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Anaïs Bricheux, la chirurgienne textile qui rafistole la montagne

Dernière mise à jour : 12 févr.

Dans la roulotte Worn Wear, ça sent le tissu usé et la colle à textile. La machine à coudre crache un claquement sec. Anaïs, assise derrière son établi improvisé, lève à peine les yeux. Concentrée. Une veste en souffrance entre les mains, elle tire le fil, suture le tissu.


Au début, elle reste en retrait, cachée derrière son travail. On sent qu’elle préfère laisser parler ses mains plutôt que les mots. Puis, à force de tirer sur le fil des souvenirs, elle se détend. Et là, le tissu se relâche. L’histoire se déroule, les anecdotes sortent. Sa trajectoire, ses doutes, ses kilomètres avalés avec la roulotte Patagonia. Et on comprend vite qu’Anaïs ne se contente pas de réparer des vêtements. Elle rafistole des histoires, elle prolonge des vies textiles.


Anaïs Bricheux Patagonia
© Vertige Media

De la com’ aux aiguilles : recoudre sa propre trajectoire


Anaïs n’a pas toujours été couturière. Avant, elle a tenté la communication. Un BTS, des concepts, des stratégies de marque bien ficelées. Et puis, rapidement, le textile l’a rattrapée.


« J’avais besoin d’un métier qui se touche, qui se voit, qui se ressent. »

Alors, elle part. Canada, Nouvelle-Zélande, quelques détours en quête de soi. L’itinérance lui colle à la peau, mais il faut bien rentrer. Là, elle se souvient des mains de sa mère et de sa grand-mère, celles qui cousaient avant elle. Pourquoi pas elle ?


Elle passe un CAP Couture, monte son atelier. Six mois plus tard, elle croise la route de Patagonia. Un hasard cousu main. La marque cherche une couturière pour accompagner sa roulotte. Elle embarque. Neuf ans plus tard, elle est toujours sur la route.


ICE Climbing Écrins : rafistoler plutôt que remplacer


Cette semaine, c’est sur l’ICE Climbing Écrins qu’elle a posé ses bobines de fil. La roulotte Worn Wear est là, plantée sur le village du festival. Dedans, c’est une fourmilière textile : vestes éventrées, pantalons en fin de course, zips fatigués.


75 réparations en deux après-midis. Un marathon du fil et de l’aiguille.


« Si j’atteins les 110 en trois jours, je suis contente. C’est mon petit record perso. »

Nous, on s’installe à côté. On la regarde faire. Son travail est précis, rapide, mécanique. Mais au fil des échanges, on comprend qu’il y a bien plus que du tissu dans ce métier-là.


Worn Wear Patagonia Ecrins
© Vertige Media

Doudounes tatouées et vestes pleines de cicatrices


Le tissu, c’est un carnet de voyage. Chaque accroc, une histoire. Mais en France, on aime les souvenirs discrets.


« Les gens veulent des réparations invisibles. Moi, j’aimerais qu’on assume les cicatrices des vêtements. Du jaune, du bleu turquoise, du orange… Un patchwork d’aventures ! »

Parfois, il y en a qui osent. Comme ce type qui lui laisse une doudoune jaune en lui disant de s’amuser. Elle improvise. Des bandes multicolores sur les manches, un patchwork joyeux. Une réparation qui se voit, qui revendique l’accroc.


Quatre ans plus tard, en Bretagne, la roulotte Worn Wear s’arrête sur un autre événement. Au milieu de la foule, un visage familier. Un homme s’approche, sourire en coin, et tend la même doudoune : « Anaïs, c’est toi qui as fait ça, non ? »


Elle reconnaît son travail avant même de lever les yeux. Elle l’avait presque oubliée, cette veste. Lui, non. Il la porte toujours, rafistolée mais fière, avec ses couleurs vives et ses cicatrices assumées.


« Ça, c’est un vrai kif. Voir que ce que tu fais dure et que ça compte pour quelqu’un. »

Dans la roulotte, pendant qu’elle nous parle, ses mains continuent de travailler. Un pantalon suture après suture, une veste recousue sans même qu’elle y pense.


Le dernier atelier technique du coin ?


Le problème, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’Anaïs Bricheux en France. La réparation textile outdoor, surtout sur du Gore-Tex ou du duvet, est un savoir-faire en voie d’extinction.


« On doit être cinq en France à bosser proprement sur du Gore-Tex. Et pourtant, la demande explose. »

Elle le sait, elle est précieuse. Et elle bosse beaucoup. Entre son atelier à Chamonix et les tournées Worn Wear, elle gère 80 à 100 vêtements par mois. Patagonia l’a même recrutée pour gérer tout le SAV du magasin de Chamonix, l’un des plus gros centres de réparation textile outdoor en Europe.


Worn Wear Patagonia
© Vertige Media

Un rêve américain et une route encore longue


Anaïs n’a pas prévu de raccrocher ses ciseaux. Son rêve ? Faire la tournée Patagonia aux États-Unis, là où tout a commencé.


« Il faut que je me penche sur la question, mais ça trotte dans ma tête. »

Elle sourit. Elle n’est plus la même que lorsqu’on est entrés dans la roulotte. Plus détendue, plus à l’aise. Comme si, en parlant d’elle, elle avait recousu son propre parcours sous nos yeux.


On la laisse continuer. Il y a encore des vestes à sauver, des souvenirs à réparer. Parce qu’un bon vêtement, c’est comme une belle histoire : ça mérite toujours une deuxième chance.

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