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Là Ô : la difficile ascension de la salle d’escalade la moins chère de France

Dernière mise à jour : 16 sept.

À Toulouse, une structure familiale se revendique « la salle d’escalade la moins chère de France ». Ce qui est probablement vrai mais ce qui n’efface pas pour autant plus de neuf ans de galères dans une voie très difficile. Celle de faire vivre une salle de bloc indépendante en 2025. Reportage.


Marie Imbert, fondatrice de Là Ô Escalade
Marie Imbert, la fondatrice de Là Ô Escalade © Vertige Media

C’était l’eldorado des années 90. À Portet-sur-Garonne, en banlieue de Toulouse, le plus grand Carrefour d’Europe de l’époque étalait ses temples de consommation sur plusieurs milliers de mètres carrés. Une galerie marchande flambant neuve. Un parking qui s’étend à perte de vue où les familles se pressaient dans un ballet de caddies. Tout ceci dessinait alors le mythe de la France glamour des hypermarchés. Trente ans après, les modes de vie ont changé et le centre commercial de Portet est devenu une plaine d’asphalte où il est désormais facile de se garer. En faisant le tour, les enseignes d’antan paraissent un peu pâles face au souvenir de la hype des nineties. Même la devanture du McDo paraît un peu décatie.


Flyer me to the moon


C’est quelque part dans cet immense océan de béton que s’est installée Là Ô Escalade. Érigée à côté d’une boutique de vapoteuse et d’un magasin de pièces détachées, « la salle la moins chère de France » a fait sa place au sein d’un ancien entrepôt. À l’intérieur, le logo orange orné de trois montagnes trône sur un gros carton blanc. En dessous, une petite équipe s’affaire à l’accueil entre l’ardoise du menu du jour, un ordinateur portable et une odeur de café chaud. C’est un samedi matin d’août que Marie Imbert, la fondatrice, nous attend pour parler de ses tarifs les plus bas du marché. Récemment, un flyer collé un peu partout dans Toulouse vantait les mérites du slogan le plus racoleur de la ville rose : une salle de bloc à 5 euros la place. Du jamais-vu dans le milieu. Pour en parler, Marie Imbert s’assoit d’abord en tailleur sur le canapé de l’entrée, sous un mur de photos punaisées qui font défiler neuf ans de vie de salle d’escalade indépendante. Puis se racle la gorge, sourit et remplace son slogan par un autre. Les 5 euros ? « Ça, c’était avant ».


Entrée de Là Ô Escalade
L'entrée de Là Ô Escalade © Vertige Media

La jeune femme de 33 ans a le regard espiègle de celle qui confie qu’elle a tenté un coup. Et le sourire de celle qui assure que ça a fonctionné. Entre octobre 2024 et fin mai 2025, la patronne a axé sa campagne de communication autour d’une politique tarifaire ultra compétitive. « La salle la moins chère de France », s’affichait en stories sur les réseaux sociaux mais aussi en stickers sur les poteaux du centre-ville ou les caddies du Carrefour d'à-côté. « On avait besoin de faire revenir les gens dans la salle », pose Marie Imbert sans fard. Près de nous, quelques jeunes s’échauffent sur un pan de mur. C’est un matin de journée estivale tranquille où les abonnés peaufinent leurs mouvements et où l’espace enfant n’est pas encore rempli. Depuis l’après-Covid, la fréquentation de Là Ô Escalade a sensiblement baissé. Une journée normale en 2019, c’était 100 personnes dans la salle. Une bonne journée en 2024, cela tombait à 30. « Ce n’était plus possible, enchaîne Marie Imbert. Avec l’équipe, on se souvenait d’une époque où on mangeait à 23h passée, tellement on n’avait pas le temps. Trois ans après, on ne voyait plus personne et on faisait le ménage pour nous occuper. C’était déprimant. »


En astiquant les prises, Marie et son équipe essaient de trouver la bonne idée. Celle qui remportera la mise sera de poser « un juste prix ». « C’était une campagne marketing certes Mais d’une, la salle la moins chère de France, c’est quand même un bon slogan. Et de deux ça correspondait à notre stratégie », plaque la fondatrice. Depuis le début de l’aventure, Là Ô Escalade n’a pas changé de mission : faire découvrir l’escalade au plus grand nombre. « On a tout de suite vu la différence, certifie Marie Imbert. En même pas 15 jours, on avait atteint le même chiffre d’affaires qu’avec un mois de tarif normal à 12 euros. Donc ce qu’on a perdu en prix d’entrée, on l’a gagné sur du volume. » Surtout, quand les gens affluent, ils en parlent. Le bouche-à-oreille fonctionne. « C’est ce qui fonctionne le mieux. Le monde attire le monde », confirme la fondatrice. En quelques semaines, la salle rajeunit considérablement sa clientèle. Beaucoup d’étudiants viennent essayer l’escalade. Pas mal de débutants reviennent aussi. « Au lieu de venir qu’une fois par semaine avec une entrée à 12 euros, ils viennent deux fois. Le prix à 5 euros les encourage aussi pas mal à prendre une bière derrière, voire deux », continue-t-elle.


Tarif solidaire, grimpe à vue et bowling


À entendre la cheffe d’entreprise, elle aurait trouvé la formule idéale. D’autant plus que la salle n’est pas vraiment la plus low-cost du pays. Certes, pas de kilter board ou de sauna chez Là Ô Escalade mais un pan Güllich, un resto, une MoonBoard, une terrasse, un bar à pression… Lucas, un abonné fidèle, le concède : le prix est l’un des facteurs déterminants de son assiduité. Mais le jeune homme qui grimpe depuis 3 ans parle aussi d’ « une ambiance hyper chill », de « la qualité des ouvertures » et « d’une playlist très cool ». Pourtant, l’offre à 5 euros a vécu et depuis, Là Ô est parti sur une autre voie, mixte et plus technique. Marie Imbert explique : « On s’est vite rendu compte que la place à 5 euros n’allait pas nous permettre de rentrer dans nos frais. Un de mes ouvreurs m’avait parlé de tarifs conscientisés que pratiquait une salle en Belgique (Le Camp de Base, ndlr) avec plusieurs paliers. J’ai trouvé ça génial. Et on a mis cela en place cela dès l’été. » Aujourd’hui, la salle propose trois offres : un tarif solidaire à 7 euros, un tarif d’équilibre à 10 euros et un tarif d’investissement à 13 euros. Le principe ? Les gens choisissent ce qu’ils veulent mettre en fonction de leurs ressources. Et ils sont peu à choisir la formule la moins chère. « Non seulement nos clients ont bien voulu franchir le pas en acceptant de mettre deux euros de plus par entrée mais en plus l’immense majorité d’entre eux choisissent plutôt l’offre d’équilibre », confie-t-elle. Ainsi, la salle a augmenté son panier moyen - entre 8 et 10 euros pour les entrées seules mais les tarifs conscientisés s'appliquent aussi aux abonnements - et se projette mieux dans ses tableaux financiers. « Et même à ce tarif-là, on reste la salle la moins chère de France », rappelle la gestionnaire.


 « Je cherche moins à fidéliser ma clientèle qu’à faire venir de nouvelles personnes régulièrement. Je considère mon offre comme un moyen pour une famille ou un groupe d’amis de se divertir et de passer un bon moment ensemble. Comme s’ils iraient faire un bowling, en fait »

Marie Imbert, fondatrice de Là Ô Escalade


Au-delà du prix, la stratégie « conscientisée » permet à l’ensemble de l’équipe de sensibiliser la clientèle. « Quand quelqu’un hésite à prendre le tarif d’investissement à 13 euros, on lui explique qu’il participe à l’amélioration à long-terme de la salle », précise la fondatrice. Après trois mois de mise en place, dont deux d’été, difficile de dire si la stratégie a bel et bien fonctionné. Quoi qu’il en soit, Marie Imbert semble avoir trouvé la déclinaison commerciale adéquate pour ses engagements : de la pédagogie et de l’ouverture. « Je cherche moins à fidéliser ma clientèle qu’à faire venir de nouvelles personnes régulièrement. Je considère mon offre comme un moyen pour une famille ou un groupe d’amis de se divertir et de passer un bon moment ensemble. Comme s’ils iraient faire un bowling, en fait. »


Intérieur de Là Ô
Esprit, es-tu là ? @ Vertige Media

Là Ô Escalade pourra-t-elle faire un strike ? La zone commerciale dans laquelle la structure est implantée permet d’attirer la clientèle disparate qui y circule. Les signaux qui valident une forte affluence débutante sont là : les locations de chaussons augmentent, la salle enfants se remplit vite, l’école d’escalade tourne bien… Tout semble réuni pour que l’ascension continue sauf que Marie Imbert et son staff grimpent lestés, et à vue. Quand elle évoque le redressement judiciaire dont fait désormais l’objet sa structure, la patronne se redresse, comme pour bien faire attention à préciser les étapes qui l’y ont conduite. « Début avril, financièrement, c’était très compliqué, lâche Marie Imbert. Je suis allée voir un juge au tribunal de commerce qui m’a vivement conseillé de me mettre en redressement parce que j’étais en cessation de paiement au niveau du loyer. Je ne pouvais plus payer et mon bailleur pouvait me mettre dehors à tout moment. Donc au printemps dernier, je n’ai pas vécu la meilleure période de ma vie. » Si elle reconnaît que le redressement judiciaire a mauvaise presse, la cheffe d’entreprise explique que la situation lui offre des options : « Déjà, mes dettes de loyers sont gelées. Ensuite, je considère la mandataire judiciaire comme une épaule qui m’aide à optimiser ma gestion ». Depuis le printemps dernier, Marie Imbert a pris une avocate pour renégocier son loyer, a changé de tarification, embauché une agence et une apprentie pour gérer sa communication… Et pour la première fois de sa carrière de dirigeante, elle aura un loyer d’avance pour septembre.


Là Ô au bout des bras


C’est peu dire que le parcours entrepreneurial de cette ancienne championne de bloc a été sinueux. Depuis la création de sa structure en 2016, Marie Imbert a connu bien des galères : des travaux ni faits ni à faire, un bailleur sévère, des problèmes de recrutement, un mauvais plan de trésorerie. Malgré tout, la salle tourne les premières années et la patronne parvient à pérenniser son staff de 6 personnes à temps partiel avec lesquels elle partage tout. Mais en 2020, le Covid intoxique la trajectoire. La dirigeante contracte un PGE (Prêt garanti par l’État, ndlr) et se coltine les galères de la réouverture entre baisse d’affluence et contrôles sanitaires. Pour ne rien arranger, un concurrent sérieux - Altissimo - monte sa salle flambant neuve à 3 km. Là Ô se retrouve trois années plus tard avec la moitié de sa clientèle d’alors, près de 5000 euros de prêt à rembourser mensuellement et un loyer estimé à 10 000 euros. « L’année dernière, il nous manquait entre 3000 et 4000 euros par mois pour être à l’équilibre », précise la patronne. Alors celle-ci décide de lancer une campagne de financement participatif pour sauver sa salle. Lancée en juin 2024, elle visait à récolter 44 000 euros pour pouvoir régler les derniers loyers. Après un mois, la cagnotte atteindra péniblement le palier des 20%.


« Pour continuer à exister, c’est simple il faut que je fasse 30 000 euros de chiffre d’affaires par mois. Là, je serais bien et je pourrais même peut-être me verser le salaire que je n’ai pas depuis 9 ans »

Marie Imbert, fondatrice de Là Ô Escalade


C’est sa mère qui remettra un pot pour vraiment sauver Là Ô. Indispensable alliée bénévole, Danièle fait aussi la popote, ainsi qu'un peu d’accueil. « Pour continuer à exister, c’est simple il faut que je fasse 30 000 euros de chiffre d’affaires par mois, précise Marie Imbert. Là, je serais bien et je pourrais même peut-être me verser le salaire que je n’ai pas depuis 9 ans. » En attendant, la jeune trentenaire vit du RSA activité, hébergée dans une maison mitoyenne à celle de ses parents avec son compagnon et sa fille. Comment garde-t-elle la volonté de tenir son projet à bout de bras ? « J’aime l’escalade », répond-t-elle du tac au tac. 


Entrée de Là Ô Escalade
@ Vertige Media

Dans le clair-obscur des blocs de Là Ô, les attrapes-rêves qui pendent au plafond projettent une ombre singulière sur les tapis. Entre les canapés de récup’ et la slackline posée sur des bûches, rien n’est véritablement neuf dans la salle la moins chère de France. « En même temps, jamais je ne ressemblerai aux grosses enseignes comme Arkose ou BO  (Block’Out) », affirme-t-elle. Rare femme à la tête d’une salle d’escalade en France, Marie Imbert fait partie d’un consortium d’acteurs indépendants qui échangent sur l’avenir du secteur. « J’avoue que je ne m’y investis pas énormément, partage-t-elle. Je trouve l'écosystème très complexe. Beaucoup de structures ne veulent pas parler de leur situation. » Au sein de l’agglomération toulousaine, dix salles d’escalade cohabitent. « Ça laisse de la place à tout le monde mais je pense que le marché arrive à saturation. Si une autre salle venait à s’installer, elle en remplacera peut-être une autre. »


Alors, face à la concentration et aux effets de mode, Marie Imbert entend bien défendre sa singularité : faire vivre la grimpe comme un loisir familial. D’ailleurs, elle doit faire un gâteau au chocolat pour le goûter d’anniversaire de cet après-midi. « C’est quand même un peu mon bébé tout ça, dit-elle en fermant les yeux. J’ai envie que ça tourne. Là où nous sommes situés, il n’y a aucune raison pour que ça ne marche pas. 90% des salles en France fonctionnent. Chacune avec leurs difficultés, mais elles s’en sortent. Je ne vois pas pourquoi je ne m’en sortirais pas. »

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