Chine : un championnat de para‑escalade aux allures de propagande
- Pierre-Gaël Pasquiou

- 17 sept.
- 6 min de lecture
À Changchun, la Chine a organisé son tout premier championnat national de para-escalade. Soixante-sept athlètes, venus de quinze provinces et régions ainsi que de Hong Kong, se sont affronté·es en difficulté. Derrière l’événement sportif, un message : transformer une expérimentation en filière compétitive et préparer les Jeux paralympiques de Los Angeles 2028. Avec un récit exaltant, forcément très politique. Explications.

On pourrait en rester à l’image de carte postale : des baudriers, des encouragements, des podiums bien cadrés. Mais à Changchun, ce n’est pas seulement une compétition qu’on a vissée au mur, c’est une volonté politique qui s’est affichée en grand format. Quand Pékin décide de donner un label national à une pratique, ce n’est pas l’élan d’un club motivé, c’est une directive culturelle. Et quand le récit nous parvient exclusivement via la presse d’État, l’enthousiasme raconté en dit autant sur l’événement que sur la mise en scène.
De l’atelier à la filière
Il y a encore peu, la para-escalade en Chine demeurait dans le domaine des démonstrations et des stages : quelques murs prêtés, des coach·es bénévoles, des athlètes invité·es à toucher les prises... Autant d'éléments qui dessinaient une discipline en gestation, sans réelle ossature. Puis est venu le moment de transformer le laboratoire en évènement national. Le 15 septembre, Changchun a accueilli la première édition nationale de para-escalade officielle, avec 67 athlètes venu·es de 15 provinces et régions, plus Hong Kong. Co-organisateurs : la Fédération chinoise des personnes en situation de handicap, le Comité paralympique, la fédération du Jilin et l’Université de Changchun. Quatre jours de compétition, deux groupes bien dessinés — déficience visuelle d’un côté, motrice de l’autre — et un format unique : la difficulté en moulinette.
Pour la Chine, organiser un championnat, c’est aussi mettre en scène sa capacité à codifier.
Et parce qu’on ne bâtit pas une filière sur du papier froissé, le Jilin a mis le paquet en préparation. Avant l’ouverture, des campagnes de promotion s'affichaient partout dans le pays avec des arbitres « d’élite » sélectionné·es, formé·es, et pour chaque athlète ou entraîneur·e, des briefings techniques détaillés. Liu Xun, coach de l’équipe de Jilin, souligne que certain·es grimpeur·euses à déficience motrice doivent « briser le schéma des trois points fixes et un point mobile ». Dit autrement : réapprendre les gestes, inventer une autre gestuelle, alors que les athlètes malvoyant·es se fient presque exclusivement au toucher et aux directives orales.
Difficile de ne pas voir dans ces détails le signal d’un changement de nature. Ce n’est plus seulement « venez essayer », c’est « venez concourir selon des règles claires ». Le mot « filière » ne paraît plus exagéré. D’autant qu’on croise, à Changchun, des adolescents comme Fang Yuheng, 15 ans, cité par la presse locale : après seulement deux mois d’entraînement, qui expliquait « espérer un entraînement plus complet » et avoir le désir de « devenir plus courageux ».
La voix comme fil d’Ariane
Ici, la moulinette est la règle : elle assure la sécurité et met tout le monde sur un pied d’égalité. Pour les athlètes malvoyant·es, le topo passe par la voix. Depuis le sol, les coach·es dictent les mouvements, et le geste se construit mot après mot dans une conversation entre le mur et le sol.

Cet usage de la voix et du toucher définit une autre manière de grimper : explorer les prises à la main avant le départ, écouter des indications précises venues d’en bas, corriger en permanence. Le Hongkongais Lai Chi-wai, figure majeure du para-climbing asiatique, l’a résumé simplement : « Le charme de la compétition réside dans le fait de se dépasser sans cesse. Au fil du processus, il faut planifier ses points d’appui et ajuster à tout moment ». Tracer une voie, c’est prévoir — mais aussi accepter de la réécrire à mesure que le corps impose ses propres règles.
Changchun, vitrine et coulisses
Le choix de Changchun n’a rien d’un hasard. L’université locale, hôte de la compétition, abrite un College of Special Education reconnu nationalement, symbole d’accessibilité autant que d’expertise. Le site offrait tout ce qu’il fallait : des murs déjà rodés aux compétitions, une logistique capable d’accueillir délégations et officiels, et ce vernis académique qui confère à l’événement une légitimité institutionnelle. Pas une salle bricolée pour l’occasion, mais un décor calibré, pensé pour être impeccable devant les caméras.
« Nous espérons voir des athlètes chinois en situation de handicap sur les murs d’escalade des Jeux paralympiques de Los Angeles »
La cérémonie d’ouverture, racontée par les médias officiels, ressemblait d’ailleurs à une leçon de protocole : présence conjointe de la Fédération des personnes en situation de handicap, du Comité paralympique, des autorités provinciales et de l’université. « Cent neuf personnes, incluant athlètes, entraîneur·es et chefs d’équipes, étaient présentes à la cérémonie d’ouverture », détaillait un communiqué universitaire. On pouvait presque croire à un congrès autant qu’à une compétition. Et c’est bien ça l’intention : pour la Chine, organiser un championnat, c’est aussi mettre en scène sa capacité à codifier. Chaque briefing, chaque test d’assurage, chaque protocole arbitral se transforme en illustration vivante d’une gouvernance qui ne laisse rien au hasard. Tout est là, condensé dans quelques chiffres : un premier championnat, 67 athlètes, 15 équipes, un format unique en moulinette. Et en toile de fond, une ambition claire comme un horizon : accrocher Los Angeles 2028. Mais tout cela est raconté par la presse officielle, qui transforme chaque prise en symbole, chaque briefing en preuve de gouvernance. On n’assiste pas seulement à une compétition, mais à un récit politique mis en scène, où le sport sert de corde pour hisser l’image d’un pays.
Los Angeles en ligne de mire
Impossible de manquer l’horizon : Los Angeles 2028. Depuis l’annonce de l’intégration de l’escalade paralympique, la Chine n’a cessé de rappeler sa volonté de s’y inscrire. Le Centre de gestion des sports pour personnes en situation de handicap l’a dit sans détour : « Nous espérons voir des athlètes chinois en situation de handicap sur les murs d’escalade des Jeux paralympiques de Los Angeles ». Dans d’autres contextes, on parlerait d’objectif ou de défi. Ici, le mot choisi est « espoir ». Mais chacun sait qu’en Chine, l’« espoir » est rarement une figure de style : il s’écrit comme une étape d’un plan quinquennal.
En Chine, la presse officielle martèle que l’inclusion ne se limite pas à un slogan, elle s’incarne dans des procédures, des arbitres formé·es, des protocoles imposés.
Le calendrier ressemble à une démonstration de stratégie. À peine les cordes repliées à Changchun, les projecteurs s’allument déjà à Séoul, où s’ouvrent les Championnats du monde de para-escalade. Cinq jours de battement, pas plus, comme si la Chine avait voulu caler son premier rendez-vous national exactement en amont du rendez-vous mondial. Un effet d’entraînement parfait : montrer que le pays existe déjà sur la scène, qu’il a les murs, les arbitres, les athlètes… et désormais le calendrier. En filigrane, le message est clair : « Nous ne découvrons pas, nous nous préparons ».
L’effet miroir pour l’Europe
Comparée à la Chine, l’Europe a de l’avance : catégories codifiées, circuit international rodé, staff formé, championnats qui ne datent pas d’hier. Mais l’effet miroir fonctionne à l’envers : en Chine, la presse officielle martèle que l’inclusion ne se limite pas à un slogan, elle s’incarne dans des procédures, des arbitres formé·es, des protocoles imposés. Le storytelling est évidemment calibré, mais le rappel est utile : l’accessibilité n’existe vraiment que lorsqu’elle devient une norme contraignante, et non un supplément d’âme.

Et si l’on a le courage de se regarder dans la glace : combien de salles françaises disposent aujourd’hui d’un protocole clair pour accueillir un·e grimpeur·euse malvoyant·e ? Combien testent réellement leurs licencié·es sur la capacité à guider par la voix, ou sur l’adaptation d’une gestuelle pour une déficience motrice ? Pas beaucoup. À Changchun, l’État a peut-être monté une vitrine impeccablement éclairée. Mais une vitrine, même officielle, finit toujours par refléter celui qui la regarde. Et la question qui rebondit de ce miroir est essentielle : voulons-nous que l’inclusion reste une bonne intention, ou qu’elle devienne une règle du jeu, avec des check-lists aussi incontournables que le baudrier ou l’assurage ?
Alors, opération de communication ou véritable structuration ? Sans doute les deux. La Chine a clippé sa première dégaine nationale. Le prochain point se joue à Séoul, dans l’arène mondiale, et celui d’après à Los Angeles, où il faudra plus que des discours calibrés : il faudra des résultats, des podiums, des visages. C’est là, et seulement là, que l’histoire cessera d’être une vitrine pour devenir une voie gravée dans le grand topo paralympique.














