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Escalade : la force au bout des doigts

Dernière mise à jour : 2 juil.

Vos doigts craquent sur votre projet de grimpe ? Normal, ils portent tout le poids de vos ambitions ! Entre science et sueur, ce guide pratique vous dévoile les secrets pour muscler vos pinces sans les casser. Protocoles, pièges à éviter, progression... tout pour que la force soit enfin avec vous !


La force des doigts
© David Pillet

Si vous vous êtes penchés sur les facteurs de la performance en escalade vous vous êtes sans doute plié·e à cette vérité : la force des doigts est un pilier central. Et pas seulement pour tenir des arquées improbables dans le toit de votre projet. Il s’agit ici d’un véritable déterminant de la performance, validé par la recherche, notamment ici . Plus vos doigts sont forts, plus vous avez de chances de performer. Plus vous avez de force et plus vous réduisez le risque de blessure, comme le soulignait une autre étude, en 2016. Néanmoins, attention,  avant de se précipiter sur sa poutre il faut comprendre ce que l’on entraîne. Et  respecter quelques principes.


Des doigts et des devoirs


Les muscles responsables de la flexion et de l’extension des doigts sont dits extrinsèques. Cela signifie qu’ils ne se situent pas au niveau des doigts mais à distance, en l’occurrence dans les avants bras. Conséquence majeure, les tendons qui permettent de transmettre la force produite par le muscle à nos doigts sont (très) longs. Ces tendons coulissent dans des gaines, guidés et maintenus par des structures appelées poulies (au niveau des doigts) et rétinaculum (au niveau du poignet). Ces structures sont très sollicitées en escalade, et leur intégrité est essentielle pour éviter les blessures.


Du point de vue physiologique, les tendons ne s’adaptent pas aussi vite que les muscles. Leur activité métabolique est faible, leur vascularisation est réduite… Bref, comme le soulignent une publication de 2010, ils prennent leur temps. Dit autrement, si vous progressez trop vite en charge ou en intensité, ce ne sont pas vos muscles qui vous freineront, mais vos tendons. Et ils le feront sèchement puisque l’arrêt s’appelle : tendinopathies, ténosynovites ou ruptures de poulies.


Côté biomécanique, toutes les préhensions ne se valent pas. Selon une étude de 2006, une prise arquée met jusqu’à 36 fois plus de contrainte sur certaines poulies qu’une prise tendue. Il est donc logique, surtout dans un contexte d'entraînement de la force, de privilégier les préhensions tendues. Plus saines, moins traumatisantes. Pour autant, les préhensions arquées et semi-arquées ne sont pas à bannir : elles font partie du jeu, mais doivent être introduites progressivement.


En escalade, les doigts travaillent majoritairement en isométrie. Cela signifie que le muscle développe une tension sans changer de longueur et sans qu’il n'y ait de déplacement. Lorsqu’on évalue un exercice pour les doigts, il ne faut donc pas se contenter du nombre de répétitions ou de l’intensité : la durée de chaque suspension est tout aussi importante. Autrement dit, le nombre de suspension que vous allez vous envoyer en séance est aussi important que leur durée. Et potentiellement, à la fin, il va falloir faire attention.


Comment développer la force de ses doigts en toute sécurité ?


Comme expliqué dans le premier article sur l’entraînement de la force, l’idée c’est de créer une tension maximale. Trois grandes méthodes permettent d’y parvenir :

  • Méthodes des charges maximales 

  • Méthodes des charges non maximales mais en répétant les efforts 

  • Méthodes des charges non maximales mais à vitesse maximale. 


Néanmoins nous avions détaillés ces méthodes en précisant le nombre de répétitions. Cela n’est pas suffisant. Pour les doigts il faut également préciser la taille des prises et la durée des suspensions. Voici comment nous pouvons adapter ces méthodes.


🔴 Méthode 1 : Avec une charge maximale 

🎯 Objectif : Générer une tension très élevée, proche de votre maximum (au moins 85% de votre 1RM)


📋 PROTOCOLE : SUSPENSIONS LESTÉES

🔧 Paramètres :

  • Préhension : tendue ou semi-arquée

  • Prise : 20 mm

  • Lest : suffisant pour ne tenir que 5 à 10 secondes

  • Répétitions : 2 à 4

  • Séries : 1 à 3

  • Repos : 3 min entre répétitions, 6-9 min entre séries


    ⚠️ Attention : Réservé aux grimpeurs entraînés. À éviter en reprise ou en période de fragilité tendineuse.


🟡 Méthode 2 : Avec charge non maximale et efforts répétés


🎯 Objectif : Charge plus modérée (70-80% du max) répétée plusieurs fois pour atteindre l'échec


📋 PROTOCOLE F80 (Devise et al. 2022)

  • 🔧 Paramètres :

    • Préhension : alternance tendue/semi-arquée

    • Prise : 12 mm

    • Lest : 80% du max

    • Répétitions : 12 x 10 secondes de suspension

    • Séries : 3

    • Repos : 6 secondes entre répétitions, 6 minutes entre séries


      ⚠️ Attention : Méthode très sollicitante. À utiliser avec prudence et recul.


🟢 Méthode 3 : charge non maximale et à vitesse maximale


🎯 Objectif : Solliciter la dimension nerveuse de la force


📋 PROTOCOLE : SAUTÉ-RATTRAPÉ

  • 🔧 Paramètres :

    • Exercice : Sauter pour saisir à 1 bras et maintenir 3 secondes

    • Préhension : à adapter selon le niveau

    • Prise : suffisamment bonne pour soutenir 3'' à un bras

    • Répétitions : 3 à 5 par bras

    • Séries : 1 à 3

    • Repos : 1'30-3' entre répétitions, 6-9' entre séries


Les erreurs à éviter 


🚫 Erreur n°1 : Mal se placer


Quand on force fort, on oublie souvent la base : le placement. Épaules relâchées, doigts mal positionnés… Résultat : sur-sollicitation des structures fragiles. Quand vous faites vos suspensions, prenez le temps d’engager les épaules et de placer vos doigts proprement sur la prise.


🚫 Erreur n°2 : Oublier les tendons


Vos muscles iront plus vite que vos tendons. C’est un fait. Il est donc indispensable de passer par une phase préparatoire pour renforcer les structures passives avant d’entrer dans le vif du sujet


Exemple de cycle préparatoire au développement de la force des doigts 


Avant de charger comme un mulet, pensez à construire des bases solides.


Il faut viser une intensité d’effort comprise entre 5 et 6 sur 10. (10 correspondant à notre 100%) Autrement dit vous travaillez 2 mains sur la poutre et avec les pieds au sol pour vous délester


🔄 Étape 1 : 4 suspensions tendues (4 doigts) - 10'' + 10'' repos

⏱️ Repos : 3 min

🔄 Étape 2 : 4 suspensions tendues (3 doigts) - 10'' + 10'' repos

⏱️ Repos : 3 min


🔄 Étape 3 : 4 suspensions tendues (bi-doigt) - 6'' + 6'' repos

⏱️ Repos : 3 min

🔄 Étape 4 : 4 suspensions semi-arquées (4 doigts) - 10'' + 10'' repos


La force des doigts
© David Pillet

Le côté obtus de la force


La force des doigts est un facteur essentiel pour progresser. Vous pouvez même utiliser cet outil pour vérifier si votre niveau de force est en cohérence avec vos performances. Mais attention : la force seule ne fait pas le grimpeur. La performance en escalade est bien plus complexe et subtile. Les récentes réalisations de Brooke Raboutou ou Katie Lamb en sont la preuve : bien au-delà de leurs qualités physiques indéniables, elles ont su mobiliser un facteur clé de la performance : l’audace. Et sans cet engagement mental et technique, même une excellente condition physique — y compris une force des doigts très élevées— peut ne pas suffire. On peut tout à fait retrouver les mêmes dispositions chez les grimpeurs masculins qui mobilisent parfois beaucoup plus de technique que de force comme Romain Desgranges ou Simon Lorenzi.


La technique, la tactique et le mental sont tout aussi essentiels. Il est pertinent d’associer le développement des qualités physique avec un développement technique. Surtout si on utilise des méthodes d’entraînement analytiques c’est-à-dire éloignées de l’acte de grimper. Et surtout, ne vous laissez pas berner par les promesses miracles du style « progressez en 12 semaines ». La réalité est que vos tendons mettront bien plus de temps à s’adapter. Une blessure peut ruiner des mois de travail. Alors prenez le temps, structurez votre progression, et soyez patients.


Si vous manquez de force sur un mouvement, cherchez d’abord la solution technique. La force, elle, viendra avec un entraînement bien pensé. Force à vous !

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