Championnats du monde d'escalade 2025 : le show et le froid
- Matthieu Amaré

- 16 sept.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 sept.
Après une saison 2025 marquée par l'absence des stars et les questionnements sur l'attractivité du circuit IFSC, les Championnats du Monde de Séoul (21-28 septembre) s'annoncent comme le grand test de vérité de l'escalade de compétition. Entre les stars qui reviennent, les espoirs qui grimpent et les 1001 questions qui se posent, est-ce que les Mondiaux sont bel et bien repartis pour le show ?

Le hall d'entrée du KSPO DOME de Séoul résonne déjà des échos de préparation. Dans quelques jours, du 21 au 28 septembre, ce complexe du parc olympique de la capitale accueillera ce que l'escalade sportive fait de plus prestigieux : ses Championnats du Monde bisannuels. Pourtant, il y a encore quelques mois, on aurait pu légitimement se demander si cet événement susciterait encore l'engouement d'antan. Car 2025 restera comme l'année où les plus grandes stars ont déserté le circuit, où les podiums ont semblé tourner à vide, où certains des plus fervents supporters ont commencé à décrocher.
Séoul l'after ?
Mais voilà que septembre approche, et avec lui, un phénomène curieux : tous les absents de la saison reviennent soudainement au bercail. Janja Garnbret, qui n'a disputé que deux Coupes du Monde cette année, sera là. Jakob Schubert, invisible depuis sa blessure, a fait son retour à Koper pour se préparer. Même Adam Ondra, pourtant critique envers l'évolution du circuit, s'alignera au départ des voies coréennes. Cette convergence subite interroge : les Championnats du Monde conservent-ils encore cette aura particulière qui fait courir les champions ? Ou assistons-nous plutôt au dernier sursaut d'une discipline qui peine à retrouver ses marques après l'euphorie olympique ?
« Où sont passées la narration et l'histoire ? »
Un fan d'escalade sur le réseau social, Reddit.
Une chose est sûre : les organisateurs sud-coréens n'ont pas lésiné sur les moyens. Avec un programme étalé sur huit jours et des finales programmées en prime time pour toucher une audience internationale, Séoul 2025 voit les choses en grand. Et ce sont les épreuves de para-escalade qui ouvriront les hostilités les 20 et 21 septembre. À date, impossible d’avoir les chiffres exacts : certains évoquent plus de 400 athlètes issus d’une cinquantaine de nations, quand des médias coréens parlent même de plus de 1 000 participants venus de 60 pays. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : il y aura du monde.
Au regard de la saison régulière, le casting, enfin, s'annonce exceptionnel. Cela dit, ce dernier cache peut-être une réalité plus crue. Car si tout le monde revient en Corée, n'est-ce pas aussi parce que tout le monde était parti ?
Quand l'escalade chante le blues
En juillet dernier, la vice-présidente de l'IFSC (International Federation of Sport Climbing, ndlr), nous le confiait sans ambage : « Depuis le début de l'année, toutes les étapes de Coupe du monde sont un succès ». Naomi Cleary évoquait même « une audience TV décuplée, notamment grâce aux retransmissions de CCTV (la chaîne publique n°1 en Chine, ndlr) ». Ces chiffres, impossibles à vérifier indépendamment, contrastent pourtant avec la réalité du terrain. Sur les forums spécialisés ou les réseaux sociaux, certains fans ne cachent plus leur déception. « Les compétitions de cette année sont juste... mauvaises », résume un utilisateur de Reddit. « Où sont passées la narration et l'histoire ? », s'interroge un autre. Cette dissonance entre communication officielle et ressenti du public révèle un malaise plus profond. L'escalade de compétition traverse sans doute sa première vraie crise de croissance depuis son entrée au programme olympique. Et les Championnats du Monde arrivent à point nommé pour servir de test de vérité.
Le cas Janja Garnbret illustre parfaitement cette stratégie du « tout ou rien ». La Slovène, double championne olympique et détentrice de 49 victoires en Coupe du Monde, a volontairement boudé la quasi-totalité de la saison 2025. Seules deux apparitions, à Innsbruck et Koper, pour rappeler qu'elle reste la référence absolue. « Les athlètes gèrent désormais leur performance en tenant compte du cycle de quatre ans », justifiait Naomi Cleary à Vertige Media. Une explication qui sonne comme un euphémisme quand on connaît l'ampleur du phénomène. Brooke Raboutou, médaillée d'argent olympique, a elle aussi fait l'impasse sur la saison pour se concentrer sur l'extérieur. Adam Ondra et Alex Megos ont suivi le même chemin.
L'inflation des compétitions produit les mêmes effets : une baisse de la qualité narrative du sport qui explique en partie pourquoi tant d'athlètes préfèrent zapper la saison régulière
Cette tendance n'est pas propre à l'escalade. John John Florence, légende du surf, a également renoncé au circuit WSL 2025, provoquant l'ire des médias spécialisés. Sarah Sjöström, superstar de la natation, a fait de même. Le « post-Olympic blues » frappe tous les sports olympiques, mais l'escalade semble particulièrement touchée. Le retour programmé de ces stars pour Séoul révèle une hiérarchisation claire des priorités. Les Coupes du Monde ? Dispensables. Les Championnats du Monde ? Incontournables. Cette sélectivité dit quelque chose de profond sur la perception qu'ont les athlètes de leur propre circuit.
Pour comprendre l'enjeu de ces Championnats du Monde, il faut d'abord mesurer l'ampleur du creux traversé par l'escalade de compétition en 2025. Les symptômes ? Multiples et convergents. D'abord, l'imprévisibilité des résultats. Jakob Schubert, avant sa blessure, avait pointé du doigt ce qu'il appelait le « syndrome du cirque » : « Si un grimpeur comme Sohta Amagasa gagne une Coupe du monde à Innsbruck et ne passe même pas en demi-finale à la suivante, c'est étrange. On perd en lisibilité », disait-il. Une critique qui visait directement l'évolution des styles d'ouverture, devenus selon lui trop aléatoires.
Ensuite, les nouveaux formats introduits post-JO ont créé plus de confusion que d'amélioration. En bloc, le passage de 20 à 24 qualifiés en demi-finale, puis de 6 à 8 en finale, devait théoriquement offrir plus de spectacle. Dans les faits, cela a surtout dilué l'intensité dramatique des tours éliminatoires. Enfin, la multiplication des étapes (de 9 en 2024 à 14 en 2025) a paradoxalement affaibli le prestige de chaque événement. L'inflation des compétitions, dont font également l'objet d'autres disciplines, produit les mêmes effets : une baisse de la qualité narrative du sport qui explique en partie pourquoi tant d'athlètes préfèrent zapper la saison régulière.
Le retour des enfants prodiges
Reste l'événement devant nous, le plus important de l'année. Et sa capacité à évacuer les questions qui ont précédé son organisation. Car comme si de rien n'était, ces Championnats du Monde 2025 s'annoncent pourtant d'un niveau exceptionnel. La hiérarchie établie lors des dernières compétitions dessine des contours assez précis. Le retour des enfants prodiges vient surligner au feutre indélébile des épreuves qui promettent de la sueur et des larmes.

Chez les femmes, Janja Garnbret part favorite toutes disciplines confondues. Sa démonstration à Koper en début de mois a rappelé son statut d'alien. Mais la concurrence s'organise. Chaehyun Seo, portée par le public coréen, Erin McNeice, lauréate du classement général difficulté 2025, et Annie Sanders, révélation de l'année en bloc, peuvent prétendre faire trembler la reine de la discipline. Côté masculin, l'incertitude règne davantage. Le trio Sorato Anraku-Toby Roberts-Alberto Ginés López semble tenir la corde. L'Espagnol, vainqueur du général difficulté sans avoir gagné une seule étape, incarne cette nouvelle génération de grimpeurs ultra-réguliers. Face à lui, Anraku apporte sa puissance de feu (quatre fois en première place sur le podium cette saison), tandis que Roberts mise sur son expérience olympique récente. L'inconnue Jakob Schubert pourrait redistribuer les cartes. Son retour à Koper (5ème place) a montré qu'il restait dans le coup. Et à 34 ans, l'Autrichien joue probablement sa dernière carte mondiale. De quoi donner aux épreuves une saveur toute particulière.
L'escalade de compétition saura-t-elle retrouver cette alchimie mystérieuse qui transforme le sport en spectacle et la performance en épopée ?
Le rêve Bleu
De son côté, l'équipe de France aborde ces Championnats avec un bilan 2025 en demi-teinte. Certes, les multiples podiums décrochés lors de la saison et le classement général témoignent d'une certaine vitalité. Oriane Bertone, Naïlé Meignan, Manon Hily, Mejdi Schalck, Max Bertone et Sam Avezou ont montré qu'ils pouvaient rivaliser avec les meilleurs. Mais cette moisson cache une réalité moins reluisante.
Les espoirs français pour Séoul se concentrent sur quelques noms. En bloc, Oriane Bertone et Naïlé Meignan peuvent viser le podium, à condition de retrouver leur meilleur niveau. En difficulté, Sam Avezou et Manon Hily ont prouvé qu'ils pouvaient inquiéter les favori·es. Max Bertone, médaillé d'argent à Bali, complète un contingent français qui a quelques opportunités mais zéro certitude. Alors face aux armadas japonaise et slovène, la France devra compter sur la réussite de ses « coups » pour espérer caresser le rêve qu'a enlassé Mika Mawem, il y a deux ans, aux Mondiaux de Berne.
Raviver la flamme
Au-delà des enjeux sportifs, ces Championnats du Monde revêtent une dimension symbolique immense pour l'escalade de compétition. Après une année de questionnements, de critiques et d'absences, Séoul doit prouver que la discipline conserve sa capacité à émouvoir et à rassembler. Les ingrédients semblent réunis : un plateau exceptionnel, des infrastructures à la hauteur, un public local acquis à la cause - la Corée du Sud compte plusieurs prétendants au podium. Reste à voir si cette concentration de talents suffira à raviver la flamme.
Car derrière les médailles et les chronos, c'est bien l'avenir du circuit IFSC qui se joue sur les murs de Séoul. L'escalade de compétition saura-t-elle retrouver cette alchimie mystérieuse qui transforme le sport en spectacle et la performance en épopée ? Ou confirmera-t-elle qu'elle traverse une crise de croissance dont elle peine à sortir ?
La réponse tombera dans quelques jours. En attendant, les grimpeuses et grimpeurs s'échauffent, les ouvreuses et ouvreurs peaufinent leurs créations, et les organisateurs coréens espèrent que leur spectacle marquera le grand retour de l'escalade sous les projecteurs. Après tout, c'est sans doute à cela que servent les Championnats du Monde : rappeler pourquoi on est tombé amoureux d'un sport.














