Safe Sport : l’escalade autrichienne muscle sa prévention
Si l’escalade a toujours été un sport où l'on grimpe haut, il est aussi temps de poser le pied sur terre. En Autriche, le Kletterverband Österreich (KVÖ), la Fédération Autrichienne d’Escalade, s’attaque de front à un sujet glissant : les abus, qu’ils soient physiques, psychologiques ou sexuels, dans le milieu du sport. Et oui, même dans un sport où tomber fait partie du jeu, certains coups sont plus durs que d’autres.

Avec son concept Safe Sport, le KVÖ entend bien hisser l’éthique aussi haut que ses murs d’escalade. Alors, pionniers éclairés ou simples suiveurs d’un mouvement inévitable ? Spoiler : c’est un peu des deux.
En haut de la voie, le vertige des responsabilités
L’idée de protéger les jeunes et les athlètes contre les abus n’a rien de révolutionnaire sur le papier, mais la mise en pratique, elle, ressemble parfois à une grande voie en terrain d’aventure : incertaine, périlleuse, et exigeant beaucoup de coinceurs (de rigueur, ici).
La Fédération Autrichienne d’Escalade a pourtant décidé de poser ses protections de manière méthodique. Son concept de prévention et de protection, développé avec l’aide d’experts comme la psychologue Simone Tscherntschitz, se veut exhaustif. Workshops, formations et codes de conduite sont au programme, avec un objectif clair : éradiquer toute forme d’abus dans un sport où la proximité physique – parage, assurage, séances individuelles – fait partie du quotidien.
L’enjeu est de taille : comment maintenir la confiance entre entraîneurs, encadrants et athlètes dans un sport qui demande de la collaboration et une interaction physique fréquente ? La réponse du KVÖ : une charte claire, des formations continues, et un point de contact indépendant pour les signalements. À écouter le directeur sportif Heiko Wilhelm, il ne s’agit pas de poser un pansement sur une plaie ouverte, mais bien d’instaurer une nouvelle culture : celle de la sécurité, de l’inclusion et du respect.
Protéger les enfants, protéger le sport
Pourquoi maintenant, et pourquoi l’Autriche ? Le sujet du Safe Sport s’invite depuis quelques années dans les débats sportifs à l’échelle internationale, porté par des affaires qui ont secoué le monde entier, de la gymnastique américaine à certaines disciplines plus confidentielles. Dans le cas de l’escalade, il était urgent de prendre la corde au bon bout.
Car derrière l’image d’un sport libre et exaltant, les risques sont bien réels, et les zones grises nombreuses. Dans un sport où le contact physique est parfois inévitable et où la hiérarchie entre entraîneurs et grimpeurs est souvent tacite, les abus peuvent passer inaperçus – ou pire, être ignorés.
La KVÖ n’a pas attendu un scandale majeur pour agir, mais a préféré jouer la carte de la prévention. Le sujet avait déjà été abordé en janvier 2024 lors du forum des entraîneurs de la fédération, et il semble que les discussions n’aient pas traîné en longueur. Quelques mois plus tard, un concept détaillé voyait le jour, avec des recommandations précises comme le « principe des 6 yeux » (toujours être en présence de plusieurs témoins lors des séances) ou l’interdiction de contacts physiques non nécessaires.
Escalader l’éthique : un modèle à suivre ?
Mais alors, le Safe Sport autrichien est-il un modèle exportable ? Oui et non. Si l’intention est louable, sa mise en œuvre reste à surveiller. Ce n’est pas tant le concept qui pose question – personne ne contestera l’idée de protéger les enfants et les jeunes – mais bien la capacité à l’appliquer sur le terrain. Former les entraîneurs, sensibiliser les parents, et établir une ligne claire entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas : tout cela demande des moyens, humains comme financiers.
Et puis, soyons francs : ce n’est pas parce qu’on imprime une charte et qu’on organise trois séminaires qu’on élimine les comportements problématiques. L’escalade, comme tout sport, a ses zones d’ombre, et il faudra plus qu’un vernis éthique pour les éclaircir. Le véritable test, ce sera la réaction de la fédération face aux premiers cas signalés. La promesse est claire : tolérance zéro. Mais entre la parole et les actes, il y a souvent un vide – celui-là même que le KVÖ espère combler.
La France à la traîne, mais pas immobile
Et chez nous alors ? Si l’Autriche a pris de la hauteur avec son concept Safe Sport, la France semble encore hésiter sur la première prise. La Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade (FFME), bien que consciente des risques, avance à un rythme plus lent.
Ces dernières années, des initiatives ont vu le jour, notamment après quelques affaires sensibles qui ont fait trembler les murs. On parle ici de formations pour les encadrants, de fiches réflexes issues du Ministère des Sports, et même d’une adresse dédiée pour signaler les abus (signal-violence@ffme.fr). Mais soyons honnêtes : ça reste timide.
Des ligues régionales comme celle d’Auvergne-Rhône-Alpes prennent le relais en diffusant des outils de prévention. Et il y a bien une volonté affichée de sensibiliser les clubs, de poser des règles, et d’éduquer les pratiquants. Pourtant, la France n’a pas encore cet outil global, complet et structuré qu’est le Safe Sport autrichien. La FFME s’accroche à la paroi, mais sans topo clair. Une politique de prévention digne de ce nom reste à inventer, et pourquoi pas en s’inspirant des voisins alpins ?
Une éthique à réinventer
L’initiative du KVÖ n’est pas qu’un geste politique ou médiatique ; c’est un rappel que l’escalade n’est pas exempte des travers du sport en général. La proximité physique, les rapports hiérarchiques implicites, et la confiance presque aveugle qu’implique ce milieu peuvent être des forces comme des failles. Et si l’Autriche grimpe en tête, d’autres pays, France incluse, devront suivre pour garantir un espace sûr à tous les grimpeurs.
Ce n’est pas une question d’image ou de marketing, mais de survie pour un sport qui se veut collectif, inclusif et respectueux. Alors que l’escalade continue son ascension en popularité – des salles bondées aux médailles olympiques – la question de l’éthique et de la sécurité doit rester au sommet des priorités. Un sommet que chacun atteindra à son rythme, mais avec un impératif : y arriver ensemble, et en sécurité.