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Fermeture de Vertical’Art à Lyon : « L’escalade grandit trop vite et on en paie le prix »

Dernière mise à jour : 7 mai

Les quinze salarié·e·s de Vertical’Art Lyon ont appris la fermeture de leur salle la veille au soir. Si d’aucuns critiquent la brutalité de la nouvelle, la majorité reste lucide sur une décision qui paraissait inéluctable. Et sur un secteur de l’escalade privée qui, loin de la hype supposée, serait bel et bien en crise. Décryptage de l'intérieur.


La salle Vertical' Art de Lyon pendant un évènement.
La salle Vertical'Art Lyon © Vertical'Art

« On est en train de lire des papiers pour savoir à quelle sauce on va être mangé, c’est un joyeux bordel ». Quand il prend la parole au bout du fil, cela fait à peine 24h que Simon* a appris qu’il ne travaillerait plus jamais dans la salle d’escalade où il se rend pour travailler chaque semaine. Cela fait une heure tout juste qu’on vient de lui notifier son licenciement économique. Alors, évidemment, c’est un peu le bazar. Ce mercredi 30 avril, le groupe Vertical’Art a annoncé la fermeture d’une de ses plus grandes enceintes d’escalade de bloc, à Lyon. Sur la page Instagram de la salle, l’enseigne a posté un message, « le coeur serré », remerciant les grimpeuses et les grimpeurs et refermant le chapitre de

6 années d’activité. Drôle de symbole, car c’est bien la veille de la Fête du Travail que les 15 salariés de la structure ont appris leurs conditions de départ.


24h chrono


La majorité d’entre eux/elles sont sous le choc. Il faut dire que le fer est encore rouge. Ce n’est que mardi 29 avril au matin, soit 24h avant l’annonce officielle du groupe, que les salarié·e·s ont appris que leur salle allait fermer définitivement. La nouvelle leur a été communiquée par Jessica Salomon, la directrice de la salle Vertical’Art Lyon, elle-même impactée par le plan de licenciement et mise au courant seulement un jour auparavant. Le lendemain, c’est le PDG du groupe, Lawrence Chapelier, accompagné de la Directrice des Ressources Humaines, Marion Lefrère, qui a fait le déplacement dans la capitale des Gaules pour expliquer aux salariés les conditions dans lesquelles ils allaient quitter l’entreprise. « On a beau comprendre la décision économique, toute l’équipe a vraiment subi un coup, répond Elsa*, une salariée qui a récemment rejoint le groupe. Pour la plupart, la salle, c’était une seconde maison. Je pense à ceux qui étaient là depuis 6 ans. Tu leur annonces du jour au lendemain que c’est fini, c'est quand même ultra-violent. » 


« En prenant la décision de fermer brusquement, cela envoie le message que l’escalade est devenu un simple produit capitaliste » Une salariée de Vertical'Art Lyon

De tous les employé·e·s que Vertige Media a interviewé·e·s, c'est surtout la communication du groupe qui est pointée du doigt. « C’est hyper brutal, témoigne Tristan*, un salarié plus ancien. Même notre directrice s’est sentie déresponsabilisée. On aurait aimé pouvoir l’annoncer correctement aux gens qui le méritent : les clients, les encadrants, les élèves. Histoire de dire au revoir au public qu’on a fédéré depuis 6 ans. » « Après, le PDG du groupe l’a reconnu. Il aurait aimé mieux faire, tempère Elsa. Moi, je pense qu’ils ont voulu nous faire bosser jusqu’au bout, pensant que s’ils nous l'avaient annoncé avant, toute l’équipe se serait désengagée. » Simon, de son côté, l'explique autrement en invoquant des raisons de confidentialité : « Ils craignaient que la nouvelle se propage et qu'elle affecte l'image publique du groupe. C'est compréhensible même si on est beaucoup à prendre ça pour un manque de confiance ». Elsa poursuit : « Le problème, ce n'est pas la fermeture pour des raisons financières, c’est qu’ils ont complètement sous-estimé les facteurs humains et l’engagement émotionnel du staff et de la clientèle ».



La grande majorité des salarié·e·s interrogé·e·s sont d'ailleurs lucides sur la situation : Vertical’Art, à Lyon, perdait de l’argent. « En six ans, on n’a jamais atteint la rentabilité, indique Simon. Quand ta structure commence à devenir un gouffre financier et qu'il faut beaucoup d'argent pour rénover des locaux vieillissants, je comprends qu'on décide de lever le crayon. » Il y a un an déjà, des informations circulaient en coulisses selon lesquelles le groupe Climb Up de François Petit aurait fait une offre de rachat. « Cette info que je connaissais en off depuis longtemps nous a été confirmée par la direction ce matin (l’entretien a eu lieu le 30 avril, ndlr), continue Tristan. Seulement depuis, François Petit s’est retiré et Vertical’Art n’a pas trouvé de repreneur. » C’est donc une fermeture administrative qui a bel et bien été prononcée. « Ça nous pendait au nez, rajoute Elsa. Quand je suis arrivée, on savait déjà que la salle connaissait des difficultés. Elle n’est pas vraiment à Lyon, elle est située sur une commune voisine (à Saint-Priest, ndlr). C’est mal desservi et difficile d’accès. Les directeurs ont espéré que le tram s’y installe. Il n’est jamais arrivé. » D’autres salarié·e·s évoquent le coût d’exploitation. D’après nos informations, la salle aurait eu besoin de 100 000 euros de travaux de rénovation. « Elle était vétuste, lâche Simon. Et quand les investisseurs ont regardé la facture, ils ont préféré siffler la fin de la récréation. »

« J’ai l’impression que notre pratique se désengage de l’humain auquel elle fait référence à la base » Une salariée de Vertical'Art Lyon

Les limites de l’escalade marchande


Fondé en 2013, le groupe Vertical’Art a, depuis, ouvert une quinzaine de salles dans toute la France. Aujourd’hui, et après la fermeture de Lyon, l’enseigne en compte 12 puisqu'elle a déjà vu ses deux salles parisiennes fermées : Chevaleret et Pigalle, respectivement rachetée par Arkose et fermée sans repreneur. L’an dernier, à l’occasion d’une interview exclusive pour Vertige Media, le PDG du groupe, Lawrence Chapelier, expliquait que la stratégie était alors de « se rediriger vers la province, motivée par le potentiel de croissance et de développement hors de Paris ». Manifestement, le potentiel n’a pas été suffisamment exploité à Lyon. Contactée par Vertige Media, la direction de la communication du groupe n’a pas répondu.


Pour Tristan, il faut pourtant dépasser les spécificités locales. « Le contexte économique de l’escalade est dégueulasse, lâche-t-il. Entre les grèves et la baisse des chiffres, la fermeture de la salle était à prévoir. L’escalade grandit trop vite et on est en train d’en payer le prix. » D’après lui, le marché des salles privées souffre désormais d’une offre trop importante. « On sait déjà que des petits acteurs tirent la langue en région, continue-t-il. Si tous les groupes s’amusaient à dévoiler leurs chiffres, les gens seraient choqués. Même à Paris, il y a trop de salles pour le nombre de grimpeur·ses. Un jour, ça va péter. » Elsa ne dit pas autre chose même si elle tient à corréler son raisonnement à la fermeture de Vertical’Art Lyon : « En prenant la décision de fermer brusquement, cela envoie le message que l’escalade est devenu un simple produit capitaliste. J’ai l’impression que notre pratique se désengage de l’humain auquel elle fait référence à la base. C’est ce qui me déçoit le plus », explique-t-elle.


Désormais notifié·e·s de leur licenciement, les 15 salarié·e·s de Vertical’Art espèrent désormais pouvoir faire passer le leur, de message. « On a réussi à créer une salle familiale où il s’est passé quelque chose de fort, pose Tristan. On a essayé de créer un endroit où les clients avaient envie d’être : une bonne ambiance, de la bonne escalade. En quelques heures, on a reçu tellement de messages de soutien que le staff pense fort à la clientèle à qui nous n’avons malheureusement pas pu nous adresser comme on le souhaitait. » Simon, lui, est plus bref : « Le plus triste, c’est que ce n’est pas qu’une salle d’escalade qui ferme, c’est un lieu de vie ». Vertical’Art Lyon referme ses portes sur six ans d’existence heureuse. Derrière, ce sont désormais les souvenirs qui planent au-dessus des tapis et des murs vides. Comme pour rappeler qu’à rebours d’une hype parfois mythifiée, le monde de l’escalade peut sonner bien creux. *Le prénom a été modifié

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