Elnaz Rekabi, la grimpeuse iranienne au cœur d'une résistance silencieuse
Lorsque l'on évoque Elnaz Rekabi, son nom résonne bien au-delà des murs des salles d’escalade. En l’espace de quelques mois, cette athlète iranienne est passée du statut de grimpeuse talentueuse à celui de symbole, presque malgré elle. Son ascension fulgurante dans le monde de l’escalade et sa participation à des compétitions internationales se sont soudainement transformées en un acte perçu comme une forme de résistance, marquant un tournant dans sa carrière et dans sa vie.
Des débuts prometteurs
Née en 1989 en Iran, Elnaz Rekabi découvre très tôt l’univers de l’escalade. C’est son frère, également grimpeur, qui l'initie à cette discipline exigeante. Dès l'âge de 12 ans, elle se familiarise avec les murs et, à seulement 15 ans, elle fait ses premières armes dans des compétitions internationales. Si la plupart des athlètes de haut niveau bénéficient d'un soutien logistique et moral, Elnaz Rekabi se retrouve souvent seule sur le circuit, sans coach, sans équipe, mais avec une détermination inébranlable.
Cette persévérance porte ses fruits en 2021, lors des Championnats du monde d’escalade à Moscou. C'est là qu’elle décroche la troisième place dans l'épreuve combinée, une discipline réunissant vitesse, bloc et difficulté. Ce podium, au-delà de l’exploit sportif, est historique : Elnaz Rekabi devient la première femme iranienne à se hisser à ce niveau dans une compétition internationale. Une reconnaissance mondiale qui couronne des années de sacrifices et de combats personnels.
Un geste aux répercussions mondiales
Cependant, ce n’est pas cette médaille qui va propulser Elnaz Rekabi sur le devant de la scène médiatique internationale. En octobre 2022, alors qu'elle participe aux Championnats asiatiques d'escalade à Séoul, un événement va faire basculer sa carrière dans une toute autre dimension. Lors de sa performance, Elnaz Rekabi grimpe sans porter le voile obligatoire, une infraction directe aux lois strictes imposées par son pays. Les images de son ascension, tête nue, font rapidement le tour des réseaux sociaux, et le scandale éclate.
Ce geste survient dans un contexte de tensions extrêmes en Iran, alors que des manifestations massives secouent le pays après la mort de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée pour avoir mal porté son hijab. Ce qui aurait pu être perçu comme un incident isolé se transforme en symbole de résistance contre le régime. Les spéculations fusent : Elnaz Rekabi a-t-elle sciemment défié les autorités ? Est-elle en danger à son retour en Iran ?
À peine son avion posé à Téhéran, les rumeurs d’arrestation se multiplient. Les autorités iraniennes confisquent son passeport et son téléphone, alimentant encore davantage les inquiétudes. Sur Instagram, Elnaz Rekabi publie un message affirmant que son voile est tombé "accidentellement" en raison de la précipitation de l’épreuve. Une déclaration qui laisse perplexes de nombreux observateurs, soupçonnant qu’elle a été contrainte de s’excuser sous pression.
Une héroïne malgré elle
Malgré cette tentative de minimiser l'incident, le retour d’Elnaz Rekabi en Iran est un événement en soi. Une foule de sympathisants l’attend à l'aéroport de Téhéran, la considérant déjà comme une héroïne, qu’elle l’ait voulu ou non. Le visage souriant qu’elle affiche devant les caméras contraste avec les inquiétudes qui planent sur son avenir. Si les autorités démentent toute forme de répression, des sources proches rapportent qu'elle serait sous surveillance constante et que sa famille subirait également des pressions.
Pour de nombreuses Iraniennes, Elnaz Rekabi est devenue un modèle, non seulement en tant qu’athlète, mais aussi en tant que femme ayant, d’une manière ou d’une autre, défié les interdits. Son geste, qu’il ait été prémédité ou non, a pris une ampleur politique que peu auraient pu anticiper. Alors que des manifestations continuent de secouer l’Iran contre les restrictions imposées aux femmes, la grimpeuse devient le visage d’une lutte silencieuse, celle des femmes qui, au quotidien, tentent de s’affranchir des contraintes sociales et légales.
Une athlète, une coach, une résistante
Aujourd’hui, Elnaz Rekabi continue de grimper, de s’entraîner, mais surtout d’entraîner les autres. Depuis une quinzaine d'années, elle s’est investie en tant que coach auprès des jeunes grimpeurs et grimpeuses iraniens, formant ainsi une nouvelle génération d’athlètes. Son influence dépasse le cadre sportif : pour beaucoup, elle incarne la possibilité d’évoluer dans un environnement où les femmes sont systématiquement marginalisées.
À 35 ans, elle reste une figure centrale du sport en Iran, mais son rôle a pris une dimension bien plus large. Si sa maison familiale a été détruite en décembre 2022 par les autorités iraniennes, un acte perçu comme une forme de représailles indirectes, Elnaz Rekabi continue de symboliser une forme de résistance silencieuse.
Sa trajectoire rappelle que le sport, au-delà de l’exploit physique, peut devenir un outil de contestation, un terrain de bataille pour les libertés fondamentales. Dans le contexte iranien, où les femmes doivent se battre pour leur droit à exister librement, Elnaz Rekabi a, volontairement ou non, ouvert une brèche.
Un avenir incertain, mais plein d’espoir
La question qui demeure est celle de l’avenir d’Elnaz Rekabi. Si elle continue à grimper et à former de jeunes athlètes, son geste en Corée du Sud a laissé une marque indélébile. Alors que les regards internationaux sont braqués sur elle, son destin semble de plus en plus lié aux évolutions politiques et sociales de son pays.
Le parcours d’Elnaz Rekabi est celui d’une femme qui n’a jamais cessé de se battre, que ce soit pour ses rêves sportifs ou pour son intégrité personnelle.