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Escalade et déficience visuelle : à l’aveugle, mais pas à tâtons

Dernière mise à jour : 26 mars

L’escalade, c’est d’abord une affaire de toucher. Un grain de roche qui râpe sous les doigts, un volume fuyant sous la paume, un bac rassurant qu’on cherche comme un interrupteur dans le noir. Alors pourquoi faudrait-il forcément voir pour grimper ?


Escalade déficient visuel

Ce weekend à Millau, une formation a été dispensée pour apprendre à mieux accompagner les grimpeurs déficients visuels. Parce qu’entre le mur et la chute, il y a une voix, un guide, un dialogue à construire pour que tout s’accroche et que rien ne tombe. Et si quelques clubs et fédérations commencent à poser des points d’assurage, l’accessibilité reste encore en mode ouverture.


Anticiper pour mieux grimper : mode d’emploi


Dans la grimpe, on dit souvent que tout se joue avant même de lever le pied du sol. C’est encore plus vrai pour les personnes déficientes visuelles. Baptiste Cruzel, entraîneur adjoint de l’équipe de France de para-escalade et ergothérapeute de formation, en a fait son cheval de bataille. À Millau, il a partagé son expertise avec une poignée de grimpeurs volontaires, bien décidés à ne plus grimper idiot.


Baptiste Cruzel insiste sur l’importance de préparer en amont l’arrivée des grimpeurs déficients visuels : comment ils accèdent à la salle, comment ils s’y repèrent, comment on évite les obstacles dès leur arrivée. L’objectif, selon lui, est qu’ils deviennent autonomes le plus tôt possible, sans dépendre constamment d’un accompagnateur.


Après un peu de théorie, la pratique : les participants ont été priés de grimper les yeux bandés, avec pour seul guide la voix d’un partenaire. Un exercice qui a remis tout le monde au niveau zéro. Un pied qui racle dans le vide, une main qui s’affole sur le mur, et soudain, on comprend mieux pourquoi des consignes claires valent mieux qu’un "vas-y, monte, c’est easy".


Un langage à inventer : la voix comme outil de grimpe


Dans le para-escalade, la voix est bien plus qu’un simple soutien : c’est l’outil central du guidage. L’accompagnateur au sol doit traduire la voie en mots, donner les bonnes indications au bon moment, avec la bonne précision. Mais là où un coach peut dire à son grimpeur « vas-y, envoie à droite ! », un autre peut détailler « prends l’inversée en trois heures, pousse fort sur ton pied gauche, transfert de poids et relance ».


Le problème ? Il n’existe pas encore de vocabulaire standardisé. Chaque binôme crée son propre lexique, ses propres codes. Ce qui fonctionne dans une salle peut devenir incompréhensible ailleurs.


« Aujourd’hui, chacun fait un peu à sa sauce », explique un encadrant. « Certains décrivent la prise par son type (plat, arquée), d’autres par sa direction (droite, gauche), d’autres encore par l’horloge (trois heures, neuf heures). Et au final, il y a un vrai enjeu à harmoniser ces méthodes. »

D’où l’idée d’instaurer un langage commun, des repères clairs et partagés. Certaines équipes et clubs commencent à travailler sur ces standards pour que l’accompagnement soit plus efficace et plus intuitif, quel que soit le lieu ou l’encadrant.


Grimper en binôme : un apprentissage des deux côtés


Accompagner un grimpeur déficient visuel, c’est généralement d’abord vouloir rendre service. Mais rapidement, c’est un travail à deux qui se met en place, où chacun progresse avec l’autre. Un constat que nous partage Thomas :


« Quand j’ai commencé à guider un grimpeur malvoyant, je voyais ça comme un coup de main, un truc sympa à faire. Sauf qu’assez vite, c’est devenu un défi commun. Quand il réussit une voie, j’ai vraiment l’impression d’avoir réussi aussi. Et à l’inverse, quand il chute, je considère que c’est également un peu de ma faute parce que je n’ai pas donné les bonnes indications. »
« Ce rôle de guide m’a aussi fait monter en niveau, j'ai appris à vraiment lire une voie, à anticiper chaque position, chaque mouvement. Là où avant je lisais rapido en cherchant juste à passer, j’ai compris l’intérêt de tout décrypter avant d’être dans une voie. »

L’escalade devient un dialogue, une question de confiance totale entre celui qui grimpe et celui qui le guide. Une leçon aussi bien pour le grimpeur que pour l’accompagnateur.


Les clubs et les fédérations s’équipent


L’inclusivité en escalade n’est pas encore un standard, mais certaines structures commencent à poser les premières prises. La Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade (FFME) a notamment lancé plusieurs formations pour que les encadrants ne se retrouvent pas à improviser en bas du mur.



  • La formation Initiateur Escalade & Handicap pousse encore plus loin la réflexion en apprenant aux encadrants à adapter leurs méthodes, concevoir des parcours et accompagner des pratiquants avec des besoins spécifiques.


L’objectif est clair : faire en sorte que chaque club, chaque salle, chaque moniteur puisse proposer un accompagnement adapté sans se reposer uniquement sur quelques initiatives isolées.


Dans cette dynamique, d’autres organismes se spécialisent dans la formation des paramédicaux et éducateurs, intégrant l’escalade dans une approche thérapeutique et sociale. De quoi donner une nouvelle dimension au sport, bien au-delà de la simple performance.


Un sport encore en rodage


Pour l’instant, les initiatives se multiplient, mais rien n’est encore systématique. Manque de formation, infrastructures pas toujours adaptées, absence de matériel dédié… La grimpe pour déficients visuels est en pleine montée, mais sans vraie prise d’appui.

Mais la direction est tracée : permettre aux grimpeurs déficients visuels de gagner en autonomie, de ne plus dépendre systématiquement d’un accompagnateur et d’évoluer sur le mur avec la même liberté que n’importe quel autre grimpeur.


L’escalade a longtemps été un sport de l’extrême. Il devient aujourd’hui un sport d’inclusion. Et si cette ouverture ne va pas aussi vite qu’un run en Coupe du monde, elle a au moins l’avantage de ne pas être qu’un simple effet de mode. Parce qu’au bout du compte, grimper, c’est avant tout savoir avancer.

 
 

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