Danse escalade : et si on arrêtait de viser le sommet ?
- Adrien Bataille
- 31 mars
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 avr.
L’escalade aujourd’hui ? Un peu comme un open space : chacun dans sa ligne, chacun avec ses codes couleurs, chacun avec sa croix à cocher. On grimpe pour réussir, on grimpe pour le sommet, mais on oublie pourquoi on grimpe. Antoine Le Menestrel et Ivan Le Pays étaient au Salon de l’Escalade pour proposer une autre histoire : celle où grimper, c’est d’abord créer du sens et du mouvement.

Quand la cotation prend le melon
Depuis que l’escalade est olympique, elle est devenue une affaire de chiffres : les prises sont fluo, les ouvertures calibrées, et Instagram célèbre surtout les « machines » qui plient des 8a comme on enchaîne les expresso. Ça fait rêver les ados et ça vend des chaussons, mais franchement, ça raconte quoi du geste, de la fluidité, de l’esthétique ?
Pierre-Gaël Pasquiou, fondateur de Vertige Media et animateur de la conférence, lance la discussion avec un souvenir qui raisonne :
« Ça m’est arrivé plusieurs fois de refaire une voie, et qu'on me dise : 'Pourquoi tu l'as fait ? Tu l’as déjà réussie !' Oui, mais il y avait un truc dans le mouvement que je trouvais sympa. »
C’est ça la danse escalade : redécouvrir le plaisir de grimper pour grimper, comme un danseur répète un mouvement. Pas pour la performance, mais parce que c’est beau. Tout simplement.
Antoine Le Menestrel : « Le sommet est une voie sans issue »
Antoine est l’homme qui danse sur les murs depuis les années 80. Il aurait pu être l'un des meilleurs grimpeurs de son époque ; il a choisi d’être artiste. Mais avant de monter sur scène, il a connu les voies extrêmes et la grimpe comme un exutoire :
« Je purgeais ma dépression et mon mal-être dans les voies les plus dures du monde. »
Un jour, il choisit de refuser la compétition pour ouvrir les voies des compétiteurs. Paradoxe ? Plutôt révélation :
« C’est en assumant ma contradiction que je me suis révélé artiste. »

Aujourd’hui, Antoine danse sur les façades urbaines et en cascade de glace – sans crampons, sans piolets. Une façon poétique et radicale de protester contre une escalade qu’il juge trop industrielle. La grimpe selon lui ?
« Le sommet est une voie sans issue. Et la descente n’est pas indécente. »
Traduction libre : grimper, ce n’est pas fuir la chute. C’est épouser la gravité.
Ivan Le Pays : prise de liberté
En face d’Antoine, Ivan Le Pays. Tatoueur, sculpteur et créateur de prises d’escalade hors cadre. Le genre de mec qu'on a envie d'appeler quand on se lasse du défilé des réglettes roses et vertes. Ses prises ? Oubliez les bacs bien visibles à prendre à pleines mains, pensez sculptures allongées en bois, lignes abstraites et courbes organiques inspirées des rochers de Fontainebleau.
« Là où je prends le plus de plaisir en salle, c’est quasiment en faisant du multicolore. »

C’est à Antoine qu’il doit le déclic :
« J’avais tous ces dessins inspirés des rochers, sans savoir quoi en faire. Jusqu’à ce que je lise une phrase d’Antoine dans son livre : "Je veux jouer avec l’équilibre entre escalade et danse." Ça a fait tilt. »
Aujourd’hui, Ivan propose autre chose que grimper en force : grimper pour chercher, imaginer, improviser. Des prises à l’échelle du corps, pas de la main.
L’escalade a-t-elle besoin d’une cotation artistique ?
Question posée dans la salle : peut-on, faut-il coter la danse escalade ? Antoine sourit, mais la réponse fuse, nette :
« Ce n’est pas la cotation qui m’intéresse, c’est l’espace disponible à la poésie dans le geste. »
Autrement dit : vouloir tout quantifier, c’est oublier que l’art ne se mesure pas. La danse escalade – ou appelez-la comme vous voulez – est là pour rappeler qu'on peut grimper sans réussir une voie, qu'on peut redescendre autrement, qu'on peut inventer sa propre règle du jeu.

« Inventez votre façon de grimper »
C’est Antoine qui lance l’appel :
« Il y a que vous qui dites comment grimper. Tout le reste, c’est une éthique inventée. »
L’idée est belle : grimpez en solo ou en cordée, grimpez pour contempler, grimpez les yeux fermés, grimpez pieds nus pour sentir les prises sous vos orteils, grimpez pour raconter une histoire :
« Avec Marie-Laure, on faisait de l’escalade poétique. Elle me disait : tu grimpes, tu descends, et tu me racontes l’histoire que la voie t’a racontée. »
Grimpez à l’envers, grimpez sans sommet. Grimpez comme vous voulez. Mais grimpez pour quelque chose qui compte, pour vous.

Sortir du vertical, entrer dans le transversal
Pour Ivan, c’est le chemin : décloisonner l’escalade en ouvrant à d’autres pratiques, d’autres disciplines :
« Sortir de la verticalité pour aller vers la transversalité. »
Son exemple : Ashima Shiraishi, grimpeuse élevée par un père danseur butô, qui grimpe comme on danse. Un modèle ? Plutôt une inspiration. Comme Antoine, comme Patrick Berhault, comme Patrick Cordier avant eux. Et comme tous ceux qui décident que grimper, ce n’est pas uniquement aller vers le haut. Mais c’est surtout aller vers soi.
En sortant de la salle de conférence, on ne pense plus vraiment à la cotation ni au classement. Juste à l'envie de prendre une prise autrement, de grimper en multicolore, de faire tourner son pied sur un volume rond et de s'offrir le luxe, pour une fois, de redescendre lentement.
Parce qu’après tout, le sommet peut attendre.
📽️ Vidéo de la conférence :
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📖 Antoine Le Menestrel est l’auteur de Folambule, un livre à ne pas lire absolument.