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Lucy Walker, Marion Poitevin : sur la glace vive du plafond de verre

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

En partenariat avec Simond, Vertige Media prolonge l’expérience du podcast Learn from Altitude : alpinisme au féminin. Chaque épisode défriche une voie : au-delà des récits audio, c'est une exploration complémentaire des trajectoires, des obstacles et des combats de ces femmes alpinistes que la série raconte. Dans ce troisième volet, Lucy Walker, première femme à avoir gravi le Cervin, et Marion Poitevin, première femme intégrée aux unités d’élite alpines françaises, interrogent une barrière invisible mais tenace : le plafond de glace.


Learn from Altitude : Alpinisme au féminin

Une femme en robe longue, à 4478 mètres d’altitude, c’est d’abord une incongruité. Une alpiniste qui, cent cinquante ans plus tard, s’attaque aux derniers bastions masculins des unités alpines d’élite, c’est une provocation. Entre Lucy Walker et Marion Poitevin, il n'y a pas seulement un siècle et demi d'écart : il y a une même nécessité de prouver, encore et toujours, leur légitimité sur des terrains qui auraient dû être conquis depuis longtemps. En creux de leurs récits, c’est un paradoxe qui frappe : plus les femmes réussissent, plus le plafond semble s’épaissir.


Lucy Walker, ou l'art discret de grimper en crinoline


« Plusieurs touristes étrangers viennent d’atteindre heureusement le sommet du Cervin. » Ce 23 juillet 1871, la Gazette du Valais annonce par un entrefilet discret ce qui aurait pu être une révolution : la première ascension féminine du Cervin par Lucy Walker. Mais l’histoire, à l’époque comme aujourd’hui, a la mémoire sélective : six ans plus tôt, Edward Whymper remportait la bataille mythifiée contre l'Italien Jean-Antoine Carrel, dans une dramaturgie alpine restée gravée dans le granit de l’imaginaire collectif. L’exploit de Lucy Walker, en revanche, ne laisse guère de trace.


Lucy grimpe pourtant en jupe longue, corset rigide et chapeau crinoline, lestée d’un costume aussi absurde sur une montagne que révélateur des attentes sociales de son époque. Elle n’a pas simplement gravi un sommet : elle a franchi, symboliquement et littéralement, les barrières invisibles d’un monde montagnard taillé sur mesure pour les hommes victoriens. Pourtant, cette prouesse restera longtemps une anecdote sans écho, noyée dans l’indifférence d’un récit de montagne où les femmes n'ont droit qu'à quelques miettes.


Cette invisibilité ne décourage pourtant pas Lucy. Elle récidive, collectionne les premières féminines sur des géants alpins comme l'Eiger ou l’Aiguille Verte, et refuse l’isolement imposé aux femmes alpinistes. En 1907, elle co-fonde le Ladies Alpine Club, acte militant et radical face au refus catégorique du prestigieux Alpine Club britannique d'intégrer les femmes. L’histoire officielle mettra 150 ans à lui rendre justice : en 2023, enfin, le musée de Zermatt replace Lucy Walker au sommet de l’histoire alpine. Un retard révélateur du malaise persistant face aux femmes qui dérangent l'ordre établi, surtout quand elles dominent les hommes sur leur propre terrain.


Lucy Walker
Lucy Walker entourée d'hommes victoriens

Marion Poitevin : conquérir les sommets masculins


Un siècle et demi plus tard, Marion Poitevin trace sa propre ligne dans la neige. Guide de haute montagne, première femme du Groupe militaire de haute montagne, première instructrice à l’École militaire de haute montagne, première secouriste chez les CRS Montagne… son palmarès est une série de bastions masculins qu’elle renverse méthodiquement. Pourtant, Marion n’a pas choisi ces batailles : elle voulait juste faire de l’alpinisme au plus haut niveau. Le problème ? Ce niveau-là était réputé réservé aux hommes.


Avec un franc-parler aussi rare qu’essentiel, Marion livre dans son autobiographie (Briser le plafond de glace, Guérin-Paulsen) les coulisses moins glorieuses de ses conquêtes alpines : clichés sexistes tenaces, énergie gaspillée à convaincre qu’elle mérite d’être là, et cette fatigue chronique liée à l’injonction permanente de devoir être deux fois plus forte pour être simplement prise au sérieux.


L’armée française, institution que l’on imagine conservatrice, lui ouvre paradoxalement la voie royale vers l’élite. Grâce au soutien de rares mais précieux « alliés masculins », Marion obtient la reconnaissance méritée. Mais sa réussite souligne en creux l’anomalie d’un système où le simple fait d’être une femme alpiniste constitue encore une exception remarquée, voire contestée.


Marion Poitevin
Marion Poitevin

La montagne, échappatoire ou miroir déformant ?


Marion Poitevin voit dans la montagne un espace où les femmes peuvent enfin respirer librement, à l’abri du jugement permanent porté sur leur corps, leur apparence, leur attitude. Là-haut, les conventions sociales s’estompent. Pourtant, elle note avec ironie que même dans ces espaces libérateurs, les préjugés résistent mieux que la glace des séracs. Être femme en montagne, c’est encore subir des regards suspicieux sur ses capacités physiques, devoir prouver sa valeur sans cesse, et combattre des clichés tenaces qui voudraient que les femmes soient naturellement plus faibles ou plus hésitantes.


Pour Marion, l’émancipation passe aujourd’hui par des stratégies radicales : créer des espaces exclusivement féminins, non pour exclure mais pour se réapproprier une énergie d’habitude gaspillée à convaincre les hommes qu’on peut être leur égale. Mais aussi assumer la discrimination positive, seul moyen selon elle de réparer l’inégalité profonde inculquée dès l’enfance. « À l'école, on apprend aux filles qu'elles feront toujours moins bien que les garçons », rappelle-t-elle, pointant une réalité dérangeante que beaucoup préfèrent ignorer.


Lucy et Marion : trajectoires parallèles sur une montagne invisible


Que reste-t-il du courage discret de Lucy Walker dans la trajectoire affirmée de Marion Poitevin ? Beaucoup, à commencer par ce paradoxe : plus d'un siècle sépare leurs exploits, mais leurs batailles se ressemblent encore étrangement. Toutes deux évoluent sur une montagne symbolique, une barrière invisible faite de préjugés, de clichés et d’habitudes bien ancrées. Lucy Walker, pourtant issue de la haute société britannique, dut affronter le silence et l’indifférence face à ses exploits. Marion Poitevin, elle, doit affronter le scepticisme, la condescendance ou le soupçon d’incompétence, malgré ses diplômes et ses réussites avérées.


Ces deux femmes racontent, à un siècle et demi d’écart, l’histoire d’une lutte qui dépasse largement l’alpinisme : celle d’une place toujours contestée, celle d’une légitimité qu’on refuse encore trop souvent aux femmes qui dépassent les attentes sociales et osent briller par leurs exploits.


Écouter ces voix pour enfin casser la glace


Le podcast Learn from Altitude : alpinisme au féminin éclaire, donne corps et offre enfin une voix forte à ces trajectoires singulières. Vertige Media accompagne cette démarche en proposant d’autres voies, celles d’une réflexion plus large sur ce que ces destins révèlent de notre société, de nos résistances à l’égalité et de nos réticences à reconnaître pleinement les réussites féminines.


Lucy Walker et Marion Poitevin ne demandent pas simplement à être écoutées. Elles exigent que l’on interroge les raisons profondes de leur invisibilité passée et des combats encore nécessaires aujourd’hui. Et peut-être, enfin, que l’écoute de ces voix permettra d’en finir avec ce plafond de glace, pour que demain, l’alpinisme cesse définitivement de s’écrire seulement au masculin.


À découvrir dans l’épisode 3 de Learn from Altitude : alpinisme au féminin, disponible sur Globule Radio et toutes les plateformes (Spotify, Apple Podcasts, Deezer). Ce podcast est inspiré de l’ouvrage Une histoire de l’alpinisme au féminin (Éditions Glénat, 2024) de Stéphanie et Blaise Agresti, qui ont eu l'idée originale de former ces cordées éphémères entre des femmes alpinistes d’hier et d’aujourd’hui.

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