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Un casque, une vie : récit d’un accident

« La nature fait les êtres humains semblables, la vie les rend différents », cite Lucille Bolomey dans "De la pierre à la lumière". Ces mots de Confucius condensent une vérité universelle, mais dans son récit, ils prennent une résonance viscérale. Plus qu’une maxime, ils deviennent le fil rouge d’une existence recomposée après un accident bouleversant. Nous avons eu la chance d’échanger longuement avec Lucille. Ses mots, empreints de lucidité et d’émotions brutes, ne racontent pas simplement une épreuve : ils en explorent les strates, les nuances, la complexité. Ce livre est une œuvre de résilience, une invitation à plonger au cœur d’une reconstruction où chaque pierre devient lumière.


Lucille Bolomey

Un dimanche dans le Vercors : la brèche du destin


« C’était un beau week-end, en famille », se souvient-elle. Mais parfois, une simple bourrasque semble contenir le frisson d’un présage. « Le vent s’est levé, comme pour me prévenir qu’il allait arriver quelque chose de grave. » Ce dimanche-là, sur une falaise du Vercors, une pierre chute, heurte sa tête, et c’est le noir complet. « Je ne me souviens de rien. Tout me reviendra bien plus tard, par bribes. » Lucille est héliportée à Grenoble où une craniectomie décompressive lui sauve la vie. « Une partie de mon crâne a été retirée pour éviter que mon cerveau, enflé, ne s’étouffe lui-même. »


De cette période, elle n’a que des flashes épars, entre absences et délire. « Au début, je croyais que mes enfants étaient morts. J’étais paniquée. » Pourtant, au cœur du chaos, subsistent des fragments de douceur : « Mon frère a pris ma main dans la sienne. Ce contact, si simple, m’a ancrée. »


La verticalité de la douleur : l’hôpital comme épreuve


Grenoble devient un théâtre d’apprentissage brutal. « J’étais prisonnière de ce lit, attachée, sans explications. Tout semblait hostile. » À la douleur physique s’ajoute une détresse existentielle. « Je voulais marcher, bouger, redevenir moi-même. Mais chaque machine qui sonnait semblait me rappeler que ce corps-là, ce n’était plus le mien. »


Et pourtant, au milieu de cette désolation, quelques instants suspendus subsistent, comme des éclats d’humanité : une première douche, « une caresse d’eau si simple et pourtant miraculeuse », ou encore des rires échappés d’une blague entre amis : « Ils avaient surnommé mes mouvements maladroits la ‘Disco de l’Asticot’. Ces moments, dérisoires et précieux, m’ont permis de tenir. »


Lavigny : une traversée intérieure


Le transfert au centre de rééducation de Lavigny marque une nouvelle étape. « Là-bas, j’ai dû regarder la vérité en face : mon bras gauche, mes doigts, mon équilibre… tout semblait brisé. » Les premiers exercices de physiothérapie sont un miroir cruel. « Pleurer est devenu quotidien. Comment accepter que ce corps fracassé soit le mien ? »


Pourtant, au milieu de ces abîmes, de petites victoires émergent : un studio thérapeutique où elle peut préparer son café, un coin de Jura aperçu par la fenêtre. « Ce printemps volé que je touchais du bout des doigts, c’était déjà un début de reconquête. »


Lors de notre entrevue, Lucille revient avec une force particulière sur deux promesses qu’elle s’est faites :


« Me battre pour récupérer tout ce qui peut l’être, et transformer cette souffrance en quelque chose qui m’élève. »

L’escalade : un paradoxe libérateur


« C’est l’escalade qui m’a mise à terre, et c’est elle qui m’a relevée. » Ironie du destin, cette discipline, cause de son accident, devient un levier de renaissance. « À force de râler sur ma main gauche qui ne serrait pas les prises, j’ai contacté l’équipe suisse de para-escalade. » Elle décrit ce premier entraînement comme une révélation. « Ces athlètes, chacun avec leurs handicaps, leur force et leur humour… Je me suis sentie adoptée. »


Son récit de sa première compétition est poignant : « Monter sur le podium, c’était irréel. Je pleurais de joie, j'étais tellement fière de moi. » Pourtant, Lucille reste lucide sur le prix à payer :


« Grimper aggrave la fermeture de ma main. Mais l’escalade m’apporte une joie inégalée. Je préfère vivre cela, quitte à sacrifier autre chose. »

Les ombres persistantes : une bataille intérieure


Si son corps porte des cicatrices visibles, les blessures invisibles n’en sont pas moins dévastatrices. « La fatigue, les pertes de mémoire, l’hypersensibilité au bruit… Tout cela affecte ma vie de famille, mon couple. » Les crises d’épilepsie, violentes et imprévisibles, sont autant de rappels de sa fragilité. « Ces moments où je suis seule, à convulser sur le sol… Ils résonnent comme des brisures. »


Et pourtant, Lucille s’accroche à une vision plus vaste :


« Cette vie, même fragmentée, reste pleine de possibilités. Rien n’est jamais acquis, mais tout reste possible. »

Une lumière indomptable


"De la pierre à la lumière" est un témoignage, mais surtout un manifeste pour la résilience, une œuvre qui touche autant par sa sincérité que par sa profondeur. Lorsque Lucille évoque la rédaction de ce livre, elle confie : « C’était un poids à porter, mais aussi une libération. Maintenant, je me sens prête à ouvrir un nouveau chapitre. »


En la quittant, nous sommes habités par une phrase qu’elle nous a confiée : « Malgré tout, je prends la vie comme elle vient, avec ses cicatrices. Tout est encore possible. »


À ce jour, "De la pierre à la lumière" est principalement distribué en Suisse, mais Lucille Bolomey reste accessible : il est possible de commander son livre directement en la contactant par mail : lucillebolomey@gmail.com. Ce mode de diffusion, encore intimiste, reflète le parcours hors norme de son autrice. Pourtant, on ne peut qu’espérer une plus large accessibilité à cet ouvrage, tant son récit porte un message essentiel : sensibiliser à l’importance du port du casque, non seulement en escalade, mais dans toutes les activités où la fragilité de nos vies côtoie les aléas de l’imprévisible.

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