À Keqiao, une victoire en trompe-l’œil pour Annie Sanders
- Adrien Bataille
- 19 avr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 avr.
La Coupe du monde féminine de bloc 2025 s’est ouverte à Keqiao avec le succès incontestable d’Annie Sanders. Pourtant, cette victoire en apparence limpide laisse flotter une drôle d’impression : l’Américaine l’a emporté, certes, mais sans avoir à croiser le fer avec ses principales adversaires. Oriane Bertone, quant à elle, n’a pas su saisir l’occasion en or qui se présentait. Décryptage d’un week-end chinois où les absentes ont toujours raison et où les grandes attentes françaises restent en suspens.

Annie Sanders, reine en solitaire
Victoire nette, sans bavure, mais victoire solitaire. À seulement 17 ans, Annie Sanders signe à Keqiao un doublé après Séoul en fin d’année dernière. Sa grimpe, millimétrée, efficace, n’a laissé aucun doute quant à son talent précoce.
Pourtant, difficile d’ignorer que ce triomphe prend place dans un décor étrangement vide. Privée de confrontation directe avec Janja Garnbret et Natalia Grossman, les deux figures tutélaires du circuit, Sanders a triomphé sans adversité directe. Depuis Hachioji 2018, jamais une étape mondiale n’avait vu l’absence simultanée de ces deux géantes. L’Américaine se retrouve donc reine d’un jour mais devra vite prouver qu’elle sait aussi régner quand toutes les prétendantes au trône seront présentes.
Oriane Bertone : une occasion ratée de décrocher l'or ?
Après la désillusion olympique à Paris 2024, elle avait signé un retour flamboyant en décrochant le titre national à Anse. Keqiao s’annonçait donc comme la suite logique d’une renaissance sportive annoncée.
Cette deuxième place chinoise n’a rien de honteux : Bertone connaît bien l’argent, habituée à cette médaille depuis Meiringen et Salt Lake City 2021, puis Séoul et Salt Lake City 2023, avant de décrocher enfin l’or à Prague la même année. Mais ce podium-là laisse tout de même un arrière-goût amer : sans Garnbret ni Grossman, la voie semblait dégagée. Elle avait tout pour elle sauf, peut-être, la tranquillité d’esprit.

Car à seulement 20 ans, Oriane Bertone doit composer avec une pression immense, celle d’un public français avide de voir enfin l’étoile montante devenir étoile tout court. Sa place dans l’élite mondiale n’est plus à prouver, mais le dernier cap psychologique reste encore à franchir. Pour Oriane, il s’agirait désormais d’éviter que les attentes se transforment en un poids trop lourd à porter. La France entière espère que la Réunionnaise finira bientôt par prendre définitivement la couronne qu’elle mérite.
Les absentes : maîtresses du jeu sans même grimper
Dans cette étrange partie d’échecs verticale, Janja Garnbret semble avoir trouvé la meilleure parade : ne pas jouer. Cette saison, la Slovène a choisi avec soin ses batailles, limitant drastiquement ses apparitions à Innsbruck, Koper et surtout aux Mondiaux de Séoul.
Une stratégie où l’absence se fait présence, où ne pas grimper devient une manière subtile d’imposer sa supériorité, refusant aux autres le privilège de l’affronter. Janja démontre ainsi que dominer un sport, c’est aussi savoir quand ne pas y participer.
Format à huit : une finale en suspens (et pas que sur les prises)
Cette étape chinoise testait une petite révolution : huit finalistes au lieu de six habituellement. L’idée pouvait séduire, mais la pratique divise fortement. « Chaque erreur devient fatale, le stress est palpable même à travers l’écran », lâchait un internaute lors du live YouTube. Un autre répliquait aussitôt : « Découvrir de nouvelles têtes, pourquoi pas, mais ça disperse un peu trop l’attention. »
Le format devra donc être affiné avant d’être adopté durablement, mais l’expérimentation montre déjà la volonté d’un sport de se renouveler, quitte à parfois brouiller les repères des spectateurs… et des athlètes.

Diffusion restreinte : un blocage malvenu
Autre (gros) caillou dans la chaussure de l’IFSC : la diffusion européenne limitée à Discovery+ et Eurosport. Les fans nord-américains profitent gratuitement de YouTube, alors qu’en Europe, les amateurs d'escalade doivent payer pour suivre les compétitions.
Cette stratégie commerciale agace profondément au moment précis où l’escalade, encore toute fraîchement olympique, devrait au contraire s’ouvrir davantage au grand public. Si l’escalade veut vraiment prendre son envol populaire, il faudrait peut-être arrêter de couper le cordon avec les spectateurs potentiels.
Wujiang : changement de décor, mêmes doutes
La prochaine étape se jouera la semaine prochaine à Wujiang sur un autre terrain, celui de la difficulté et de la vitesse. Annie Sanders comme Oriane Bertone devront montrer leur polyvalence pour rester dans la course au général. Mais avec l’absence persistante de Janja Garnbret et Natalia Grossman, l’incertitude planera toujours sur une saison devenue fragmentée. Difficile dès lors d’y voir clair, comme si le calendrier sportif devenait lui-même un bloc à déchiffrer.

Ce que Keqiao raconte vraiment
En fin de compte, Keqiao révèle un premier classement mais cette étape chinoise met surtout en lumière un sport en pleine transformation, où grimper bien ne suffit plus. Annie Sanders devra confirmer en présence des absentes, Oriane Bertone devra vaincre ses démons intérieurs, et l’IFSC devra vite résoudre ses paradoxes médiatiques.
Cette saison 2025, passionnante et complexe, sera donc riche d’enseignements. Chaque compétition comptera double, chaque absence sera pesée, chaque présence décisive. Et rien, absolument rien, ne sera joué d’avance - pas même, visiblement, les règles du jeu elles-mêmes.
Les résultats détaillés et classement de cette étape sont disponibles ici. Et pour retrouver le calendrier complet de cette coupe du monde IFSC 2025 c'est par là.