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Ventilo en escalade : est-ce que sécher c’est tromper ? 

Depuis la récente performance du bloqueur français Camille Coudert, le débat sur l’usage du ventilateur en escalade agite un peu plus la communauté. Triche ? Dopage technologique ? Ingéniosité pragmatique ou dévoiement de l’esprit outdoor ? Peut-être simplement l’évolution logique d’une pratique qui s’est toujours appuyée sur les outils de son temps pour progresser. Démêlons le vrai du faux et donnons-nous un peu d'air.


Gros ventilo
Prêt à tout foutre en l'air ? © Looking for Wild

L’escalade est une activité qui, historiquement, s’ancre dans la nature. Comme le surf, la planche à voile, le ski de pente raide ou l’alpinisme, elle se pratique en extérieur, dans des environnements instables, changeants, imprévisibles. On grimpe avec la roche que l’on trouve, par le temps qu’il fait, dans des conditions que l’on ne choisit pas. C’est cette part d’incertitude, cette confrontation directe avec l’environnement qui font la richesse (et la difficulté) de ces sports dits outdoor. Et c’est aussi ce qui les différencie de leur déclinaison indoor, où température, humidité, lumière et équipement sont sous contrôle.


Contrôle de l’environnement : des airs de déjà-vus 


Cela dit, aucun de ces sports ne rejette la technologie. Bien au contraire, tous se sont appuyés sur des innovations pour optimiser la performance et améliorer la sécurité :


  • Le carbone a transformé les pagaies de kayak ou les mâts de windsurf 

  • Les casques et dorsales sont devenus la norme en ski extrême.

  • La wax est un passage obligé pour préparer sa planche de surf.

  • Le Gore-tex ® et autres textiles techniques font partie des basiques en alpinisme.

  • En escalade, les chaussons, les cordes dynamiques, les alliages de métaux pour les mousquetons sont autant de technologies intégrées depuis longtemps.


Il y a une différence fondamentale entre s’adapter aux conditions et les modifier pour les adapter à soi

Alors pourquoi un ventilateur poserait-il problème ? En mai dernier, l’un des meilleurs grimpeurs de bloc français, Camille Coudert annonçait sur Instagram avoir enchaîné un bloc nommé Mammunk (assis) en 8B+. Pour réaliser sa performance, l’athlète a utilisé un ventilateur et s’en est expliqué en commentaire. « Toute ma vie de grimpeur, j’ai mouillé. Oui, littéralement. Mes mains, deux éponges humaines… », débute-t-il avant de justifier en trois blocs de texte l’usage de la technologie. Plus bas, dans les autres commentaires, le débat fait rage. Camille Coudert a-t-il triché ?



La question en appelle une autre : faut-il s’adapter aux conditions ou les contrôler ? Car c’est ici que la nuance devient intéressante. Il y a une différence fondamentale entre s’adapter aux conditions et les modifier pour les adapter à soi. Dans la logique des sports outdoor, le·la pratiquant·e s’ajuste à l’environnement. On choisit le bon moment, on optimise son échauffement, on adapte sa stratégie… mais on ne modifie pas la falaise, pas plus qu’on ne modifie le vent ou la neige.


Prenons des exemples inversés pour en saisir l’absurdité :

  • Un skieur de pente raide installerait-il un canon à neige pour garantir une poudreuse parfaite dans son couloir le jour de sa tentative ?

  • Un surfeur poserait-il de gigantesques ventilateurs sur la plage pour recréer un vent offshore favorable et sculpter des tubes parfaits ?


Dès lors qu’on rend sa pratique publique, qu’on la partage, qu’on l’élève au rang d’exemple, il devient nécessaire d’être transparent sur les conditions dans lesquelles la performance a été réalisée

Ces scénarios nous paraissent ridicules. Pourquoi ? Parce qu’ils franchissent une ligne : celle de vouloir contrôler un environnement qui, par nature, ne l’est pas. Et c’est exactement ce que pose comme question l’usage du ventilateur en escalade.


Repenser notre éthique de la performance


Ce débat autour du ventilateur renvoie en réalité à une question plus large : celle de l’éthique en escalade. L’éthique, ce sont les règles  du jeu – tacites ou explicites –  mais aussi les valeurs et les principes qui donnent du sens à la pratique. C’est ce qui donne de la valeur à la performance. Ce sont les limites que l’on s’impose pour que notre pratique reste crédible, comparable, partageable. C’est notamment ce qui nous amène à différencier l’escalade artificielle, l’escalade sportive, l’escalade traditionnelle (ou trad climbing) et le speed climbing. 


Cette question est d’autant plus centrale lorsque l’on est grimpeur ou grimpeuse de haut niveau, professionnel·le ou exposé·e médiatiquement. Car dès lors qu’on rend sa pratique publique, qu’on la partage, qu’on l’élève au rang d’exemple, il devient nécessaire d’être transparent sur les conditions dans lesquelles la performance a été réalisée.


Ce souci de clarté est déjà présent dans d’autres disciplines. Prenons l’exemple de l’himalayisme : les performances y sont systématiquement contextualisées.


  • A-t-on utilisé de l’oxygène pour atteindre le sommet ?

  • L’ascension a-t-elle été réalisée en style alpin ?

  • Était-ce une hivernale ? Et si oui, selon quels critères calendaires ?

  • Quels équipements thermiques ont été utilisés ? Des chaufferettes, des vêtements chauffants ?`


À ce titre, Denis Urubko est souvent cité pour sa rigueur sur ces points. Pour lui, une hivernale ne se définit pas uniquement par les dates, mais aussi par la cohérence de l’engagement et les moyens utilisés. Donc sans oxygène mais aussi et surtout sans chauffages additionnels dans les vêtements. Pourquoi une telle précision ? Parce que le contexte fait partie intégrante de la performance. Et que le respect de certaines règles – même implicites – est ce qui permet aux pratiquant·es de se situer, de se comparer, de se comprendre.


Revenons à l’escalade et à la performance de Camille Coudert. Utiliser un ventilateur pour s’assécher les mains ne semble pas, a priori, relever d’un acte attaquable. Après tout, on utilise déjà de la magnésie pour améliorer l’adhérence. En ce sens, le ventilateur pourrait être vu comme un simple outil d’optimisation supplémentaire. Mais la question devient plus complexe lorsqu’on oriente le ventilateur directement sur les prises. Dans ce cas, il ne s’agit plus de sécher la peau du grimpeur, mais de modifier l’état de la prise elle-même – sa température, son taux d’humidité, son adhérence. Ce n’est donc plus une adaptation du grimpeur aux conditions, mais une transformation des conditions elles-mêmes pour les aligner avec un objectif de performance. Il s’agit clairement d’enlever un paramètre de la performance à savoir être capable de produire sa meilleure escalade lorsque les conditions sont là. Et là, une ligne est franchie. Pas nécessairement une ligne rouge… mais une ligne qu’il faut questionner.


Le côté obscur de la force 


Chercher à neutraliser les aléas météorologiques, vouloir contrôler l’environnement plutôt que s’y adapter, c’est peut-être retirer une part essentielle de ce qui fait la richesse – et la difficulté – de l’escalade en extérieur. En effaçant les variables imprévisibles, on rend les performances plus fréquentes, plus sûres… mais aussi potentiellement moins intenses, moins singulières. En voulant fiabiliser la réussite, on risque d’appauvrir l’expérience.


Supprimer cette incertitude, c’est lisser l’aventure

Car une partie de ce qui fait la saveur d’une croix, c’est précisément l’incertitude. Cette part d’engagement psychologique – être capable de tout donner au bon moment, sans garantie de seconde tentative – participe pleinement de la performance. Quand les conditions favorables ne durent qu’une heure, qu’un essai, qu’une fenêtre météo, cela crée une tension particulière. Une pression douce, mais bien réelle. Et souvent, c’est elle qui transcende l’instant. Supprimer cette incertitude, c’est lisser l’aventure. Et ce n’est pas un simple détail. Alors,  on s’interroge : quid des chalumeaux pour sécher les prises ? Des bâches pour couvrir les blocs ? Où place-t-on la limite ?


Shawn Raboutou sur Burden of Dreams
Shawn Raboutou a dû mettre en place toute une installation pour essayer le bloc Burden of Dreams en pleine tempête de neige en Finlande © capture d'écran de « Projecting "Burden of Dreams" V17 in the WORST weather ever?! » sur Youtube

Et au fond, si la performance ne reposait que sur l’enchaînement physique des mouvements, pourquoi distingue-t-on encore une réalisation en tête d’un enchainement en moulinette ? Après tout, les prises ne changent pas. Si seul le mousquetonnage constitue la variable, il suffirait de grimper en moulinette tout en démousquetonnant les dégaines pour « compenser » ?


Ce type de raisonnement éclaire une chose : en réduisant l’escalade à un pur exercice de force, d’endurance ou de friction, on passe à côté d’un élément fondamental. Car la performance, ce n’est pas juste ce que l’on fait. C’est aussi quand, comment et dans quelles conditions on le fait. Un équilibre subtil en somme.


Faut-il préciser l’usage du ventilateur quand on annonce une croix ? Faut-il réserver son usage à la peau, pas aux prises ? Faut-il accepter qu’en extérieur aussi, la performance devienne un simple bien de consommation ? Faut-il gommer cet aspect psychologique de la performance à savoir jouer avec les conditions ? À vous de voir. À vous de décider quelles règles vous vous imposez. Mais à condition de les rendre visibles et de les assumer. Car c’est aussi cela, faire une performance : s’exposer, et accepter d’en discuter.

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