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« La fleur des huit montagnes » : Paolo Cognetti à la verticale du cinéma

Après avoir tutoyé les sommets littéraires avec 'Les huit montagnes', Paolo Cognetti prend cette fois la caméra pour tracer son propre itinéraire documentaire. Dans 'La fleur des huit montagnes', il nous embarque au cœur du Mont Rose, sur ses traces intimes, pour raconter une montagne qui change, des vies suspendues, et notre époque en plein vertige écologique. Un premier film brut et sensible, fidèle à l'écrivain : à la fois minimaliste et intense.


La fleur des huit montagnes
© Fiore Mio

On le savait écrivain, contemplatif, volontiers sauvage et surtout très peu porté sur la célébrité. Mais voilà que Paolo Cognetti dégaine une caméra et s’invente réalisateur. Ce documentaire, il ne pouvait pas le confier à d’autres mains que les siennes : trop personnel, trop urgent. Alors il filme comme il écrit, sobrement, patiemment, avec cette authenticité abrupte qui lui est propre. La fleur des huit montagnes (Fiore mio), prolongement intime et naturel de son roman à succès, est une invitation à marcher avec lui, à ralentir le pas, pour mieux comprendre sa montagne et peut-être, au passage, un peu mieux notre époque.


Genèse à l'italienne


Été 2022, la chaleur plombe le Val d’Aoste. Une sécheresse tenace coupe net l’eau du chalet d’Estoul où Cognetti s’est réfugié pour fuir Milan, la ville, les gens, le bruit du monde. C’est le déclic. « Ma montagne était en train de changer, elle devenait méconnaissable », explique l'auteur. Plutôt que de subir, il empoigne une caméra, enrôle Ruben Impens (le directeur photo du film tiré de son roman), embarque son chien Laki dans la combine, et part à la rencontre de celles et ceux qui vivent là-haut toute l’année. Résultat : un documentaire brut, d’une beauté à couper le souffle, sobre comme une cabane d’altitude, sans fioritures ni triche, juste l’alpin brut.


Présenté devant une foule de 8 000 spectateurs au Festival de Locarno en août 2024, puis en Italie et en Pologne (Millennium Docs Against Gravity, mai 2025), le film prend doucement sa route. Mais inutile pour l'instant de chercher à le streamer : Cognetti reste fidèle à lui-même, discret, privilégiant encore les festivals et salles obscures. Le grand public attendra début 2026.


Cognetti, des mots aux sommets


Paolo Cognetti, on l’a d’abord connu pour ses romans. Et quels romans ! Les huit montagnes, son chef-d’œuvre paru en 2016, était une ode puissante à l’amitié, au rapport complexe père-fils et à ces montagnes qui nous élèvent ou nous brisent, au choix. Son écriture délicate et nerveuse, au rythme lent, avait valu au livre une avalanche de prix : Strega en Italie, Médicis en France, deux millions d’exemplaires vendus, une adaptation cinéma récompensée à Cannes… L'homme ne faisait pas les choses à moitié.


Pas de drone ni de slow-motion pompeux, juste une caméra à hauteur d’homme et de montagne. C’est brut, c’est beau, et ça pique juste là où il faut.

Mais au fond, Cognetti a toujours été un cinéaste qui s'ignorait. « Je décris ce que je vois comme un réalisateur », disait-il déjà à la sortie de son roman. C’était écrit : tôt ou tard, il finirait derrière une caméra. Avec La fleur des huit montagnes, le voilà enfin dans son élément naturel, transformant ses visions littéraires en images bien réelles.


Un regard brut sur la montagne qui bouge


Sur l’écran, pas de grands discours sur l'écologie ni de sermons culpabilisants sur l’état du monde. Juste des hommes et des femmes authentiques, filmés au naturel, dans leur quotidien. Une gardienne de refuge, un artisan du bois, une yogi d’altitude, ou encore un cuistot népalais perdu dans les Alpes… Tous racontent leur vie suspendue, là-haut. Le film respire au rythme de leurs confidences simples mais puissantes : « Quand la montagne dira stop, elle continuera sans nous », souffle Marta, la gardienne de refuge. Cognetti l’écoute sans la contredire. On ne débat pas avec la vérité quand on la côtoie tous les jours.


Le Mont Rose, ce territoire entre Piémont et Val d’Aoste, est bien plus qu’un décor, c’est un personnage en soi.

La presse spécialisée est unanime : le film de Cognetti évite habilement le piège du documentaire esthétisant, préférant un réalisme pur, sans fard. Pas de drone ni de slow-motion pompeux, juste une caméra à hauteur d’homme et de montagne. C’est brut, c’est beau, et ça pique juste là où il faut.


Entre les lignes du livre et les images du film


Ceux qui ont lu Les huit montagnes reconnaîtront immédiatement le décor, mais surtout l'esprit. On y retrouve le même rapport intime à la montagne, cette dualité entre l’enracinement nécessaire et le besoin de partir ailleurs. Mais là où le roman suivait une fiction intimiste, entre les trajectoires croisées de deux amis, le documentaire s’ancre dans une réalité tangible, celle de Paolo Cognetti lui-même et de ses rencontres authentiques en montagne.


Cognetti y filme comme il écrit, avec sincérité, humilité et sens aigu du détail qui tue.

D’un côté, un récit d’apprentissage sensible où la montagne servait de décor métaphorique aux choix existentiels des héros. De l’autre, un regard direct, cru parfois, où la montagne n’est plus un symbole mais une réalité immédiate : glaciers fondants, villages désertés, quotidien incertain mais assumé de ceux qui restent.


Avec ce documentaire, Cognetti confirme ce qu'on pressentait depuis longtemps : le Mont Rose, ce territoire entre Piémont et Val d’Aoste, est bien plus qu’un décor, c’est un personnage en soi. Complexe, exigeant, attachant. La montagne cognettienne dans toute sa splendeur et toute sa dureté.


En attendant la suite


Pour l'heure, aucune sortie officielle en streaming ou en salle grand public en France. On le voit en festivals, ou on ne le voit pas encore. Une démarche presque provocante à l'ère du tout-immédiat. Mais Cognetti n’a jamais fait dans la facilité. Peut-être même que l’attente est voulue. Qu’il cherche, consciemment ou non, à reproduire ce sentiment de solitude patiente propre aux marcheurs d’altitude. Quoi qu’il en soit, début 2026 semble un horizon réaliste pour enfin découvrir ce film ailleurs que dans des projections confidentielles.


La fleur des huit montagnes est une parenthèse bienvenue, un geste artistique qui ne se précipite pas. Cognetti y filme comme il écrit, avec sincérité, humilité et sens aigu du détail qui tue. Si son roman était déjà culte, son documentaire s’annonce comme un compagnon nécessaire, une œuvre à part entière, un complément brut qui ne dénature rien mais enrichit tout. C'est Cognetti tel qu'on l'aime, simple et profond à la fois, sans artifices.




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