Trump rebaptise Denali, les alpinistes s’en foutent
- Pierre-Gaël Pasquiou
- 29 janv.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 févr.
Nouvelle présidence, nouvel édit présidentiel : le 20 janvier 2025, Donald Trump a signé un décret ordonnant que le mont Denali, point culminant de l’Amérique du Nord, redevienne officiellement le mont McKinley. Un énième épisode d’une querelle toponymique qui dépasse largement le simple jeu de noms. Car derrière cette bataille se cache tout un pan de l’histoire de l’alpinisme, du rapport aux peuples autochtones et de la place de la montagne dans l’imaginaire collectif. Autant dire que ça grimpe haut sur l’échelle de l’absurde.

De l’or, un président et un sommet qu’il n’a jamais vu
Si on résume, l’histoire du mont Denali est un cas d’école de la manie occidentale à rebaptiser des montagnes qui existaient très bien avant nous. Pendant des milliers d’années, les peuples autochtones d’Alaska l’ont appelé Denali, "le grand" en koyukon athapaskan. Et vu les 6 190 mètres de l’animal, difficile de leur donner tort.
Mais en 1896, un chercheur d’or du nom de William Dickey, sûrement en pleine fièvre du Klondike et de l’auto-promotion, décide que cette montagne "anonyme" doit porter le nom de William McKinley, alors candidat à la présidence des États-Unis. McKinley remporte l’élection, est assassiné en 1901, mais reste sur la carte.
Le Mont McKinley devient officiel en 1917. Pendant ce temps-là, les peuples autochtones continuent de l’appeler Denali, et les alpinistes finissent par faire pareil.
Les décennies passent, l’Alaska devient un État américain (1959) et commence à demander à Washington de rendre à Denali son vrai nom. Une première requête officielle est lancée en 1975. Washington, où l’Ohio (État natal de McKinley) fait du lobbying pour garder son président en haut de l’affiche, enterre le dossier. Compromis en 1980 : le parc entourant la montagne devient le Denali National Park, mais le sommet reste McKinley.
Il faudra attendre 2015 et Barack Obama pour enterrer définitivement McKinley et rendre officiellement son nom originel à la montagne.
Enfin, définitivement... jusqu’à ce que Trump décide en 2025 que McKinley devait revenir dans le paysage. Parce que rien ne symbolise mieux la grandeur américaine qu’un président qui n’a jamais foutu un pied en Alaska.
Denali, un sommet à part
Là où d’autres montagnes mythiques imposent leur prestige par la difficulté technique ou l’altitude, Denali, lui, joue la carte de l’engagement absolu. Il ne culmine "qu’à" 6 190 mètres, mais son froid est plus extrême que celui de l’Himalaya, et son isolement total en fait une expédition bien plus autonome que l’Everest.
D’abord gravi en 1913 par Walter Harper, Robert Tatum et Hudson Stuck, Denali reste une référence absolue pour les alpinistes. Pas de sherpas pour porter le matos, pas de yaks pour le ravitaillement, pas de lodges où récupérer. Seulement des traîneaux à tirer, des bivouacs sur le glacier et des températures qui gèlent les grimpeurs au premier faux pas.
C’est ici que Bradford Washburn, Conrad Anker, Dave Hahn, Jack Kuenzle et d’autres légendes de l’alpinisme sont venus chercher l’épreuve ultime. Même Alex Honnold, habituellement adepte des solos en short et chaussons, a tenté l’expérience.
En 2023, Jack Kuenzle établit le record de l’ascension la plus rapide du Denali, avec un aller-retour depuis le camp de base en 10 heures, 14 minutes et 57 secondes, battant ainsi le précédent record de Karl Egloff.
Alors, quand Trump décide de gribouiller un décret pour rebaptiser la montagne, c’est tout un pan de l’histoire de l’alpinisme qui se braque.
Un nom ne fait pas une montagne
Chez les guides et les grimpeurs, l’annonce de Trump est une blague qui ne fait rire personne.Lisa Murkowski, sénatrice d’Alaska, a dénoncé immédiatement l’absurdité de ce retour en arrière :
"Notre plus haute montagne doit continuer à être appelée par son vrai nom, celui qui est utilisé depuis des milliers d’années."
Et sur les forums spécialisés, les alpinistes ne s’embarrassent même pas du débat. Pour eux, Trump peut bien signer tous les décrets qu’il veut : Denali restera Denali.
L’auteur Jon Krakauer, connu pour Into the Wild et Into Thin Air, a tranché la question d’un revers de plume :
"Je continuerai à appeler cette montagne Denali aussi longtemps que je vivrai, et j'encourage tous les autres alpinistes à faire de même."
Le grand retour du colonialisme cartographique ?
Ce n’est pas la première fois qu’une montagne change de nom pour des raisons politiques. En 1865, le Chomolungma (nom tibétain de l’Everest) est rebaptisé en l’honneur du géographe George Everest, qui lui-même n’avait jamais mis les pieds dans l’Himalaya, et ce, malgré ses propres objections. En 1877, en Patagonie, le Chaltén devient Fitz Roy en hommage à l'explorateur britannique. Plus récemment, en 1998, le pic du Communisme, situé au Tadjikistan, a été renommé pic Ismail Samani, du nom du fondateur de la dynastie samanide, afin de rompre avec l'héritage soviétique.
Mais à la différence de ces exemples, Denali a résisté. Contrairement au Fitz Roy ou à l’Everest, son nom autochtone a continué d’exister et d’être utilisé, même sous un statut officiel différent.
Trump peut bien imprimer ce qu’il veut sur du papier glacé, il ne peut pas forcer les grimpeurs à l’appeler autrement.
Denali restera Denali. Pas parce qu’un président l’a décidé. Mais parce qu’une montagne appartient à ceux qui la gravissent, pas à ceux qui la rebaptisent depuis Washington.