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Un mur d’escalade en accès gratuit ? Pittsburgh prouve que c’est possible

Photo du rédacteur: Adrien BatailleAdrien Bataille

Pittsburgh, la ville de l’acier trempé et des Steelers. Là où les usines ont forgé l’Amérique et où le ciel hésite souvent entre le gris acier et le gris anthracite. Pas exactement l’endroit où l’on s’attend à voir un temple du bloc en plein air, libre d’accès et soigné comme une salle privée. Et pourtant, Boyce Bouldering Park est bien là.


Boyce Bouldering Park
© Walltopia

Sept structures imposantes, plus de 100 blocs du 4 au 7C+, des ouvertures dignes d’une salle privée et une ambition claire : faire grimper tout le monde, sans barrière. Un projet qui aurait dû secouer le petit monde de l’escalade commerciale. Parce qu’en général, une infrastructure publique qui fait du bon boulot, c’est un peu comme un ministre qui cite Bourdieu on sent que la fiche Wikipédia a bien tourné.


Le mur qui a failli ne jamais voir le jour


À l’origine, Boyce n’aurait pas dû être un parc de bloc. Non, le comté d’Allegheny avait dans ses cartons une tour d’escalade de neuf mètres avec des auto-enrouleurs. Un concept classique, mais qui aurait englouti un budget conséquent en maintenance, pour finir comme ces murs municipaux que personne n’utilise vraiment.


Heureusement, Dean Privett, ouvreur et patron de salle, a vu venir le naufrage et a réussi à convaincre les décideurs : le bloc, c’était mieux. Plus accessible, plus économique, et surtout, plus intelligent.


Exit la tour à mousquetonner, place aux blocs. Et pas du bloc bricolé au rabais : Walltopia pour la structure, Boulder Solutions pour la conception, et un casting d’ouvreurs solides, dont Chris LoCrasto, ouvreur en Coupe du monde IFSC.


Un vrai terrain de jeu, pas un prétexte urbain


Les parcs publics regorgent de ces "murs d’initiation" qui tiennent plus du mobilier urbain que d’un vrai spot de grimpe. Boyce n’est pas ça.


Sept blocs distincts, plus de 100 lignes du 4 au 7C+, des profils variés, et une réouverture complète deux fois par an. Ici, on ne se contente pas de visser des prises au hasard sur un panneau. Il y a des dalles, du dévers, des volumes qui attirent autant l’œil que les doigts. Un terrain de jeu pour tous, du curieux au mutant.


Boyce Bouldering Park
© Walltopia

Grimper au cœur d’un hub du mouvement


Boyce Bouldering Park n’est pas un îlot. Il s’intègre dans un écosystème où l’on roule, glisse et grimpe. Juste à côté, une piste pour les vélos, un skatepark, des sentiers. Un espace où l’on vient sans plan précis et d’où l’on repart rincé, mais content.


Dean Privett voit bien l’effet produit :

« Je vois des enfants assis sur les blocs, des familles jouer au football pendant que d’autres grimpent… Et souvent, les parents finissent par se hisser sur le mur eux aussi. »

Le genre d’ambiance qu’on ne retrouve que dans les endroits qui respirent la vie.


Sécurité et responsabilité : le faux débat


Ah, la grande question : et la sécurité alors ? Laisser des gens grimper sans surveillance, c’est pas un coup à voir pleuvoir les entorses ?


Non.


D’abord, le sol est recouvert de 30 centimètres de copeaux de caoutchouc, les blocs sont limités à 4,5 mètres, et des panneaux rappellent que chacun grimpe sous sa propre responsabilité.


Ensuite, soyons sérieux : dans une salle privée, personne ne vous surveille non plus. Pas de filet, pas d’arbitre. Les chutes font partie du jeu.


Et surtout, Boyce est un parc public. Aux États-Unis, ce type d’infrastructure bénéficie d’une protection légale qui encadre les risques comme pour les skateparks : c’est "use at your own risk".


Joel Perkovich, architecte paysagiste du projet, assume l’approche :


« Il existe déjà des skateparks dans plusieurs parcs de Pittsburgh, et pourtant le skateboard comporte des risques. Nous avons appliqué la même logique à l’escalade. »

Dean Privett, lui, tranche avec son franc-parler habituel :


« Juste à côté, des skateurs tombent sur du béton. Nous, on parle de chutes de quatre mètres sur du caoutchouc. Ça va aller. »

Boyce Bouldering Park
© Walltopia

Un problème pour les salles privées ? Ou un tremplin ?


Dès qu’un mur gratuit pointe le bout de ses volumes, la question fuse : et les salles privées, elles en pensent quoi ? On pourrait s’attendre à un tollé. Un mur de qualité, en accès libre, à deux pas d’une salle privée ? C’est comme ouvrir un bar à cocktails gratuits devant une brasserie et dire aux patrons de rester cools. Et pourtant, aucune vague à Pittsburgh.


Pourquoi ? Parce que Boyce ne vole pas des clients, il crée des grimpeurs. Dean Privett, qui possède lui-même une salle privée, le sait bien :


« Quelqu’un découvre l’escalade ici, grimpe pendant un moment, puis vient l’hiver… et il commence à chercher un endroit où continuer. »

L’équation est simple : plus il y a de grimpeurs, plus les salles en profitent. Un gamin qui se prend au jeu ici finira par pousser la porte d’une salle d'escalade. L’ennemi, ce n’est pas le mur gratuit. C’est l’absence de culture grimpe.


Un débat qui rappelle celui autour de Karma La Villette, la future salle fédérale que la FFME est en train d’ouvrir à Paris. Ici, l’Union des Salles d’Escalade (UDSE) a dénoncé une concurrence déloyale, voyant d’un mauvais œil la fédération entrer sur le marché commercial avec un avantage structurel. Après tensions et négociations, la FFME a dû garantir que Karma fonctionnerait comme une salle privée, avec les mêmes obligations fiscales.


Mais au fond, que ce soit à Pittsburgh ou à Paris, le vrai sujet n’est pas la concurrence. C’est la place qu’on veut donner à l’escalade dans l’espace public. Boyce, comme Karma, ne menace pas l’escalade privée. Il la nourrit.


Et en France, on pourrait faire pareil ?


Pas si simple. En théorie, depuis 2020, la loi protège mieux les gestionnaires d’espaces naturels d’escalade en limitant leur responsabilité. Mais dans les parcs publics, c’est une autre histoire.


En France, c’est la collectivité qui est responsable des équipements publics. Le problème, c’est que cette responsabilité est souvent un frein. Là où les Américains appliquent un "grimpez à vos risques et périls", chez nous, les municipalités doivent anticiper, baliser, encadrer, et surtout… couvrir leurs arrières.


Résultat ? Très peu de vrais murs en libre accès. Et quand ça existe, c’est souvent pensé comme un décor plus que comme un vrai spot de grimpe. Et pourtant, la demande est là, et elle ne fait qu’augmenter.

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