Procès d’Orpierre : deux encadrants du CAF condamnés après une chute mortelle
- Pierre-Gaël Pasquiou
- 4 juil.
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Dernière mise à jour : il y a 2 jours
Orpierre, ses falaises baignées de soleil, son calcaire doré, son image de spot tranquille où les grimpeurs venus chercher la verticale croisent ceux venus chercher la sieste au pied des voies. Mais depuis la chute fatale de Camille, 16 ans, le 18 avril 2024, l’insouciance du lieu a vacillé. Le 3 juillet 2025, la justice a tranché : deux encadrants condamnés pour homicide involontaire. Et désormais, dans le petit monde associatif de la grimpe, la corde est devenue plus raide que jamais.

La grimpe aime raconter ses belles histoires, ses dépassements de soi, ses sourires complices en relais et ses cris victorieux. Mais elle a aussi ses silences, lourds, douloureux, inconsolables. Camille, 16 ans, ne reviendra pas du stage organisé par le CAF de Roanne à Orpierre. À la barre du tribunal correctionnel de Gap, on a cherché ce qui avait dévissé : l’organisation, la vigilance, ou simplement l’attention portée à ce détail vital, mais banal, qu’est une longueur de corde. Derrière cette corde trop courte se cachent des questions trop longues, auxquelles les juges ont finalement répondu, sans concession.
Deux ans de sursis après le drame d’Orpierre
Plus d’un an après la tragédie, le tribunal correctionnel de Gap a finalement déroulé le fil des responsabilités. Ce 3 juillet 2025, deux anciens responsables du Club alpin français (CAF) de Roanne ont été condamnés à deux ans de prison avec sursis, reconnus coupables d’homicide involontaire par imprudence à la suite du décès de Camille, 16 ans. À cette peine s’ajoute une interdiction définitive d’encadrement sportif pour les condamnés, ainsi qu’une amende de 20 000 euros pour le club.
Une sentence sévère, fidèle aux réquisitions du parquet, qui avait dès le 15 mai pointé les manquements dans l’organisation du stage. Les avocats avaient plaidé la relaxe, sans succès.
Le drame s’est noué sur une falaise d’Orpierre, le 18 avril 2024. Ce village des Hautes-Alpes, habitué aux rires d’ados en chaussons et aux murmures concentrés des grimpeurs, n’avait jamais entendu un tel silence. Camille participait à un stage d’une dizaine de jours avec une vingtaine d’autres jeunes encadrés par huit bénévoles du CAF de Roanne. Alors qu’elle descendait d’une voie en rappel, tout a basculé : la corde, trop courte, a filé librement dans le vide. Polytraumatisée, Camille est évacuée vers le CHU de Grenoble, où elle décédera deux jours plus tard. Orpierre venait de perdre son équilibre, la grimpe associative, son innocence.
Une corde trop courte, une vigilance trop lâche
Les enquêteurs du PGHM n’ont pas mis longtemps à identifier la cause de l’accident : une corde trop courte pour la voie empruntée. 50 mètres au lieu des 80 nécessaires, voilà ce qui séparait Camille d’une descente en toute sécurité. Un manque aussi improbable que tragique, d’autant plus que la précaution élémentaire, celle que chaque grimpeur répète en formation sans même y réfléchir – un simple nœud au bout de la corde – n’avait pas été prise. Le brin a filé librement dans le dispositif d’assurage, transformant une descente anodine en chute mortelle.
« Pour moi, la montagne, c’est devenu synonyme de mort » La mère de la victime, lors du procès
Mais comment une erreur de ce type a-t-elle pu se glisser dans un stage encadré ? L’enquête dévoile un détail : deux cordes identiques, même couleur, même apparence, mais pas même longueur, étaient présentes sur place. Dans la confusion du moment, Camille et sa partenaire ont saisi le mauvais brin. Aucun encadrant n’a vérifié, aucun adulte n’a vu venir l’accident.
Un procès sous tension, une responsabilité sous microscope
Dix mois après la chute de Camille, le tribunal de Gap a ouvert, le 15 mai 2025, l’éprouvant procès du CAF de Roanne. À la barre, Jean-François Chadeyras, l’ex-président du club, et Philippe Diot, ancien responsable de la section escalade, mais aussi le club lui-même, en tant qu’organisateur. Dans une salle d’audience chargée d’émotion, le parquet n’a pas mâché ses mots, dénonçant des manquements graves : organisation défaillante, contrôle insuffisant, communication maladroite. Malgré la présence de huit moniteurs pour 21 jeunes, aucun dispositif n’a empêché l’accident.
La responsabilité était au cœur des débats, décortiquée par les juges pour comprendre à quel moment précis la vigilance avait lâché prise. Moment fort du procès, la prise de parole des parents a figé la salle dans un silence pesant. « Si j’avais su qu’elle allait grimper en autonomie, jamais je ne leur aurais confié ma fille », a déclaré le père de Camille, cité par BFM DICI, dénonçant un encadrement qu'il jugeait défaillant. La mère, bouleversée, a ajouté : « Pour moi, la montagne, c’est devenu synonyme de mort ». Présents dans l’assistance, plusieurs représentants du monde montagnard, dont le maire d’Orpierre, ont rappelé d’une voix unanime que dans ce sport, la sécurité n’est pas une simple recommandation, mais une nécessité absolue.
Verdict : encadrants coupables, sanctions inédites
Le 3 juillet, le tribunal de Gap a fermé la parenthèse judiciaire d’Orpierre avec un jugement aussi attendu que sévère. Les juges ont clairement désigné les fautes des deux encadrants principaux : manque de prudence, absence de contrôle rigoureux, défaut flagrant de vigilance. Jean-François Chadeyras et Philippe Diot, reconnus coupables d’homicide involontaire, écopent chacun de deux ans de prison avec sursis. Mais au-delà du symbole pénal, c’est l’interdiction définitive d’exercer toute fonction d’encadrement sportif qui marque les esprits. Cette sanction, rare par sa fermeté, signifie pour eux une fin définitive à toute implication dans la formation, même bénévole, des grimpeurs. Le CAF de Roanne lui-même devra régler une amende de 20 000 euros. Si le club échappe à une suspension officielle, c’est sa crédibilité qui chute lourdement.
Avant même le verdict judiciaire du 3 juillet 2025, les autorités administratives avaient déjà marqué le coup. Dès 2024, le Conseil départemental de la jeunesse, des sports et de la vie associative (CDJSVA) de la Loire avait suspendu temporairement quatre bénévoles du CAF : deux pour un an, deux autres pour deux ans. Mais la préfecture de la Loire était allée plus loin, infligeant à ces mêmes quatre encadrants une interdiction exceptionnelle de 15 ans d'encadrement sportif. À l'époque, jamais le milieu associatif de la grimpe n'avait connu une telle sévérité administrative. À ces sanctions déjà lourdes s'ajoute désormais la décision judiciaire : une interdiction définitive d'encadrer pour les deux principaux responsables, Jean-François Chadeyras et Philippe Diot.
Pour le CAF de Roanne, ces sanctions cumulées ont eu un effet dévastateur immédiat : perte d'adhérents, stages annulés, vie associative paralysée. Cette année-là, aucun stage n'a eu lieu. Par respect pour la mémoire de Camille, mais aussi sous le poids d'une vigilance devenue incontournable.