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L’UIAA sonne la fin de la récré : en alpinisme, on ne joue pas avec l’éthique

Photo du rédacteur: Pierre-Gaël PasquiouPierre-Gaël Pasquiou

Le sommet, tu l’as gravi ou t’es monté en ascenseur ? Dans l’escalade comme en alpinisme, la question du comment a toujours eu plus d’importance que le combien de mètres ou le combien de likes. Mais aujourd’hui, entre ascensions guidées où l’effort s’achète, images calibrées pour l’algorithme et récits où le storytelling grimpe plus vite que le grimpeur, l’éthique est en voie de précarisation.


UIAA déclaration

L’UIAA (Union Internationale des Associations d'Alpinisme) a donc dégainé une mise à jour de sa Déclaration du Tyrol, vieille de vingt ans, qui commençait à sentir le refuge trop chauffé. L’objectif ? Rappeler que l’alpinisme et l’escalade sont des jeux où les règles ne sont pas imposées d’en haut, mais dictées par la conscience et l’honnêteté.


Parce qu’à force de jouer avec les lignes, certains ont fini par gommer la frontière entre performance et mise en scène. Trop de zones d’ombre, trop de légendes enjolivées, trop de sommets conquis à coup de raccourcis bien ficelés. L’UIAA ne moralise pas, mais elle recadre. L’alpinisme n’a jamais été une discipline où l’on triche – et si l’on commence à ne plus distinguer l’effort de la mise en scène, alors autant dire que l’on joue à un tout autre sport.


UIAA, grand ordonnateur de l’alpinisme moderne


L’Union Internationale des Associations d'Alpinisme, c’est l’institution qui, depuis 1932, veille à ce que la verticalité ne parte pas complètement en vrille. Elle fédère plus de 90 organisations nationales, de la FFME en France à l’American Alpine Club, et s’occupe de tout ce qui structure la discipline : les normes du matériel, les règles de sécurité, les principes de l’escalade sur glace.


Elle avait déjà tenté un premier cadrage avec la Déclaration du Tyrol en 2002, un texte qui posait les bases d’un alpinisme responsable et respectueux des montagnes. Mais depuis, l’ère du like et des sommets sur commande a bouleversé le jeu. Les expéditions commerciales ont rendu l’Himalaya accessible à ceux qui peuvent payer leur effort au prix fort, les réseaux sociaux ont transformé les ascensions en vitrines, et la frontière entre la légende et l’enjolivement a fini par s’effriter.


Il fallait donc remettre l’éthique au centre du jeu.


Dire ce que l’on fait, faire ce que l’on dit


Cette nouvelle déclaration repose sur une évidence trop souvent oubliée : en alpinisme, le style compte autant que le sommet.


Grimper, ce n’est pas juste empiler des mètres, c’est choisir une manière de les parcourir. Et si l’on commence à édulcorer les récits, à gommer les cordes fixes, à taire l’usage de l’oxygène ou l’intervention d’un guide, alors on falsifie autant l’histoire que la performance.


L’UIAA ne cherche pas à imposer une échelle de valeurs, mais à remettre un peu d’ordre. L’autonomie, l’engagement, le renoncement font partie intégrante de la pratique. L’omission volontaire, elle, n’a jamais fait partie du jeu.


Si une ascension s’est faite avec assistance, elle a autant de valeur qu’une autre – à condition que ce soit dit. Le problème, ce n’est pas de sauter une étape, c’est de faire croire qu’on est monté à la force des mollets. Mentir sur le style, c’est trahir le sport.


L’ère du storytelling vertical


Le grand changement de cette mise à jour, c’est l’apparition d’un nouvel acteur : les réseaux sociaux.


Là où l’escalade se racontait jadis à coups de topos manuscrits et de récits de bivouacs glacés, elle s’expose aujourd’hui en images léchées, vidéos calibrées et légendes à suspense. Les alpinistes d’hier griffonnaient des carnets, ceux d’aujourd’hui optimisent leurs hashtags.


L’UIAA ne joue pas les grincheux technophobes. Mais elle rappelle une évidence : une ascension, ce n’est pas qu’une photo de sommet bien cadrée. C’est aussi la fatigue, la peur, le doute, les erreurs de jugement, le vent qui claque trop fort et les retours bredouilles. Et tout cela ne rentre pas toujours dans le cadre carré d’un post Instagram.


Là où la déclaration de 2002 ne voyait que l’exploit brut, celle de 2025 intègre le fait que l’image ne reflète pas toujours la réalité. Une ascension, ce n’est pas une mise en scène, et une montagne, ce n’est pas un décor.


Expéditions commerciales : le sommet clé en main


L’autre point sensible de cette déclaration, c’est le business du sommet garanti.

L’alpinisme a toujours été un jeu de patience et d’incertitude, mais aujourd’hui, il tend à se transformer en circuit touristique encadré. Sur l’Everest, les embouteillages sont plus longs qu’un samedi noir sur l’A7. Au Mont-Blanc, les places en refuge s’arrachent plus cher qu’un concert de rock. En Patagonie, certaines voies mythiques sont devenues des attractions après un passage sur Netflix.


L’UIAA ne prône pas un retour en arrière, mais pose une question simple : si l’on gomme toute la difficulté, si tout est prémâché, que reste-t-il de l’aventure ?


L’éthique environnementale, ou la montagne sans empreintes


Impossible, en 2025, de parler d’éthique sans évoquer l’impact écologique.


L’UIAA rappelle quelques principes de base. Voyager plus lentement, privilégier le train à l’avion quand c’est possible. Consommer moins de matériel, éviter la surenchère marketing qui pousse à renouveler son matos chaque saison. Respecter les fermetures de sites pour la faune, utiliser moins de magnésie, ne pas multiplier les spits quand ce n’est pas nécessaire.


L’alpinisme et l’escalade sont des disciplines qui se vivent dans des lieux qui ne sont pas éternels. À quoi bon grimper si c’est pour laisser derrière soi une montagne qui ne ressemble plus à ce qu’elle était ?


Grimper, c’est choisir un rapport au monde


Cette déclaration n’a pas vocation à imposer une éthique rigide ou à sanctionner ceux qui racontent leurs ascensions avec un peu trop de lyrisme. Mais elle fixe un cadre, une ligne de crête entre honnêteté et mise en scène, entre ascension et spectacle.


L’escalade et l’alpinisme ne sont pas des sports où l’on triche, mais où l’on choisit son rapport au risque, à l’engagement, au renoncement. Là où certains voient un simple sport, d’autres y trouvent une forme de philosophie.


Alors, si tout ce qui compte, c’est de dire qu’on a "fait" un sommet, autant s’y rendre en drone et récupérer un selfie généré par IA. L’effort, le doute, l’échec et la vérité sont ce qui donnent du sens à la pratique.


Sans ça, autant rester chez soi.

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