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Fédérations d’escalade : un modèle à bout de souffle ?

Dernière mise à jour : 19 avr.

L’info n’a pas encore filtré jusqu’aux chaussons des grimpeurs lambda, mais dans les bureaux des clubs affiliés à la FFME, c’est déjà la discussion du moment : les licences pourraient grimper de 10€. Un courrier officiel, tombé le 18 mars dans les boîtes mail des président(e)s de clubs, annonce la couleur : une hausse soumise au vote lors de l’Assemblée Générale début avril. Pendant ce temps, la FFCAM, fraîchement pilotée par Charles Van der Elst, s’apprête à dégainer une "contribution environnementale" obligatoire pour ses licenciés. L’objectif affiché ? Financer la transition écologique et la rénovation des refuges.


Deux hausses, deux visions. Mais une question qui dérange : jusqu’à quand les licenciés seront-ils la seule variable d’ajustement ?


Fédération en crise
© David Pillet

FFME : une augmentation qui coince, mais nécessaire


Depuis plusieurs années, la FFME fait de la comptabilité acrobatique, et l’équilibre repose largement sur les licences. Quand le budget tangue, le réflexe est toujours le même : revoir les tarifs à la hausse. Cette année, l’augmentation s’explique par l’inflation, des réserves en baisse et la fin du partenariat avec Blank, qui représentait un soutien financier de poids.


Pour mieux comprendre les rouages financiers de la fédération, nous avons échangé avec Alain Carrière, président de la FFME. Selon lui, 50 % des recettes de la fédération viennent des licences, un chiffre qui grimpe à 65 % si l’on inclut l’assurance, reversée à un organisme externe. Les formations et autres ressources propres comptent pour 20 %, les subventions plafonnent à 10 %, et les partenariats stagnent à 5 %, un chiffre ridiculement bas comparé à d’autres sports.


« Les subventions ont certes augmenté avec l’entrée de l’escalade aux JO, mais elles restent largement inférieures à celles d’autres disciplines », explique Alain Carrière. « Elles ont été définies à une époque où l’État était moins regardant sur ces budgets, et aujourd’hui, il est difficile d’imaginer faire marche arrière. »

Dans ce contexte, la hausse fait grincer des dents, mais elle semble aujourd’hui être la seule solution pour éviter que la fédération ne se retrouve en difficulté financière. Les clubs seront partagés : certains voudront défendre leurs licenciés et éviter de leur faire porter ce fardeau, tandis que d’autres reconnaîtront que sans cet ajustement, la FFME risque d’avoir encore moins de marge de manœuvre à l’avenir.


L’alternative serait de repenser entièrement le modèle économique de la fédé, mais ça prend du temps. Et le temps, justement, la FFME n’en a pas.


FFCAM : écologie ou cache-misère budgétaire ?


De l’autre côté, la FFCAM adopte une autre approche, mais le constat de départ est le même : les finances sont tendues. Avec Charles Van der Elst aux commandes, la fédération affiche son ambition écologique et annonce une contribution environnementale obligatoire sur les licences. L’idée : financer la rénovation des refuges et des actions pour la préservation de la montagne.


Sur le papier, l’intention est louable. Mais pour l’instant, rien ne dit que cet argent sera strictement fléché vers ces projets, et non absorbé dans d’autres postes budgétaires.

D’autant que la FFCAM tire l’essentiel de ses revenus des refuges, mais ce sont aussi eux qui pèsent le plus lourd dans ses dépenses. Chaque rénovation coûte une fortune, malgré les recettes générées. Un équilibre fragile, où chaque chantier devient un casse-tête financier.


Si cette contribution environnementale est bien utilisée, elle pourrait être un levier puissant pour inscrire l’alpinisme et l’escalade dans une dynamique plus durable. Mais si elle manque de transparence, elle risque d’être perçue comme une hausse de licence camouflée sous un vernis écolo.


Grimpeurs de haut niveau : système D et appel aux dons


Pendant que les fédérations tentent de boucler leur budget, les grimpeurs de haut niveau, eux, doivent toujours jongler pour financer leurs saisons. En France, la FFME ne peut pas envoyer tous ses athlètes sur chaque étape du circuit international. Certaines compétitions, notamment celles à l’autre bout du monde, restent inaccessibles faute de budget. Les grimpeurs doivent alors choisir : autofinancer leur déplacement ou faire une croix sur leur participation.


Et ce problème ne concerne pas que la France. L’escalade de haut niveau manque de financements partout. L’Allemagne en est un exemple criant : Alex Megos a récemment lancé un appel aux dons pour permettre à ses compatriotes de participer aux compétitions internationales, faute de soutien suffisant de leur fédération. Une initiative qui en dit long sur la précarité du modèle économique de la discipline.


Ce paradoxe est frappant : l’escalade se professionnalise, mais son financement reste du bricolage.


Salles privées et marques : un angle mort du financement ?


Pendant que les fédérations comptent leurs centimes, l’escalade commerciale explose. Les salles privées ouvrent à un rythme effréné, les marques élargissent leurs gammes, et les chaussons s’arrachent en magasin.


À première vue, tout roule pour le business de la grimpe. Mais le lien entre cet essor et le financement du sport fédéral reste quasi inexistant. Certes, certaines salles sont affiliées à la FFME et un représentant des salles privées siège au sein de la fédération. Mais leur contribution reste marginale, loin d’être un véritable levier économique pour le haut niveau ou le développement de l’escalade compétitive.


Ailleurs, le modèle est plus structuré. En ski, les stations participent au financement des équipes nationales. En athlétisme, les sponsors privés sont un pilier du budget fédéral. En escalade, on est encore loin d’une telle structuration.


Mais avant de pointer du doigt les salles privées, il faut regarder leur réalité économique. Ces dernières années, elles aussi ont dû augmenter leurs tarifs pour encaisser l’inflation : coûts énergétiques en hausse, loyers qui flambent, prix du matériel qui explose. Leur équilibre est fragile, et certaines cotisent déjà à la FFME, mais sans que cela suffise à créer un véritable modèle de financement mixte.


L’enjeu n’est pas de leur imposer un financement direct, mais de réfléchir à la manière dont l’essor commercial de l’escalade pourrait mieux profiter à son développement sportif.


Vers un big wall budgétaire ?


2025 s’annonce comme un tournant. Si la FFME valide sa hausse de tarifs, les grimpeurs paieront encore un peu plus. À la FFCAM, la contribution environnementale viendra alourdir la note. Individuellement, ces ajustements pourraient sembler anodins. Mais mis bout à bout, ils révèlent une fragilité structurelle.


Ce n’est pas uniquement une question de manque de moyens, c’est aussi une question de gestion et d’anticipation budgétaire. Le Club Alpin Suisse (CAS) en a fait les frais : après avoir organisé les Championnats du Monde d’escalade 2023 à Berne, la fédération s’est retrouvée avec un déficit abyssal de 1,8 million d’euros. Mauvaise anticipation des coûts, ambitions mal calibrées… Résultat, le CAS a dû puiser dans ses réserves pour colmater la brèche, et l’impact financier continue de peser sur ses activités. Loin de dire que toutes les fédérations gèrent mal leur budget, cet épisode montre à quel point une gestion approximative peut avoir des conséquences lourdes sur des finances déjà fragiles.


Les fédérations sont prises entre deux écueils : d’un côté, un financement structurel insuffisant, de l’autre, des prises de risque dont l’ampleur est parfois sous-estimée. Quand un sponsor se retire ou qu’un budget se resserre, la seule variable d’ajustement reste souvent les licenciés.


Ce modèle tient encore, mais il ne fait que repousser l’inévitable. Tant qu’il reposera sur des financements instables et des ajustements de dernière minute, chaque turbulence deviendra une crise. Et si rien ne change, ce ne sont pas seulement les fédérations qui risquent de tomber… c’est toute la structuration du sport qui pourrait décrocher.

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