Les Grips : Pierre Broyer, maître de l’ouverture à l’assaut de l’arène
Pierre Broyer, c’est un nom qui claque dans le monde de l’escalade. Difficile de l’ignorer : il incarne une nouvelle génération d’ouvreurs, à la fois créatif, persévérant, et un brin provocateur. Ce n’est pas juste un ouvreur de talent ; c'est celui que l’on appelle lorsqu’un événement exige des blocs iconiques, inattendus, où l’audace rivalise avec la technique. Des salles d’Île-de-France aux compétitions internationales, Pierre impose sa signature. Et c’est entre deux coups de "choqueuse", sur une pause à Copenhague où il ouvre pour une compétition, que nous avons pris le temps de discuter avec lui des Grips, où il est "Head Setter", mais aussi de son parcours et de sa vision d’un métier aussi exigeant que captivant.

Les premiers pas d’un ouvreur passionné
Pierre débute l’escalade presque par hasard, mais se prend vite au jeu. « Assez vite, je me souviens avoir été fasciné, » raconte-t-il. À peine quelques mois après ses débuts en salle, il observe l’ouvreur Laurent Julien, alors actif chez Antrebloc, un lieu emblématique en Île-de-France, et se met en tête de lui emboîter le pas. Grâce à un arrangement avec le propriétaire de la salle, Pierre décroche ses premières opportunités d’ouverture, marquant ainsi le début d’un parcours intense dans ce monde où la technique devient art. « Je venais de mettre un pied dans l’ouverture », se souvient-il. Il plonge alors dans cette quête d’unicité et de précision, où chaque bloc doit poser des défis tout en racontant une histoire.
L’affirmation d’un style en perpétuelle construction
Si dès le début certains voient en lui une identité d’ouvreur déjà affirmée, Pierre explique que son style s’est forgé au fil du temps : « Il y a une première période où j’étais un peu touche-à-tout. On finit par ouvrir des blocs où l’on se sent à l’aise », confie-t-il. Mais au fil des années, sa démarche s’affine, chaque bloc devient une pièce unique où rien n’est laissé au hasard. « Ce n’est pas du talent mais de la persévérance », insiste Pierre, refusant de se voir comme un prodige. Il évoque l’un de ses blocs iconiques, créé pour les championnats du monde à Berne, autour d’un "no foot" avec des prises transparentes : une configuration audacieuse qui a demandé des années d’essais pour atteindre le résultat voulu. Ce bloc, comme d’autres, illustre son approche : donner à l’escalade une dimension inattendue, presque théâtrale.

Les dilemmes de l’ouverture en compétition : entre échec et dépassement
Ouvrir en compétition, c’est accepter une part d’échec, un concept que Pierre embrasse pleinement. À chaque compétition, la pression monte lorsqu’un bloc échoue à révéler le niveau des grimpeurs et grimpeuses. « Quand les mouvements ne passent pas, tu as des ouvreurs qui fixent leur téléphone, d’autres qui sortent prendre l’air. » Pierre se souvient d’un moment frustrant pour Colin Duffy à Maringen, en Suisse, où un bloc de départ complexe avait empêché les athlètes de comprendre l’intention derrière le mouvement. « Sur le coup, tu te dis pourquoi on a passé autant de temps là-dessus », avoue-t-il. Pourtant, chaque critique, même acerbe, alimente son envie d’aller plus loin et de perfectionner l’expérience grimpeur.
« Quand les mouvements ne passent pas, tu as des ouvreurs qui fixent leur téléphone, d’autres qui sortent prendre l’air. »
Technologie et ouverture : entre inspiration et limites
Avec le mur Titan de EP, le monde de l’ouverture pourrait franchir un nouveau cap, en permettant de reproduire à l’identique des blocs à travers le globe. Pour Pierre, « le fait de standardiser et pouvoir reproduire des blocs » pourrait en effet offrir une opportunité aux fédérations qui se trouvent loin des hubs d’ouverture, comme l’Europe, les États-Unis ou l’Asie. Mais pour lui, le cœur de l’ouverture, c’est aussi de « chercher systématiquement quelque chose de différent et de nouveau. » La technologie, bien que prometteuse, ne remplace pas l’esprit d’invention qui définit le métier d’ouvreur, un domaine où l’improvisation et l’intuition restent irremplaçables.

Les Grips : un terrain de jeu à part entière
En décembre, Les Grips débarquent à Montbéliard, transformant l’Axone, habituée aux concerts, en véritable arène de grimpe. Pas de compétition classique ici : il s’agit d’un show où les meilleurs mondiaux s’affrontent sous les projecteurs, au rythme de sets live signés Vandal X, Ugo et AASH. « Au début, ça paraissait tellement gros, je me disais que ça ne resterait qu’un projet », confie Pierre Broyer qui a été contacté par Morgane Morel pour superviser l’ouverture.
« Au début, ça paraissait tellement gros, je me disais que ça ne resterait qu’un projet »
Pour le contexte, pour cette première édition Les Grips réussit à réunir une quarantaine de pointures internationales, de Tomoa Narasaki à Naïlé Meignan, en passant par Brooke Raboutou. Leur défi : affronter les 16 blocs signés par Pierre et trois autres figures de l’ouverture — Rémi Samyn, Gen Hirashima, et Manuel Hassler. Une équipe que Pierre connaît bien, avec qui il a beaucoup appris, mais pour cette fois, « c’est un peu un challenge, les rôles s’inversent », dit-il en riant, évoquant ses anciens mentors devenus collaborateurs.
« On a quand même passé tous les quatre ces deux dernières années à essayer de coller à des cahiers des charges, des guidelines »
Les Grips lui offrent surtout une liberté rare, loin des contraintes officielles : « On a quand même passé tous les quatre ces deux dernières années à essayer de coller à des cahiers des charges, des guidelines », explique-t-il. Cette fois, « on va pouvoir être un peu plus libres sur cette ouverture. » Mais ce n’est pas tout. Pour une fois, les ouvreurs ne resteront pas dans l’ombre. « Finalement, on va faire partie du décor, là où d’habitude on ouvre, le rideau se lève et les ouvreurs disparaissent », ajoute Pierre, qui apprécie ce clin d’œil. Entre deux rotations de blocs, les ouvreurs seront eux aussi en scène, travaillant au rythme des DJ et des jeux de lumière, comme des chefs d’orchestre de l’ombre, au cœur du spectacle.

« Pour une fois, on montre l’envers du décor, et c’est une bonne chose »
Avec Les Grips, Pierre Broyer signe donc non seulement pour une compétition d’escalade, mais aussi pour un spectacle total. Loin des circuits où les ouvreurs restent invisibles, il s’apprête à livrer une performance en direct, où chaque bloc sera une partition taillée sur mesure pour les meilleurs grimpeurs du globe. « Pour une fois, on montre l’envers du décor, et c’est une bonne chose » conclut-il, le sourire en coin. Pour Pierre, c’est l’occasion d’aller encore plus loin dans sa vision de l’escalade, de prouver que l’ouverture, au-delà des murs et des blocs, peut aussi conquérir une scène, voire un public entier. Les Grips sont là pour ouvrir la voie, et Pierre est bien décidé à marquer les esprits. Fidèle à son style, il garde ses idées bien secrètes, laissant planer le suspense sur ce qu’il réserve aux grimpeuses et grimpeurs. Une chose est sûre : il n’a pas fini de surprendre.
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