malgré les multiples tentatives pour alerter sur les conditions de travail, les mails envoyés et les dialogues réclamés, rien ne bouge. Ou plutôt si : les portes se ferment une à une.


Grève Climb Up Aubervilliers
© Vertige Media

Des genoux, un siège, et une dignité


Dans cette grève où les visages racontent autant que les mots, une salariée à l'accueil raconte son histoire comme une synthèse amère :


« Ils m'ont flingué les genoux. J'ai dû pleurer, faire des recours, passer des IRM pour espérer juste avoir un siège. »

Le siège, symbole dérisoire et essentiel, ne lui est arrivé que trop tard. La solution proposée par son directeur ? Une rupture conventionnelle :


« On m'a toujours dit : si ton patron te propose une rupture co, c'est qu'il veut te dégager. »

Elle quittera la salle la semaine suivante, mais sa présence ce matin-là témoigne d’un soutien sans faille à ceux qui restent.


42,20 euros : le prix d'une confiance brisée


Ce qui a mis le feu aux poudres ? Six licenciements soudains, motivés par des faits que la direction qualifie de « vols », mais que les salariés contestent fermement. Selon plusieurs témoignages recueillis par Vertige Media, ces accusations porteraient en réalité sur des gestes commerciaux jugés anodins par les employés, comme des boissons offertes à la clientèle et non enregistrées dans le système. Une sanction vécue comme disproportionnée par les grévistes interrogés :


« Certains étaient là depuis longtemps. Ils ont tout donné pour Climb Up. On les remercie comme ça, pour 42 euros. »

Cette gestion brutale, vécue comme une violence gratuite, a mis le feu à des poudres déjà bien sèches.


Grève Climb Up Aubervilliers
© Vertige Media

Un management hors-sol


Talal Darwish, à la tête de la salle depuis décembre 2024, cristallise les tensions. Ancien responsable chez Kiloutou, il ne vient pas de l'escalade, ce qui en soi ne poserait pas de problème si cela ne nourrissait pas une forme d’incompréhension radicale avec ses équipes. Un moniteur le souligne avec ironie :


« Ça fait deux mois qu'on se dit bonjour, mais il ne sait même pas qui je suis. Il ne sait même pas faire un assurage en cinq temps. »

Sollicité sur place par Vertige Media, Talal Darwish a refusé de répondre à nos questions.

Un contraste avec la démarche de Marc Paoli, directeur de Climb Up Cergy, présent ce matin-là. Lui parle volontiers, tente une médiation :


« À Cergy, il y a un dialogue constant. Ce n’est pas un modèle vertical, chaque salle a ses réalités. »

Une manière de dire en creux qu’à Aubervilliers, le dialogue n’a pas pris racine.


Grève Climb Up Aubervilliers

L'Amérique en miroir


Hasard du calendrier ou symptôme global ? La même semaine, aux États-Unis, les ouvreurs de Touchstone Climbing, le principal réseau américain, déclenchaient eux aussi une grève sur des motifs très similaires : conditions de travail, salaires, reconnaissance. Comme à Aubervilliers, ils pointent du doigt un secteur en pleine croissance mais qui oublie parfois l’humain en chemin.


« Ce n’est pas juste chez nous, confirme un moniteur. C’est profond. On sent que c'est général. »

Le parallèle dit quelque chose de l’évolution d’un secteur qui s’est construit sur une promesse sportive, mais flirte désormais dangereusement avec la surchauffe économique.


La rentabilité en tension : la racine du problème ?


Marc Paoli ne le cache pas : économiquement, le contexte est délicat. Dettes héritées du Covid, concurrence accrue, marché saturé :


« On est très endettés, la rentabilité n'est pas là. On doit faire très attention. »

Cette précarité économique n’excuse rien, mais elle explique sans doute en partie le durcissement des méthodes, la pression commerciale accrue, comme la priorité mise sur le fun climbing, très lucratif mais aussi très critiqué pour les questions de sécurité :


« On encadre des groupes d’enfants sans vraie formation. C’est dangereux, mais ça rapporte gros. »

Grève Climb Up Aubervilliers
© Vertige Media

Et maintenant, quel dialogue ?


Si les grévistes tiennent à clarifier que ce n’est pas la guerre mais un appel urgent au dialogue, ils affirment aussi que leur détermination est entière. Ils réclament une reconnaissance simple, humaine, un traitement digne des conditions de travail, sans grandiloquence mais sans naïveté non plus.


« On ne veut pas cramer la boîte. On veut juste qu’elle fonctionne mieux. Qu’on arrête de nous infantiliser. »

Le mot « infantiliser » revient d’ailleurs souvent dans leurs propos, et sur les pancartes, comme pour dire que le conflit est moins économique ou salarial que profondément humain. En réclamant une discussion directe avec la direction du groupe, les grévistes veulent sortir d’une impasse devenue intenable :


« Tant qu'on n’aura pas un vrai dialogue adulte, on ne s’arrêtera pas. »

À Aubervilliers, ce matin-là, la parole a enfin été libérée. Il reste désormais à voir si elle sera écoutée, ou à défaut, si elle trouvera écho ailleurs. Car au-delà d’un conflit local, c’est la question même du modèle de croissance accélérée des salles d’escalade qui se pose ici. Les murs continuent de pousser, les hommes et les femmes qui les font vivre, eux, ont décidé de ne plus se taire.

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