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Sydney : 250 000 € d’amendes après un accident mortel en salle d’escalade

Le 13 octobre 2021, à Sydney, un grimpeur chute d’une douzaine de mètres sur une voie équipée d’un auto-assureur et perd la vie. Quatre ans plus tard, la justice australienne condamne l’exploitant et deux dirigeants à près de 250 000 € d’amendes. Derrière le chiffre, une évidence : le « mou » qui tue n’est pas toujours au bout de la sangle, il s’insinue souvent plus haut, dans les failles d’une organisation qui oublie de resserrer ses propres nœuds.


Salle d'escalade
© Jonathan Chan

Dans toutes les salles, il y a ce petit bruit rassurant : clac-clac, la sangle qui remonte. Un son mécanique, presque apaisant, qui nous autorise à grimper sans assureur. On tire, on lâche, on s’élance. Au Sydney Indoor Climbing Gym de St Peters, ce rituel a cessé de fonctionner : l’auto-assureur n’a pas repris, le vide a fait le reste. Quatre ans plus tard, le jugement rappelle à toute la communauté que la sécurité ne repose pas seulement sur l’acier et le nylon, mais sur une chaîne plus vaste — faite de gestes répétés, de procédures tenues, et d’une culture que chaque salle doit entretenir comme une corde de vie.


Le fait brut, sans lyrisme mais sans détour


Le jour du drame, l’agence de sécurité au travail — SafeWork NSW — publie un Incident Information Release qui pose les faits sans détour : un auto-assureur défaillant, une chute d’environ treize mètres au Sydney Indoor Climbing Gym de St Peters, un décès. Pas de récit, pas de fioriture : juste la chronologie officielle d’un drame.


Une sangle qui ne rétracte pas, c’est une voie qu’on ne grimpe pas. Point.

En août 2025, le tribunal de Sydney condamne l’exploitant à 281 250 AUD et deux directeurs à 84 375 AUD chacun. Total : 450 000 AUD, soit 250 000 €. La presse généraliste a largement repris le chiffre de 375 000 AUD pour l’entreprise — un montant intermédiaire. Mais le décompte final, documenté par les sources spécialisées, ne laisse guère de place à l’ambiguïté. En escalade comme en justice, mieux vaut clipper la dernière dégaine : c’est souvent là que tout se joue.


À l’audience, une évidence qui dérange


Le dossier technique ne décrit pas une panne tombée du ciel. Il aligne au contraire une série de signaux que personne n’aurait dû classer dans la rubrique « détails » : un indicateur d’usure effacé sur la longe, une sangle coincée dans le tambour, des débris accumulés dans la buse, un mousqueton dont la gâche ne se refermait plus franchement. À cela s’ajoute un service majeur échu depuis juillet 2021, une dernière inspection interne remontant à janvier 2020, et un registre de maintenance qui notait déjà à plusieurs reprises une rétractation défaillante sur les derniers mètres.


La sécurité n’est pas une affiche oubliée au pied du mur, mais une culture qui s’entretient.

Après l’accident, la salle a réagi : retrait définitif de tous ses auto-assureurs, inspections quotidiennes instaurées, tests externes annuels programmés. Une preuve de plus que les correctifs existent — mais qu’ils arrivent souvent trop tard, quand le mal est déjà fait.


Ce que ça dit de nous, grimpeurs et salles


Un auto-assureur n’est ni un ange gardien ni un gadget rassurant. C’est un équipement industriel, qui appelle rigueur et discipline. Inspection, entretien, traçabilité, formation : quatre piliers sans lesquels l’outil bascule en piège.


La juge l’a dit avec des mots qui claquent : un risque « extrêmement évident », des mesures « aisément disponibles »… qui n’ont pas été prises. La traduction est simple : une sangle qui ne rétracte pas, c’est une voie qu’on ne grimpe pas. Point. La sécurité n’est pas une affiche oubliée au pied du mur, mais une culture qui s’entretient : gestes répétés, procédures documentées, preuves conservées.


Résonance internationale : le « zéro mou » n’est pas une lubie


En 2024 puis en mars 2025, la CPSC, l’agence fédérale américaine chargée de la sécurité des produits, rappelle plusieurs modèles TRUBLUE iQ / iQ+ pour défaut de rétractation — « can fail to retract ». La consigne est brutale mais limpide : arrêt immédiat, retour en service usine. Autre pays, autre droit, même barrière réflexe : zéro mou toléré.


Multiplier les barrières, qu’elles soient humaines, matérielles ou technologiques, pour que l’erreur — quelle qu’en soit l’origine — n’aille jamais au bout de sa trajectoire.

En France, la FFME a actualisé ses documents : une affiche sécurité enrouleur (2025) et des règles (2024) qui répètent inlassablement les mêmes gestes. Tirer-lâcher la sangle pour vérifier la rétractation. Faire un test de suspension à un mètre lors de la première montée. Ne pas utiliser si la sangle ne remonte pas. Et afficher ces consignes en grand, au pied des appareils. Rien de décoratif là-dedans : du performatif, au sens le plus concret.


En France : entre drame et alarme


Le 2 novembre 2024, à Climb Up Lyon, un homme de 72 ans chute mortellement. Selon la presse locale, il aurait oublié de s’attacher. Pas la même mécanique qu’à Sydney : ici, une erreur humaine. Là-bas, une défaillance d’exploitation. Mais la leçon converge : multiplier les barrières, qu’elles soient humaines, matérielles ou technologiques, pour que l’erreur — quelle qu’en soit l’origine — n’aille jamais au bout de sa trajectoire. Signalétique claire, parcours qui obligent à clipper, routines d’accueil qui ne laissent rien passer, technologies d’alerte quand l’attention décroche : autant de filets à tisser pour que la chute ne soit pas fatale.


À Nancy, plus récemment, une autre salle du réseau Climb Up choisit de faire du bruit avant que la gravité ne s’en charge : installation du B.A.S.S. (Boîtier d’Alerte et de Sécurité des Salles), un dispositif qui hurle si quelqu’un s’élance sans être attaché. Ce n’est pas une solution miracle, mais une barrière comportementale supplémentaire : un filet cognitif qui rattrape l’oubli là où la fatigue et la routine affaiblissent l’attention. Ça ne remplace ni le tirer-lâcher ni la formation, ça les rend simplement plus probables.


Trois réflexes, une culture : zéro mou


  • Le geste. Tirer puis lâcher la sangle au pied de chaque ligne auto-assureur, tester la reprise sur un mètre, et s’arrêter net au moindre mou. Un geste banal, mais vital.


  • Le regard. Une sangle effilochée, un indicateur disparu, une rétractation qui traîne ? On redescend et on signale. La sécurité, c’est un sport d’équipe.


  • La preuve (côté exploitants). Un journal par appareil, avec photos, numéros de série, horodatage, actions correctives. Pas de la paperasse : une mémoire qui sauve, et qui prouve.


Pourquoi écrire ça maintenant ?


Parce que l’affaire de Sydney n’est pas un fait divers lointain. Elle révèle un angle mort qui nous concerne tous : celui de la routine qui endort. L’auto-assureur nous a appris à grimper sans assureur. Il doit désormais nous apprendre à ne jamais grimper sans culture de la sécurité.


Et si l’on veut filer la métaphore : à Sydney, le mou n’était pas seulement au bout de la sangle. Il s’était insinué dans l’organisation, les habitudes, la gouvernance. À nous de resserrer la chaîne : gestes clairs, affiches visibles, contrôles réguliers, preuves conservées. Pas de panique, pas de morale. Juste de l’intelligence en acte.

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