Le sport et le port du voile : une interdiction en marche ?
Un morceau de tissu, et tout un pays s’enflamme. Ce mardi, le Sénat débat d’une proposition de loi visant à interdire le port de signes religieux ostensibles – et donc du voile – lors des compétitions sportives.
L’idée ? Préserver la neutralité des terrains de jeu. Le problème ? On risque surtout de barrer l’accès au sport à certaines pratiquantes. Laïcité, liberté, inclusion : chacun y va de son argument. Mais dans ce chaos législatif, où se place l’escalade ?

Le sport, un sanctuaire… ou un filtre ?
L’histoire n’a rien de nouveau. En 2024, le Comité olympique français avait déjà interdit le voile pour les athlètes représentant la France aux JO de Paris, au nom de la neutralité républicaine. L’ONU avait alors grincé des dents, dénonçant une mesure discriminatoire. Aujourd’hui, le Sénat pousse le bouchon un peu plus loin : il ne s’agit plus seulement des sélections nationales, mais de toutes les compétitions officielles, du tournoi de quartier aux championnats nationaux.
L’argument ? Garantir un sport sans signes religieux, un espace de neutralité. Mais en cherchant à vider le sport de toute marque identitaire, ne risque-t-on pas surtout de le vider de certaines de ses pratiquantes ? Derrière cette interdiction, ce n’est pas qu’un bout de tissu qui est en jeu : c’est aussi l’accès au sport, le droit à la pratique, la possibilité de concilier foi et passion.
Des fédérations en ordre dispersé
Dans l’arène des fédérations, c’est un vrai puzzle. La FFF (Fédération Française de Football) et la FFR (Fédération Française de Rugby) interdisent déjà le voile, suivant les règles édictées au niveau international. D’autres, comme la Fédération d’Athlétisme, ne voient pas d’inconvénient.
Puis il y a la FSGT, cette vieille maison du sport populaire, qui a pris le contrepied. Lors de sa dernière assemblée régionale parisienne de l’activité montagne-escalade, elle a voté contre toute interdiction du voile en compétition. Parce que pour elle, l’essence du sport, c’est l’inclusion. Interdire le voile, c’est refuser l’accès aux terrains de jeu à des milliers de femmes qui, sans cela, n’y mettront jamais les pieds.
Et pendant que le Sénat légifère, sur le terrain, l’application reste floue. Beaucoup de clubs gèrent la question au cas par cas, en fonction des sensibilités locales. Autrement dit, ce qui est toléré dans une salle ou une ville peut être proscrit à quelques kilomètres de là. Un terrain miné.
Et l’escalade dans tout ça ?
Dans le monde vertical, la question n’a jamais pris autant d’ampleur que dans d’autres disciplines. Pas de coup de sifflet, pas de contact physique, pas de danger immédiat lié à une tenue couvrante : l’escalade s’est tenue à l’écart des polémiques. La Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade (FFME) n’a jamais statué sur le sujet, et la Fédération Internationale d’Escalade (IFSC) non plus.
Mais l’absence de règlement ne signifie pas l’absence de barrière. Certaines salles privées et clubs ont déjà évoqué des questions de sécurité pour refuser le port du voile, en avançant des raisons techniques : compatibilité avec le casque, risque d’accrochage. Des arguments qui, en l’absence de preuve tangible, relèvent davantage de l’interprétation que de la nécessité.
À l’international, la situation est encore plus contrastée. En Iran, en Indonésie ou encore en Malaisie, des grimpeuses voilées performent au plus haut niveau sans que cela pose problème. La question n’est pas de savoir si elles peuvent grimper, mais simplement comment adapter leur tenue aux exigences de leur sport.
L’escalade a toujours cultivé un certain esprit de liberté. Un sport qui échappe aux dogmes, aux carcans, aux règles trop rigides. Mais cette liberté a-t-elle encore du sens si elle exclut certaines grimpeuses ? Si la loi passe, l’escalade ne pourra pas faire l’économie d’un positionnement. Il faudra bien trancher.
Et dans un sport où l’équilibre est une question de survie, mieux vaudra ne pas se tromper de prise.