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Club d'escalade à 360° : le modèle du futur ?

Plafonnés en termes de licencié·e·s, contraints par l'argent public et concurrencés par les salles privées, les clubs d'escalade butent sur beaucoup d'écueils. Pourtant, une certaine vision « à 360 degrés » pourrait leur permettre de continuer à se hisser vers le haut. Ça tombe bien car c'est celle du Tournefeuille Altitude Grimpe (TAG), l'un des plus grands clubs d'escalade de France et de son président, Michel Chauvin. Qui nous explique tout.


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Le Tournefeuille Altitude Grimpe © TAG

Vertige Media : Vous parlez souvent de l'importance de créer un club « à 360 degrés ». Que cela signifie-t-il concrètement ?

Michel Chauvin : Alors déjà, précisons que ce n'est pas de moi. Ça vient d'un chercheur en sociologie qui s'appelle Patrick Bayeux, ancien professeur à l'université de Toulouse, aujourd'hui consultant indépendant avec un blog assez suivi. J'ai découvert ses travaux en 2023-2024, et ça a été un véritable déclic. Ça a télescopé ce que j'avais mis en place depuis plusieurs années au TAG, sans même avoir les mots pour le théoriser. Pour faire simple, Patrick Bayeux oppose le « club couteau suisse » au « club à 360 degrés ». Le premier répond aux sollicitations extérieures de manière désordonnée : on vous dit « il faudrait faire du sport-santé », vous vous lancez. Puis, « il faudrait cibler les seniors », vous foncez. Sans vraie vision. Le club à 360, lui, se pose d'abord les bonnes questions : quel club voulons-nous devenir dans notre environnement social, politique, éducatif, économique ? Comment développer des activités vers toute cette diversité de manière structurée, programmatique, en fonction de nos installations, de nos ressources humaines et financières ?


Vertige Media : Cette théorie, vous l'avez donc découverte tardivement. Qu'aviez-vous construit auparavant, par intuition ?

Michel Chauvin : Très rapidement après mon arrivée au club, j'ai fait une analogie qui ne m'a jamais quitté : pour moi, un club est une structure organique, vivante, qui a besoin de se renouveler et d'être alimentée en énergie pour garantir son existence. Mais surtout, pour contribuer au développement et à l'évolution de ses membres, au sens qualitatif et quantitatif. J'ai donc expérimenté par le terrain en lançant des projets, en les faisant vivre, en les ajustant selon les retours. Puis, je suis enfin tombé sur les travaux de Patrick Bayeux qui m'ont apporté la consolidation théorique qui me manquait. Ça m'a rassuré, en tant que dirigeant. Parce que j'avais beaucoup de doutes : est-ce que c'est une bonne approche ? Est-ce que c'est intelligent de vouloir tout embrasser ?

Vertige Media : Deviez-vous faire face à certaines critiques ?

Michel Chauvin : Oui, j'ai toujours eu des critiques. C'est le lot commun dès qu'on veut sortir des sentiers battus, des cadres classiques où les gens sont confortables. La réaction primaire, c'est : « Non, c'est compliqué, ça va être difficile. Nous, on est bien entre nous, on n'a pas besoin de développer quelque chose ». Ce pessimisme ambiant, il faut beaucoup d'énergie pour le dépasser. Comprendre pourquoi les personnes réagissent ainsi, puis gentiment les bousculer en montrant que, d'une part, ça ne les gêne pas dans leur pratique actuelle, et d'autre part, ça élargit la vision globale et cela profite à tout le monde.


« À l'époque, les clubs d'escalade n'avaient pas du tout la même reconnaissance que les clubs bien installés depuis des décennies : le foot, le rugby, l'athlétisme. Nous, on était des danseuses »

Vertige Media : Revenons aux origines. Le TAG a fait le choix de la compétition comme moteur dès 1998. Pourquoi ?

Michel Chauvin : À l'époque, les clubs d'escalade n'avaient pas du tout la même reconnaissance que les clubs bien installés depuis des décennies : le foot, le rugby, l'athlétisme. Nous, on était des danseuses. Dans les années 80, on avait encore l'image de Patrick Edlinger, de l'escalade hédoniste. Il fallait démontrer notre valeur sportive.

Pour moi, c'était évident qu'il fallait passer par la compétition. Parce que l'indicateur qui donnait de la mesure auprès de mes collègues d'autres sports et des élu·es, c'était les résultats sportifs. Autrement dit, la capacité à avoir des athlètes performant·es, des podiums, à organiser des compétitions d'envergure. Ça a pris beaucoup d'années, mais c'était notre tête de pont.


Vertige Media : Et 25 ans après, quel palmarès revendiquez-vous au TAG ?

Michel Chauvin : On a plusieurs champion·nes de France qui sont passé·es par le TAG. On fait régulièrement des podiums dans toutes les disciplines – difficulté, vitesse, bloc. On a en permanence des jeunes dans les équipes de France. On a organisé le Championnat de France jeunes en 2018, le Tournoi de Qualification Olympique pour Tokyo en 2019, et tout récemment une Coupe d'Europe en 2025 où deux de nos licencié·es, Akyan Etchar et Kaina Viviand, ont brillé.

La reconnaissance, elle vient aussi de la fédération qui organise régulièrement des stages chez nous, du partenariat avec le CREPS pour le Pôle Espoir, et même de l'international. Dimanche dernier, j'ai rencontré un père et son fils qui vivent à Barcelone. Le jeune a un projet sportif en vitesse. Il a rencontré deux de nos grimpeuses lors d'une compétition à Barcelone, et il a décidé de prendre sa licence chez nous, à Tournefeuille, et de faire des centaines de kilomètres pour venir s'entraîner.


La compétition, ce n'est certainement pas une manne financière ! C'est même un objet de dépense »

TAG Toulouse
Bah alors, ils sont tous chez Arkose ou quoi ? © TAG

Vertige Media : Cette vitrine compétitive, comment finance-t-elle le reste ?

Michel Chauvin : La compétition, ce n'est certainement pas une manne financière ! C'est même un objet de dépense. Ce qui aide, en revanche, c'est la reconnaissance auprès des collectivités territoriales : la commune, le département, la région. Elles voient les résultats, les compétitions d'envergure, et ça donne du crédit. Cette reconnaissance nous permet d'aller les solliciter pour d'autres projets : la para-escalade, l'escalade pour les seniors, le sport-santé, l'évolution de nos infrastructures. On est perçus comme un club structuré, organisé, sérieux. Ça ouvre des portes. Avec un budget annuel de 300 000 euros pour 700 adhérent·es, on doit justifier chaque projet, répondre à des appels à candidatures, chercher des financements. C'est un travail énorme, mais on y arrive.


Vertige Media : Vous avez 8 professionnel·les aujourd'hui. Comment s'articule ce staff avec les bénévoles ?

Michel Chauvin : On a 4 salarié·es et 4 indépendant·es. Cette professionnalisation était indispensable pour porter les projets sociétaux. Je ne crois pas qu'avec que des bénévoles, on puisse s'embarquer dans des actions comme la para-escalade ou le sport-santé post-cancer. Il faut un staff qualifié et disponible. Mais il faut aussi que ça s'équilibre avec la culture bénévole qui reste l'ADN du mouvement associatif. Le ratio bénévoles/adhérent·es est à peu près le même qu'il y a 30 ans. Sauf qu'aujourd'hui, le rôle de dirigeant est beaucoup plus compliqué. Ça demande des connaissances techniques, des capacités à mobiliser des élu·es, une compréhension fine d'un monde socio-économique en pleine évolution. Moi, je l'ai fait sur le tas. Aujourd'hui, je pense que ça doit passer par de la formation.


Vertige Media : Parlons justement de cette ouverture sociétale. Comment un club de compétition devient-il aussi un acteur du sport-santé et de l'inclusion ?


Michel Chauvin : En fait, j'ai toujours eu cette aspiration. Il y a plus de 20 ans, j'ai monté une activité escalade avec un IME [Institut médico-éducatif] pour confronter deux mondes : des personnes en situation de handicap et nos jeunes compétiteur·rices. L'idée était de créer une solidarité, un transfert. Ça a duré deux ans, mais on s'est épuisés parce que la structure était trop poussive – on devait tout porter, tout tirer. J'ai aussi eu une expérience extraordinaire avec des éducateurs de rue qui sont venus nous voir pour monter un programme avec des jeunes de quartier vraiment difficiles. Il faudrait vraiment aller beaucoup plus loin là-dedans.


Vertige Media : Mais concrètement, quand le déclic s'est-il produit ?


Michel Chauvin : En 2017, avec l'arrivée d'un gymnase beaucoup plus grand (le gymnase des Quéfets, ndlr). Deux ans avant, j'ai réécrit le plan de développement du club en intégrant formellement « l'ouverture sociale ». On ne savait pas trop comment faire, mais c'était devenu un objectif clair : faire du sport-santé, de l'inclusion, toucher les publics éloignés du sport. On avait désormais une grande salle à disposition, des créneaux horaires larges, et la possibilité d'engager des salarié·es sur ces actions-là.


« C'est toute la difficulté du club à 360 : faire sens. Créer de la cohérence et de la complémentarité entre toutes ces activités, ne pas les laisser en silos. Éviter de cliver »

Aujourd'hui, on propose de l'escalade réparatrice pour des femmes après un cancer du sein, pour des enfants suivis par le CHU de Toulouse après des opérations de cancer, du para-escalade pour des personnes en situation de handicap physique, sensoriel ou psychique, des séances pour seniors. On travaille aussi avec le monde de l'entreprise sur des questions de management et de sécurité collective à travers l'escalade. En décembre 2024, le TAG a reçu le prix Impulsion sport qui est venu récompenser nos activités sur le handicap de la part de l'ANS (Agence nationale du sport, ndlr). Nous sommes le premier club escalade et le seul à ce jour à avoir obtenu ce prix.


Michel Chauvin
Michel Chauvin dans les reliefs du Tadjikistan © coll. Michel Chauvin

Vertige Media : Un·e jeune compétiteur·rice de 16 ans, iel se reconnaît dans ce projet-là ?


Michel Chauvin : C'est toute la difficulté du club à 360 : faire sens. Créer de la cohérence et de la complémentarité entre toutes ces activités, ne pas les laisser en silos. Éviter de cliver. Si on développe une activité, puis une autre, puis une autre sans préoccupation d'intégration, ça ne tient pas. C'est pour ça qu'on parle de « faire société » au sein du club. Que chacun·e puisse y trouver sa place et que ça alimente tout le monde. Moi, je crois que les jeunes compétiteur·rices peuvent être inspiré·es et grandi·es par côtoyer d'autres publics. Ça leur donne une autre perspective sur le sport, sur la vie. Mais c'est vrai que c'est un travail permanent de médiation, d'explication.


Vertige Media : Vous avez évoqué une tentative de gouvernance participative qui a échoué. De quoi s'agissait-il ?

Michel Chauvin : J'ai voulu mettre en place un groupe de travail pour faire émerger des idées nouvelles de la base, plutôt que d'imposer des choses. Le résultat a été l'inverse de ce que j'espérais. Les gens ont dit : « Il faut arrêter d'accélérer. Il vaut mieux revenir un peu en arrière. On est bien entre nous ». Pour moi, c'est la mort assurée d'un club. Si on n'est pas dans l'idée de proposer des choses nouvelles, on se sclérose et on se fait dépasser.

Vertige Media : Après 34 ans de présidence, vous avez la sensation d'avoir accompli quelque chose ?

Michel Chauvin : Oui, je crois. J'y pense de plus en plus, peut-être parce que je suis proche des 70 ans. J'ai la sensation d'avoir accompli quelque chose et j'en suis même assez fier. Surmonter les obstacles, partir d'un club qui n'était que des adultes grimpant dans l'entre-soi, et en avoir fait un organisme ouvert à tou·tes, reconnu par la communauté… C'est une vraie satisfaction.


« Il ne faut surtout pas tomber dans le défaitisme. Les défis ont toujours existé, mais ils changent de nature. Nous, dirigeant·es, on doit avoir cette capacité à comprendre l'environnement dans lequel on évolue et à s'adapter »

Je me souviens, quand j'étais étudiant en école d'ingénieurs, on avait fait un jeu de rôle de simulation d'entretien d'embauche. À la question « Comment tu te projettes ? », j'avais répondu que je ne pourrais pas supporter d'être dans des routines, qu'il faudrait toujours qu'il y ait des évolutions, des projets. Finalement, c'est ça ma satisfaction vis-à-vis du club : avoir pu proposer des projets, imaginer un futur pour cette structure au bénéfice de tout le monde. Pas pour moi. J'aurais pu rester dans mon coin, grimper tranquille, peut-être atteindre le 8ème degré un jour. Mais je me suis sacrifié, donné à fond, et j'en retire une satisfaction personnelle très, très importante. Surtout d'un point de vue social.

Vertige Media : Au départ, votre moteur était de « rendre » ce que vous aviez reçu...

Michel Chauvin : Exactement. En grimpant sur les falaises à travers la France, tu te rends compte qu'il y a quelqu'un qui a équipé, qui a travaillé pour que tu puisses grimper là. Je me suis dit : je vais redonner du temps à une structure pour rendre ce que les autres m'ont apporté. C'était vraiment le déclencheur. Mais je ne savais pas ce que j'allais faire 30 ans après, ça c'est clair. Même un an après, d'ailleurs !


Vertige Media : Quels sont les défis du TAG pour les prochaines années ?


Michel Chauvin : Le premier, c'est celui auquel tous les clubs font face : la raréfaction de l'argent public, la difficulté à trouver des bénévoles. C'est vrai que c'est plus compliqué aujourd'hui. Néanmoins, on trouve quand même plus de financements qu'il y a 20 ou 30 ans. On a plus de bénévoles qu'avant aussi, même si le ratio par adhérent·e reste similaire. Ce que je veux dire, c'est qu'il ne faut surtout pas tomber dans le défaitisme. Les défis ont toujours existé, mais ils changent de nature. Nous, dirigeant·es, on doit avoir cette capacité à comprendre l'environnement dans lequel on évolue et à s'adapter. Si on y met l'énergie, si on comprend le monde actuel, on peut réussir. Ça demande du travail, clairement. Mais il y a des marges de manœuvre.


Vertige Media : Et les salles privées ? Représentent-elles une menace ou une opportunité ?


Michel Chauvin : Les deux. C'est évidemment une concurrence – il ne faut surtout pas le nier. Même si leur développement a fait grossir le gâteau : il y a 30 ans, on était 60 000 à 70 000 licencié·es dans les clubs. Aujourd'hui, on est 120 000 rien qu'à la FFME (Fédération française de montagne et d'escalade, ndlr) et les salles privées revendiquent 2 millions de pratiquant·es plus ou moins régulier·ères. Pour les clubs, c'est un vrai danger. Les salles privées s'organisent en réseaux, elles ont beaucoup plus de moyens, elles développent des stratégies communes. C'est vu comme un marché. Nous, lors du Covid, on a fait le choix de maintenir nos salarié·es, de ne pas commettre d'abus comme certaines salles privées qui acceptaient n'importe quel certificat médical. On nous l'a reproché. Des adultes sont parti·es pour les salles. Mais justement, ce qui nous manque aujourd'hui et que le monde fédéral doit absolument résoudre, c'est la flexibilité temporelle. Pouvoir accueillir du public en journée comme les salles privées. Si on veut survivre, c'est cette problématique qu'il faut résoudre.


Vertige Media : Comment les clubs doivent se positionner désormais ?


Michel Chauvin : Je pense qu'il faut que nous créions des clubs qui prennent en compte la dimension économique, qui développent une capacité à fonctionner en journée, à faire de l'accueil du public… tout en restant une association. C'est-à-dire : rester membre, participer à la vie associative, ne pas venir juste consommer. C'est cette offre alternative, hybride, qu'il faut mettre en place. Et c'est là où le club à 360 degrés prend tout son sens, parce qu'on embrasse aussi la partie économique. Mais ça suppose des discussions importantes avec les collectivités parce qu'on vient confronter quelque chose de vraiment atypique.


« Pour être président de club, il faut vraiment avoir un don de soi. C'est presque entrer en religion, d'une certaine façon »

Vertige Media : À quoi ressemblera le TAG dans 10 ans ?


Michel Chauvin : Justement, j'aimerais qu'on aille vers ce club hybride, associatif, inclusif, sociétal, avec sa propre capacité de développement en ressources financières. Ça veut dire avoir une salle où on peut déployer toutes nos activités « extra-club classique » en pleine possession de nos moyens humains. On passerait potentiellement de 700 à environ 1 000 adhérent·es. Pas pour l'objectif en soi, mais pour avoir les capacités financières d'absorber des publics qu'on n'atteint pas aujourd'hui. Et puis, j'ai une autre préoccupation, je ne sais pas encore comment la concrétiser mais j'aimerais devenir un fédérateur d'autres clubs. Moi, je crois à la territorialité. Satelliser d'autres clubs alentours dans la même structure juridique et administrative. Avoir des points d'attache à droite, à gauche, pour un développement beaucoup plus rayonnant.


Vertige Media : Qu'est-ce que ça veut dire, être président d'un des plus grands clubs d'escalade de France ?


Michel Chauvin : Il faut vraiment avoir un don de soi. C'est presque entrer en religion, d'une certaine façon – bon, pas à 100 %, ça ferait peur ! [Rires] Mais il faut aimer les gens. Vraiment aimer les gens. Vouloir accompagner, aider, proposer des choses pour que tout fonctionne mieux, pour que ce soit plus efficace, tout le temps. Quant à sa personnalité, il faut la mettre en second plan par rapport à l'objectif collectif. Sinon, on devient un dictateur.

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