CWA Summit 2025 : l’escalade indoor atteint-elle l’âge de raison ?
- Pierre-Gaël Pasquiou
- il y a 8 heures
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Salt Lake City, temple éphémère de l’escalade indoor, accueillait du 14 au 18 avril le CWA Summit 2025. Le sommet ? On devrait plutôt dire la messe annuelle d’une industrie qui, désormais, cherche moins à tutoyer les cieux qu’à garder les pieds sur terre. Car suite aux années à courir après les levées de fonds comme un ado avec son premier crush, voilà que le secteur fait face à un véritable coup de mou. Maturité ou crise de croissance ? Bienvenue dans l'âge ingrat de la grimpe en salle.

Cette année, le gigantesque Salt Palace Convention Center ressemblait davantage à un cabinet de psychanalyse géant qu’à un showroom tapageur. Et pour cause : en 2025, l’escalade indoor découvre qu'elle n’est plus tout à fait l'enfant prodige du loisir urbain, mais pas encore totalement adulte non plus. La preuve, par les chiffres d'abord : une baisse de fréquentation de 7 % par rapport à l’année précédente. Par les impressions, ensuite : des exposants internationaux boudeurs pour cause de guerres commerciales absurdes, et des visages crispés devant l'incertitude économique ambiante.
Entre high-tech et retour aux fondamentaux
Pourtant, pas de quoi dramatiser outre mesure : près de 100 exposants, un record pour le CWA, et toujours une ambiance qui oscille entre festival geek et conférence TED. Mention spéciale au nouveau « Connect Pass », astuce marketing bien trouvée qui permettait aux visiteurs pressés de venir tâter les dernières prises connectées ou déguster un café bio entre deux PowerPoint sur l’avenir du métier d’ouvreur. Bref, un événement certes un peu moins flamboyant, mais résolument plus conscient de ses propres limites. Et à l'image du marché : vibrant mais lucide.
Côté innovations, Walltopia a fait sensation avec son « Quantum Board », mur interactif aux prises lumineuses dignes d’une installation d'art contemporain. Ou comment transformer la grimpe en chorégraphie LED pour grimpeurs branchés (littéralement). On retiendra aussi leur dispositif « SmartGate », une alarme intelligente censée empêcher les accidents d’auto-assurage. Autrement dit, plus question d’oublier de s’attacher : la sécurité sera geek ou ne sera pas.
« Pour la première fois, l'industrie de l'escalade faiblit » Matt Roberts, économiste
AVA Volumes, quant à elle, dévoilait des volumes aux textures si sophistiquées qu'on aurait pu croire à une œuvre de street art. L'innovation se joue donc aussi dans l’esthétique, preuve que l’industrie cherche désormais à séduire des grimpeurs devenus exigeants. La « grimpe plaisir » est-elle en train de devenir une grimpe « plaisir des yeux » ? Affaire à suivre.

La croissance fait du bloc
Mais le vrai crux du sommet, c’était surtout l’économie. Lors d’une session où les participants auraient volontiers troqué leur magnésie pour du Xanax, l’économiste Dr. Matt Roberts a résumé la situation pour Climbing Business Journal avec une lucidité implacable : « Pour la première fois, l'industrie faiblit ». Traduction : finie l’époque bénie des croissances à deux chiffres et des business plans écrits sur un coin de nappe. Entre inflation galopante, hausse des coûts et incertitudes politiques, le secteur découvre les joies du management rigoureux.
On est ainsi passé d’un enthousiasme quasi messianique - « L’escalade pour tous, partout ! » - à une gestion précautionneuse des coûts. Le mantra du jour : « moins ouvrir pour mieux gérer ». Pourtant, comme tout adolescent confronté à sa première désillusion, l'industrie reste optimiste, presque par principe. « On revient aux fondamentaux : mieux gérer, contrôler les coûts. Pas de panique », rassure Garnet Moore, directeur exécutif de CWA, toujours pour Climbing Business Journal, jouant le rôle du psy rassurant face aux angoisses existentielles du secteur.
Professionnalisation : fini les amateurs ?
Autre signe de cette entrée dans l’âge adulte : la professionnalisation accélérée du métier. Le CWA présentait ainsi une série de nouvelles certifications officielles pour moniteurs et ouvreurs, histoire de dire adieu aux improvisations d'autrefois. La traditionnelle table ronde des ouvreurs, connue pour ses empoignades homériques et ses coups de gueule mémorables, s’est cette année étrangement civilisée. Le débat est devenu technique, mature, presque ennuyeux. On a parlé assurances, mutualisation des ressources et formation continue. À croire que les ouvreurs, eux aussi, sont passés à autre chose. Finis les punks de la grimpe, place aux professionnels responsables ?
« La bière gratuite ne suffit plus à attirer les grimpeurs. Alors, quel est le nouveau "free beer" ? » Jeffery Bowling, directeur créatif chez Touchstone Climbing.

Mais si l’industrie se veut désormais sérieuse, elle reste attachée à ses valeurs d’ouverture (sans jeu de mots) et d’inclusion. La place des femmes dans l’escalade a été au centre d’une « Fireside Chat » aussi chaleureuse que nécessaire, où l’on a constaté avec joie que les mentalités progressent réellement. Même chose côté prévention des abus et sécurité psychologique dans les salles, thèmes jusque-là peu abordés, mais devenus cruciaux avec la popularité croissante du sport auprès des plus jeunes. Bref, derrière l’humour de façade et les sourires forcés des conférences, on sentait une véritable envie de changer la donne.
Et après ? L’escalade indoor entre dans l’âge critique
Au terme de ce sommet 2025, il serait tentant de conclure à une crise passagère. En réalité, le secteur fait juste son entrée dans l’âge critique : celui où il doit accepter de devenir mature tout en conservant une part de ce qui fait son charme. Pour Jeffery Bowling, directeur créatif chez Touchstone Climbing, la question centrale reste finalement assez simple : « La bière gratuite ne suffit plus à attirer les grimpeurs. Alors, quel est le nouveau "free beer" ? » Réponse ironique de Matt Roberts, digne d'un sketch de France Inter : « Franchement ? Les Capri Sun ».
On y est : la grimpe indoor n’est plus ce loisir underground qui attirait les rebelles des villes. Aujourd'hui, ce sont les familles, les urbains, les entreprises qui envahissent les salles. Le vrai défi, désormais, sera d'éviter l'embourgeoisement, tout en restant suffisamment cool pour garder son ADN intact. Bref, l’escalade indoor ne vit pas sa fin, mais plutôt la fin de son enfance. Le secteur découvre les responsabilités, les contraintes, les budgets serrés. Et ce n’est finalement pas plus mal : après tout, grandir ne signifie pas forcément vieillir. À condition, bien sûr, de ne jamais oublier d’où l’on vient.