"Emprises", l’escalade en sculpture, de Fontainebleau à Bastille par Ivan Le Pays
Bobigny, un jour de grisaille parisienne. Dans un atelier du Wonder, Ivan Le Pays donne forme à des sculptures qui capturent l’essence du mouvement, inspirées par les rochers de Fontainebleau. Grimpeur et artiste, il vit dans une tension créative entre ses deux passions : la grimpe et l’art. « L’idée, c’est d’explorer ce que l’escalade peut devenir quand elle se libère du cadre de la performance », explique-t-il, les mains noircies de poussière de bois brûlé, la matière première de ses œuvres.

Ce mois-ci, c’est au cœur du partenariat Les Prises de la Bastille entre Arc’teryx et Climbing District, qu’Ivan inaugure "Emprises", une exposition singulière. Des volumes sculpturaux qui semblent tout droit sortis de la forêt de Fontainebleau tapissent le mur d’escalade : ils défient les grimpeurs, non par des prises colorées et des chemins tracés, mais par une invitation au mouvement brut. « Il n’y a pas de ‘top’ ici, pas de point d’arrivée. Juste des gestes à trouver, à inventer », dit-il en ajustant un volume noirci par le feu. Son objectif : pousser les visiteurs à repenser leur grimpe, à jouer sur des sculptures qui ne dictent rien, mais incitent à ressentir.
Arc'teryx, ou l’aventure commune
Depuis quatre ans, Ivan collabore avec Arc'teryx, la marque d’outdoor réputée pour son exigence technique. C’est en Alaska, lors d’un projet où il tatouait en pleine nature, qu’il attire leur attention. Leur collaboration s’approfondit ensuite dans les Alpes, où Ivan mène installations et projets artistiques pour l'Arc'teryx Alpine Academy. « C’était naturel qu’on bosse ensemble, je pense. Ils voient l’art comme une extension de la nature », partage-t-il. Chaque été, il propose à Arc'teryx une idée nouvelle : direction artistique, installation éphémère, exploration des gestes. En 2023, c’est à Chamonix que son nouveau projet prend forme, avec pour vision de créer un pont créatif, inspiré par la danse-escalade des années 80, ce mouvement hybride où l’escalade s’affranchit du rocher.
Ivan s’est nourri des écrits de Patrick Berhault, le pionnier qui, fasciné par la danse, réussissait à tisser des liens improbables entre deux mondes apparemment opposés. « Patrick Bérault, il a travaillé à faire un pont entre l’escalade et le monde de la danse en créant… la danse escalade dans les années 80, et j’ai été fasciné… par le pont qu’il réussissait à faire entre deux milieux qui sont antinomiques à la base. » Cette quête a imprégné sa relation avec Arc'teryx : ici, l'art rencontre l'escalade. Pour Ivan, les sculptures exposées à Bastille incarnent cette vision.
« Patrick Bérault, il a travaillé à faire un pont entre l’escalade et le monde de la danse en créant… la danse escalade dans les années 80, et j’ai été fasciné… par le pont qu’il réussissait à faire entre deux milieux qui sont antinomiques à la base. »

Une exposition immersive, ouverte à toutes et tous
Ce qui rend cette exposition unique, c’est qu’elle est conçue pour être touchée, escaladée. Pas de barrière entre l’œuvre et le visiteur. En collaboration avec Thomas, ouvreur chez Climbing District, Ivan propose une expérience nouvelle : faire évoluer les blocs tout au long de l’événement. Les grimpeuses et grimpeurs pourront découvrir l’art sous un angle inédit, explorant non pas une performance mais un geste, une sensation. « Ces volumes, c’est comme un prolongement des rochers de Fontainebleau. Je veux que les gens se sentent libre de chercher leurs propres mouvements sans contrainte », précise-t-il. Ce processus, selon Ivan, est une réflexion sur la manière dont le corps réagit à l’espace.
« Ces sculptures en bois brûlé… j’aimerais que ça recrée la sensation de chercher le mouvement, de ne pas avoir uniquement à suivre une couleur… »

Les volumes, façonnés dans du bois brûlé, viennent d’une technique traditionnelle japonaise, le shou-sugi-ban, qui fixe le bois pour en faire une matière durable et résistante. Ce choix esthétique n’est pas anodin. Le bois brûlé offre une texture organique qui rappelle les surfaces de grès de Fontainebleau. Pour Ivan, cette matière est une passerelle vers la nature : « Ces sculptures en bois brûlé… j’aimerais que ça recrée la sensation de chercher le mouvement, de ne pas avoir uniquement à suivre une couleur… mais d’essayer de comprendre comment ton corps va se positionner sur un volume. »
Workshops et dialogue autour du mouvement
Dans le cadre de cette exposition, Ivan et Thomas animeront des workshops autour de l’ouverture de voie et du geste. Ivan, avec sa vision artistique, et Thomas, avec sa technique, s’allient pour proposer des ateliers où les participants pourront expérimenter des volumes changeants. « On est en dialogue constant. Lui, il a une rigueur technique ; moi, je vais dans l’expression. Ça se complète bien, et je pense que ça peut ouvrir des perspectives pour les grimpeurs comme pour les artistes. »
« Avec l’impulsion de la FSGT, [ils ont fait] un documentaire hyper intéressant sur des architectes et des projets un peu utopiques de faire venir la montagne à des gens qui n’y avaient pas accès. »

Les visiteurs pourront aussi découvrir les réflexions qui ont guidé Ivan, inspirées par le documentaire "Des montagnes dans nos villes" et les utopies des années 80 visant à rapprocher la nature des citadins. Il parle aussi de Jean-Marc Blanche, créateur du Willie Wall, sculpture d’escalade en béton dans la banlieue parisienne « avec l’impulsion de la FSGT, [ils ont fait] un documentaire hyper intéressant sur des architectes et des projets un peu utopiques de faire venir la montagne à des gens qui n’y avaient pas accès. »
Le mouvement, une philosophie en soi
Ivan Le Pays ne cherche pas à figer l’escalade dans des règles strictes ou des objectifs de performance. Pour lui, l’art de la grimpe est avant tout une exploration corporelle. « J’aime l’idée qu’il n’y a pas une seule solution. Selon la prise, l’orientation, chacun trouvera son propre équilibre. » C’est pourquoi il a refusé d’attribuer des objectifs précis aux sculptures : aucun « top », pas de code couleur, pas de cotation.
Depuis le 6 novembre, l’exposition d'Ivan chez Climbing District Bastille, en partenariat avec Arc'teryx, permet au public de découvrir une facette plus libre et artistique de l’escalade.
Les sculptures seront sur le mur d'escalade pour une durée limitée, avant d'être déplacées vers un format d'exposition pour le reste du mois. Les visiteurs pourront également explorer des rendus 3D et les illustrations ayant inspiré les structures en bois. Ivan invite ainsi chacun à toucher, grimper et ressentir, pour réfléchir à la liberté du mouvement et au lien entre l’art et la nature. Car au-delà de la performance, l’escalade devient ici une philosophie, une manière de se reconnecter à soi-même et à l’environnement.
Toutes les informations et le programme complet à retrouver ici.