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Photo du rédacteurPierre-Gaël Pasquiou

Para-escalade : Mélissa Cesarone expose les failles d'un sport en quête d'inclusion

À l'heure où les yeux sont déjà largement tournés vers les JO de Paris 2024, nous avons souhaité rencontrer une grimpeuse qui n'y participera pas. Non pas qu'elle ne soit pas sélectionnée ou qu'elle ait délibérément fait le choix de ne pas prendre part à cette compétition mondiale. Mélissa Cesarone, 21 ans, est malvoyante de naissance. Les jeux paralympiques n'ont pas encore validé le fait que l'escalade puisse entrer comme discipline pour cet événement. Un manque d'équité qui est loin de concerner uniquement cette compétition pour les personnes porteuses d'un handicap et dont Mélissa nous parle sans détour.


Melissa Cesarone escalade
© Climbing Rookies

Est-ce que tu peux te présenter pour celles et ceux qui ne te connaissent pas encore ?


"Alors moi, c'est Mélissa. J'ai 21 ans, je suis malvoyante, j'ai une maladie génétique de naissance. Je grimpe depuis que je suis toute petite. Et en parallèle de ça, je suis en école de kiné, en troisième année."


Tu as démarré l'escalade très tôt, comment ça s'est passé ?


"Mon père grimpait avec des amis qui ont commencé à mettre leurs enfants à l'escalade. Donc moi aussi j'ai voulu tester avec mes copines. Puis j'ai arrêté pour me tourner vers d'autres sports comme la danse, le karaté et j'ai même fait de la musique. Mais je n'ai pas vraiment accroché longtemps avec ces activités et je suis revenue à l'escalade vers les dix ans à peu près. Et depuis, je n'ai plus jamais arrêté de grimper."


J'ai l'impression que de plus en plus de démarches sont mises en place pour permettre à des personnes en situation de handicap de pratiquer l'escalade, mais j'imagine qu'il y a 10 ans la situation devait être radicalement différente non ?


"Moi j'avais 10 ans donc c'est difficile de réaliser mais j'ai eu la chance d'être entourée de personnes toujours prêtes à m'accompagner à l'escalade. Lorsque j'ai commencé à grimper au club de Thionville, les entraîneurs ont tout mis en place pour que je puisse évoluer comme les autres enfants de mon âge. Mais c'est vrai que je pense que ça se développe de plus en plus maintenant parce qu'on médiatise beaucoup plus le handisport de manière générale et en parallèle, l'escalade qui devient de plus en plus populaire depuis son arrivée aux Jeux Olympiques de Tokyo."


10 ans plus tard tu grimpes toujours, tu serais capable d'expliquer pourquoi ?


"C'est un vrai besoin d'avoir ce moment à moi dans un sport que j'aime, où je me dépasse. C'est vraiment la notion d'aller plus haut. On veut toujours aller le plus haut possible. La notion de dépassement de soi, de toujours faire plus, de toujours faire mieux c'est important pour moi."


On a rencontré Aristote, la personne qui te guide lors de tes ascensions, tu peux nous parler de son rôle et du niveau de confiance que ça doit impliquer ?


"Comme toute personne, que tu sois malvoyant ou non, para ou non, tu as besoin d'avoir confiance en ton assureur puisque c'est lui qui tient la corde entre ses mains. Pour une personne qui grimpe et qui est malvoyante, en plus d'un assureur, elle a besoin d'un guide en qui elle fait totalement confiance et qui sait la guider de la manière la plus précise possible pour qu'elle puisse grimper. La relation avec le guide, c'est quelque chose de vraiment différent de celle que l'on peut avoir avec son assureur, ça se travaille sur le long terme et ça demande une énergie très importante. Aristote est devenu mon guide il y a 4 ans, depuis que je suis à Paris et que je fais mes études ici. Au début, il n'avait pas prévu d'accompagner une personne malvoyante, il s'est lancé dans ce projet quand on s'est rencontré et que je lui ai présenté mon projet. Au début, je ne savais pas vraiment comment lui expliquer comment me guider, on a composé avec mes expériences passées et il a aussi appris avec des échanges avec d'autres personnes. On a commencé à monter un petit peu notre propre langage, nos codes et à force de s'entraîner, on est devenu de plus en plus précis."


Ça ressemble à quoi les informations qu'il te donne ?


"L'idéal, c'est qu'il me dise quelque chose qui soit vraiment calibré dans ma tête. Ça n'a pas besoin d'être une phrase parce que ça doit être très rapide, donc en général il me dit un mot. C'est un gros travail de lecture pour lui, pour qu'il puisse me dire quelle prise il faut prendre, à quel moment, dans quel sens, comment mettre ses pieds, mes mains, etc. Mais en plus, il est obligé de savoir comment je grimpe parce que tous les grimpeurs grimpent différemment et sa grimpe n'est pas la même que moi puisqu'on n'a pas le même gabarit, pas la même force. Donc il est obligé d'anticiper les mouvements en fonction de ce qu'il connaît de moi et des mouvements qu'il sait que je vais faire ou que je ne vais pas faire. À partir du moment où je mets le casque qu'on utilise pour communiquer, je suis vraiment seule avec moi-même et sa voix dans mes oreilles. Et il n'y a rien d'autre."


Donc en fait il n'y a pas de mode d'emploi et il faut inventer à chaque fois ?


"Pour moi, tout dépend du duo guide et grimpeur malvoyant. Pour que ça marche, ça doit être un duo en symbiose, il doit y avoir une vraie connexion. Et c'est vrai que quand on est en compétition, que l'on arrive sur les podiums, on cite toujours le grimpeur, mais pour moi ce n'est pas assez, on devrait aussi donner le nom du guide. S'il fait une erreur, je peux très bien tomber et passer à côté d'une place, d'une médaille, d'un podium. Son rôle est aussi important que le mien.


Melissa Cesarone escalade
© Climbing Rookies

C'est une approche assez inspirante de l'escalade, qu'est-ce que tu dirais à quelqu'un qui aurait envie de grimper mais qui ne se lance pas parce qu'il se trouve trop gros, pas assez fort, trop petit, etc. ?


"L'escalade, c'est l'un des sports que l'on peut adapter le plus facilement. Je pense que n'importe qui peut grimper, qu'il te manque des yeux, un bras, une jambe ou autre chose. En fait, on peut grimper de tellement de façons différentes que c'est juste une stratégie à trouver et je pense qu'il ne faut pas se mettre de barrière, ça peut fonctionner pour n'importe qui."


C'est quoi ton rêve Mélissa ?


"C'est les Jeux Olympiques. Mais bon pour le para-escalade il va falloir attendre. On n'a pas encore eu la validation pour Los Angeles en 2028... Mais je pense que c'est l'accomplissement de tout sportif que de se qualifier à des Jeux Olympiques et d'aller le plus loin possible."


On entend de plus en plus d'athlètes s'exprimer sur les faibles récompenses lorsqu'ils gagnent une compétition. C'est aussi un enjeu en para-escalade ?


"Évidemment, les grimpeurs ne sont pas les sportifs qui sont le mieux rémunérés, on n'est pas des footballeurs. Mais nous, en tant que grimpeurs para, on ne gagne rien du tout. En championnat de France, en première place, tu vas gagner une corde et en deuxième un baudrier."


D'où le fait que tu continues tes études, j'imagine ?


"Ah oui, oui, clairement. C'est une chose que mes parents m'ont toujours répétée quand je me suis lancée dans ce projet et ils ont tout à fait raison. Ce n'est pas l'escalade qui va me faire vivre. C'est une partie très importante de ma vie puisque c'est une passion, c'est mon sport mais dans un an et demi, normalement, je deviens kinésithérapeute et c'est le métier de kiné qui va me faire vivre. Et pas ma passion de l'escalade. Tu es obligé pour pouvoir vivre convenablement de faire quelque chose d'autre."


Tu trouves qu'il y a un manque d'équité entre la manière de traiter un grimpeur valide et un grimpeur para ?


"Oui. Sur l'aspect financier mais aussi sur la médiatisation, il arrive souvent que les compétitions pour les valides se fassent le samedi ou le dimanche, des jours où c'est plus facile de se libérer pour suivre ce type d'événement. Pour les para, c'est souvent en milieu de semaine quand tout le monde a autre chose à faire (...) Et c'est la même chose côté publications, on a beaucoup moins de contenu sur les para que sur les valides et ce même au niveau des fédérations. Si tu es grimpeur para, c'est quelque chose vraiment que tu dois faire pour le plaisir, même si tu t'es investi autant qu'un autre sportif professionnel à t'entraîner tous les jours. Qu'importe la médaille, tu ne gagnes rien. On devrait être traités exactement de la même façon puisque on fournit le même travail que les autres. C'est juste qu'on est dans une catégorie différente, et qu'importe la catégorie puisque le but de la fédération est de ramener le plus de médailles partout pour montrer le niveau de tous ses grimpeurs."


Merci Mélissa et Aristote de nous avoir accueillis dans le club du 8 assure pour cet échange !

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