Escalade et leadership : Emmanuel Faber, l’engagement corps et âme
- Adrien Bataille
- 15 avr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 avr.
Respirer pour ne pas tomber, s’engager sans pouvoir reculer, assumer ses chutes : invité par Vertige Media au Salon de l’Escalade, Emmanuel Faber, ancien patron de Danone, est venu raconter comment la grimpe a façonné sa vision du leadership. Une conférence sans parachute doré, mais avec du vide sous les pieds.

C’était sans doute l’invité le plus inattendu de ce Salon de l’Escalade 2023. Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone, autant habitué aux salles de conseils d’administration qu’aux salles d’escalade, venait expliquer devant un public de grimpeuses et grimpeurs avertis pourquoi l'escalade a été déterminante dans sa façon de diriger. Cette conférence, organisée par Vertige Media, promettait un dialogue inhabituel entre deux mondes souvent éloignés : celui de la grande entreprise et celui de l’engagement vertical. Accompagné de Charlie Buffet, directeur littéraire chez Guérin, Emmanuel Faber s’est prêté au jeu avec une sincérité qui a parfois surpris, souvent touché, mais surtout rappelé à quel point grimper peut être bien plus qu'un sport : une véritable école de vie.
Respirer pour survivre : grimpe ou entreprise, même combat
Pour Emmanuel Faber, grimper n’est pas qu’une métaphore sympa à glisser en séminaire de management. Au-delà de l’image facile, la respiration est littéralement devenue pour lui une bouée de sauvetage en entreprise. La scène racontée est limpide, presque cinématographique : dans l’ascenseur, quelques secondes avant de passer en direct à la télévision pour annoncer une réorganisation douloureuse chez Danone, il n’y a plus que ce geste primaire. Respirer.
« Dans ce moment précis, la seule chose qui comptait, c’était la respiration, exactement comme avant un pas compliqué ou engagé en grimpe. »
Et l’image se précise, concrète, fragile, presque intime. Ce n’est plus l’ex-patron, mais l’homme habituellement derrière le costume qui parle. « Si je pense à ma prochaine réunion quand je grimpe, je tombe. En entreprise, si je ne suis pas totalement présent mentalement dans un moment critique, je me plante aussi. » L’aveu est fort, cru, sans détour : respirer pour lui, c’est un acte de survie, ni plus ni moins.
Revenir au réel : la grimpe comme antidote à l’illusion corporate
Emmanuel Faber ne cache pas son regard critique sur l’univers de la grande entreprise : « On vit dans des avions, on passe d’une réunion à l’autre, on oublie même dans quel fuseau horaire on est. On se coupe du réel. » Et c’est là précisément que grimper prend tout son sens, loin des clichés d’une grimpe idéalisée façon « dirigeant branché ».
« Quand je grimpe, je suis entièrement engagé : si mon esprit, mon désir, mes muscles, mes réflexes ne sont pas totalement focalisés sur la prochaine prise, je tombe. »
Ce qu’il dit en filigrane, c’est que la grimpe lui permet d’être lui-même, sans le masque du dirigeant, sans le poids de l’image, sans les faux-semblants du monde corporate. Un réel brut, concret, immédiat : diriger comme grimper, c’est choisir d’être présent à soi-même ou disparaître dans le vide.

Le Queyras, trois semaines pour une décision existentielle
Le moment clé où Emmanuel Faber décide d’accepter (ou pas) la direction générale de Danone révèle toute la dimension existentielle de son propos. L’anecdote semble légère au premier abord — trois semaines dans le Queyras pour réfléchir, ça sonne presque comme une publicité pour un séminaire nature. Mais l’enjeu est tout sauf anodin : « Était-ce juste pour multiplier encore mon salaire, accumuler du pouvoir ? »
En vérité, c’est son identité même qui est en jeu. Il ne parle pas seulement d’une décision de carrière, mais d’un choix de vie. « Je n’aurais accepté qu’à une seule condition : aller au bout de mes convictions sociales et environnementales. Sinon, ça n’aurait eu aucun sens. »
Accepter la chute : ce que l’escalade n’évite pas
Mais attention à ne pas tomber dans la caricature facile : non, l’escalade n’est pas une recette miracle pour patrons perdus en quête de sens. Emmanuel Faber le rappelle sans complaisance : en mars 2021, il est éjecté brutalement de chez Danone. Une chute nette, sans ambiguïté, douloureuse.
Mais justement, c’est là que la grimpe a une autre leçon à offrir :
« Parfois, une chute en grimpe, c’est exactement ce qu’il faut pour comprendre ce qui n’allait pas. Chez Danone, cette chute m’a permis de me réengager ailleurs, de façon encore plus radicale. »
Ce nouvel ailleurs, c’est l’ISSB, l’organisme international qu'il pilote aujourd’hui pour fixer des normes comptables climatiques mondiales. Un défi immense, dont l’ampleur rappelle ces moments suspendus sur une paroi où chaque décision, chaque geste peut tout changer. « Si on réussit, 4 000 milliards de dollars par an pourraient financer la transition écologique », rappelle-t-il avec lucidité, sans chercher à enjoliver la complexité.
Le climat : du confort du bureau à la dureté de la montagne
La réalité climatique qu’il décrit rappelle l’urgence concrète, loin du confort des métaphores : « À 3500 mètres au col du Midi, il ne gèle plus la nuit en été. Ça arrivera bientôt au printemps ou à l’automne. » Cette vérité est brutale, froide, sans échappatoire possible. Il poursuit d’ailleurs en évoquant la Californie, où les assureurs cessent progressivement de couvrir les maisons contre les incendies. « Soit on agit clairement et immédiatement, soit on est emporté par la réalité brutale. »
La prochaine longueur : assumer l’incertitude
Emmanuel Faber conclut sur une image subtile : sa nouvelle mission à la tête de l’ISSB s'apparente à une deuxième longueur en conditions hivernales. Derrière la légèreté apparente, c’est toute la dimension existentielle de l'escalade qui refait surface. Grimper ou diriger, c’est avant tout apprendre à évoluer dans l’incertitude, accepter de ne pas tout contrôler, assumer que chaque décision, chaque geste a un prix.
📽️ Vidéo complète de la conférence :
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