America First : grimper à Yosemite coûtera (beaucoup) plus cher aux non-Américains
- Pierre-Gaël Pasquiou
- il y a 3 minutes
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À partir du 1ᵉʳ janvier 2026, une surtaxe s'appliquera aux visiteur·ses étranger·es dans 11 parcs nationaux américains, dont Yosemite, Yellowstone et le Grand Canyon. Une décision estampillée « America First », issue d’un décret présidentiel de Donald Trump, qui transforme pourrait transformer les big walls mythiques en produit de luxe pour celles et ceux qui viennent de l’étranger.

Concrètement, aller poser ses chaussons d'escalade au pied d’El Capitan, de Zion, du Grand Canyon ou de Yellowstone coûtera nettement plus cher aux non-Américain·es. Le 25 novembre dernier, département de l'Intérieur (DOI) des États-Unis (le département du gouvernement fédéral des États-Unis qui contrôle et préserve la plupart des terres appartenant à l'État, ndlr) annonçait une surtaxe de 100 dollars par personne s’ajoutera aux droits d’entrée habituels dans 11 des parcs nationaux les plus fréquentés des États-Unis. La mesure, qui créera de facto deux catégories de publics aux portes des sites emblématiques gérés par le National Park Service (NPS), s’appliquera notamment à Yosemite, Glacier, Rocky Mountain, Everglades et au Grand Canyon.
Parks and limitations
Cette hausse ciblée découle d’une « Executive Order » – un décret présidentiel – signée par Donald Trump le 3 juillet 2025, intitulée « Making America Beautiful Again by Improving Our National Parks », qui demande au DOI d’augmenter les droits d’entrée et le prix des pass pour les « non-residents ». Officiellement, il s’agit de « rendre l’accès plus abordable pour les contribuables américains » en faisant davantage contribuer les touristes étranger·es au financement des parcs. Concrètement, c’est un nouveau mur tarifaire qui se dresse entre les falaises mythiques de la grimpe américaine et la communauté internationale qui les fréquente.
Aujourd’hui, le pass annuel baptisé « America the Beautiful » par le NPS coûte 80 dollars pour tout le monde, quelle que soit la nationalité. À partir de 2026, il restera au même prix pour les résident·es américains, mais sera fixé à 250 dollars pour les non-résident·es. Pour les visiteur·ses étranger·es qui ne prendront pas ce pass, une surtaxe de 100 dollars par personne sera ajoutée, en plus du droit d’entrée classique, pour entrer dans chacun des 11 parcs les plus fréquentés. À Yosemite, par exemple, l’entrée est actuellement facturée 20 dollars par personne (sans véhicule) sans distinction de nationalité. Demain, un·e grimpeur·euse venu·e de France, d’Allemagne ou du Japon pourrait devoir payer ces 20 dollars, plus 100 dollars par personne s’il ou elle ne dispose pas du nouveau pass à 250 dollars. Pour un voyage dans différents parcs, la note grimpe très vite.
Pour comprendre cette bascule, il faut revenir à l’état des finances du National Park Service. Dans un rapport daté du 25 juillet 2024, le service de recherche du Congrès des États‑Unis (CRS) chiffre à plus de 23 milliards de dollars le retard d’entretien et de réparations accumulé sur son réseau pour l’exercice 2023 à partir des données internes du NPS. Routes, ponts, campings, réseaux d’eau ou centres d’accueil : une partie des infrastructures est vieillissante, parfois au bord de la rupture.
Dans le même temps, plusieurs propositions budgétaires de l’administration Trump ont visé à réduire fortement les crédits du NPS. La National Parks Conservation Association (NPCA) évoque des coupes d’un milliard de dollars sur certaines lignes et une baisse rapide des effectifs permanents dans de nombreux parcs. Un rapport du Center for American Progress résume la logique : moins d’argent public, moins de rangers, davantage de pression pour augmenter les recettes propres via les droits d’entrée.
C’est dans ce contexte que le décret présidentiel du 3 juillet 2025 demande explicitement de faire porter l’effort sur les non-résident·es, plutôt que sur les contribuables américains. Le DOI assure que la quasi-totalité des recettes supplémentaires restera dans l'escarcelle des parcs concernés pour financer l’entretien et les services aux visiteur·euses, et évoque un potentiel de réserve de plusieurs centaines de millions de dollars par an. Mais aucune trajectoire de réinvestissement public complémentaire n’est pour l'instant communiquée.
Big walls, grosse addition
Pour les territoires qui vivent du tourisme outdoor, l’inquiétude est palpable. Des élu·es locaux et des représentant·es du secteur estiment que 10 à 15 % des nuitées dépendent de la clientèle internationale, et craignent une baisse nette de ce segment si la surtaxe s’applique telle quelle. L’agence Associated Press rapporte des réactions similaires dans plusieurs « gateway communities », ces « villages-portails » situés aux abords des parcs dont l’économie en dépend largement.
Du côté des organisations de défense des parcs, la lecture est plus nuancée. Certains think tanks libéraux, comme le Property and Environment Research Center, défendent depuis des années des tarifs plus élevés pour les étranger·es afin de résorber les retards de travaux d'entretien. La NPCA, elle, alerte sur le risque d’un système où l’on « fait payer plus cher pour un service qui se dégrade faute de moyens », en pointant à la fois la crise de personnel et l’augmentation de la fréquentation globale, qui a dépassé selon elle 330 millions de visites e 2024 sur l’ensemble du des parcs nationaux.
Pour la communauté de l'escalade, la question est très concrète : Yosemite, Zion, le Grand Canyon ou Rocky Mountain ne sont pas que des cartes postales, ce sont des lieux fondateurs de l’histoire de l’escalade moderne, des big walls et des fissures qui ont façonné l’imaginaire de générations de pratiquant·es. En distinguant explicitement les tarifs selon la nationalité, les autorités américaines assument de faire de cet imaginaire un privilège pour celles et ceux qui peuvent suivre financièrement.
De Yosemite à Margalef
Vu d’Europe, cette surtaxe résonne fortement avec un autre dossier que le milieu de l’escalade digère encore : celui de Margalef, en Catalogne. Dans ce village de 100 habitant·es, au pied du Montsant, les falaises attireraient près de 90 000 visiteur·ses par an, selon les données du parc naturel. Face à la saturation des routes, des parkings et de la gestion des déchets, la mairie a mis en place à l’automne un système de barrières automatiques et un ticket de 5 euros par véhicule et par jour pour accéder à deux secteurs majeurs, avec quotas à la clé.
CommeVertige Media l’a décrit dans son article « Margalef : le spot d’escalade espagnol devenu payant », cette décision a provoqué vandalisme, appels au boycott et fracture au sein de la communauté locale. Là aussi, le cœur du débat n’est pas seulement « faut-il payer ? », mais « qui décide ? », « pour financer quoi ? » et « avec quelle transparence sur l’usage des recettes ? »
Entre les barrières de Margalef et la surtaxe « America First » des parcs américains, l’échelle change, pas les questions de fond. Dans un monde où la grimpe est devenue un phénomène de masse, où les spots mythiques cumulent les millions de visites et des décennies de sous-financement, les pouvoirs publics répondent par des péages, des quotas et des accès différenciés. La vraie ligne de crête, pour les années qui viennent, sera moins de savoir si l’on paie pour grimper, que de décider qui paie, à quelles conditions… et qui ne pourra plus se le permettre.














