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Cochamó : la gravité selon Julia Niles

Entre maternité, parois chiliennes et crise existentielle, la guide et thérapeute Julia Niles s'offre une séance de psy verticale. Verdict ? Ça grimpe fort.


Climbing Through
© Climbing Through

Julia Niles jongle. Ce n’est pas une métaphore légère mais une description fidèle du chaos joyeux dans lequel elle évolue. Guide de haute montagne, thérapeute clinicienne, mère solo d’enfants « neuroatypiques » (ou comme elle préfère le dire, neurospicy), elle collectionne les casquettes et les contradictions avec une aisance déconcertante. Du moins, en façade. À l’intérieur, c’est plus compliqué, tendance surmenage permanent, syndrome de la superwoman et crise existentielle chronique. On appelle ça une surcharge mentale, elle appelle ça son « Tasmanian devil intérieur ». Chacun sa poésie.


Alors forcément, quand son amie la grimpeuse québécoise Em Pellerin débarque chez elle avec sa bonne humeur et lui propose d’aller grimper en Patagonie chilienne, Julia hésite à peine. La thérapie par la grimpe a fait ses preuves, c’est bien connu. « L’escalade m’a déjà sauvée, elle peut recommencer », se dit-elle. Et si Cochamó ne règle pas tous ses problèmes, elle pourrait au moins remettre un peu d’ordre dans ce joyeux désordre existentiel.


Cochamó, ou la promesse du granit qui guérit


Cochamó, pour les initiés, c’est un Yosemite version hémisphère Sud, mais avec des gauchos au lieu des rangers. Parois granitiques, rivières limpides, isolement assumé : bref, un coin idéal pour les ascètes modernes qui préfèrent la verticale à la méditation. Un paradis brut, donc imparfait. Il faut accepter de finir trempé par la rosée tropicale sous une bâche trop courte, de lutter contre la fatigue accumulée par la vie qui vous a précédée, et d’aligner les approches interminables qui mettent à mal l’idéal contemplatif.


Mais c’est précisément dans cet inconfort que Julia trouve son salut. Au relais, entre deux longueurs de dalle à micro-prises ou de fissure qui écorche les coudes, elle réfléchit. Elle rumine. Elle se remet en cause. Et peu à peu, l’urgence du vide fait place nette dans sa tête, dégommant les obligations factices qui peuplaient son quotidien :


« Là-haut, c’est comme si les montagnes recadraient sévèrement mes priorités. Quand tu risques ta vie sur un friend mal placé, tu ne te demandes plus si tes enfants mangent assez bio ou si tu réponds trop tard à tes mails »

Thérapie de cordée : deux femmes en tandem vertical


Julia grimpe avec Em, ce qui en soi est déjà une petite révolution culturelle : deux femmes expérimentées, libérées du cliché « cordée féminine = performance anecdotique ». Ici, pas de discours facile sur l’empowerment d'Instagram. Juste deux adultes qui se connaissent, s’observent et se complètent : Julia avec sa patience acquise au fil des années de thérapie familiale (pratique pour gérer l’égo des grimpeurs), Em avec sa spontanéité désarmante, son humour décalé, et ce sourire à vous faire oublier que le prochain crux pourrait bien être votre dernier.


C’est une cordée qui n’a pas peur d’assumer ses fragilités : les nuits chaotiques, la logistique catastrophique (« Je fonctionne à la panique, Em au chaos joyeux, étonnamment ça marche »), et même leurs particularités neurologiques respectives – autisme ou ADHD. Leur force vient précisément de cette vulnérabilité partagée, qui transforme chaque ascension en aventure intérieure autant qu’en prouesse sportive.


Climbing Through
© Climbing Through

« Neurospicy » au relais


Les deux femmes n’ont jamais caché leurs singularités neurologiques – à quoi bon dans un milieu déjà composé à 90 % de névrosés, diront les mauvaises langues ? Em et Julia préfèrent assumer : elles sont neurospicy, comme elles disent, façon de revendiquer cette différence avec autodérision. Le topo indique du 7a sur des dalles patagoniennes particulièrement vicieuses ? Parfait, elles y plongent avec délice, parce qu’il n’y a rien comme un engagement absolu pour calmer l’hyperactivité cérébrale.


C’est aussi une façon subtile de démontrer que les marges neurologiques ne sont pas seulement des handicaps à contourner, mais des particularités à exploiter. « Là-haut, sur des prises microscopiques, mon hyper-concentration devient une arme secrète », glisse Julia en souriant. « Dommage que ça ne marche pas aussi bien quand je dois remplir une valise ou un formulaire administratif. »


Être mère, grimpeuse et guide : schizophrénie contemporaine ou équilibre visionnaire ?


En pleine ascension, entre deux mouvements délicats, Julia s’interroge sur ses rôles de vie multiples : mère attentionnée mais souvent absente, guide compétente mais usée par les risques, thérapeute à l’écoute mais submergée par ses propres émotions. Cochamó, avec son austérité majestueuse, devient alors un miroir sans complaisance de son existence.


Elle admet : « En tant que mère, chaque choix d’itinéraire en montagne est aussi une décision éthique ». Mais loin de se culpabiliser, elle apprend plutôt à se pardonner de n’être pas partout à la fois. La montagne lui rappelle brutalement l’importance du présent, et surtout l’importance de se l’autoriser pleinement.


Retour à l’essentiel : grimper pour mieux redescendre


En redescendant, la tête encore emplie des paysages chiliens et des répliques ironiques d’Em, Julia redécouvre une évidence presque gênante de simplicité : l’importance de prendre du recul, littéralement.


« À Cochamó, je me suis offert le droit de ne pas tout gérer, et c’est un luxe fou »

La grimpe comme remède existentiel ? On connaissait le cliché. Mais quand Julia Niles, hyperactive assumée, mère ultra-responsable et guide sérieusement expérimentée s’empare de cette vieille évidence, elle nous oblige à la prendre au sérieux. Car en descendant des parois chiliennes, elle redécouvre une vérité fondamentale : grimper reste la meilleure façon de retomber sur terre.



Pour prolonger cette thérapie verticale, on ne peut que conseiller de regarder la vidéo complète : grimpe, introspection et paysages chiliens y font un ménage à trois particulièrement inspirant.

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