Robert Redford : l'homme qui murmurait l’escalade
- Pierre-Gaël Pasquiou

- 18 sept.
- 4 min de lecture
Robert Redford est mort le 16 septembre 2025, à 89 ans. Le cinéma salue le mythe, les écologistes l’icône, Sundance son président. Mais du côté des grimpeuses et grimpeurs, un détail mérite de remonter à la surface : la star américaine a été la voix off de quelques films d’escalade et d’alpinisme parmi les plus marquants des années 1970 et 1980. Half Dome, Everest, Yosemite : Redford n’y a jamais grimpé, mais il les a racontés.

On ne grimpe pas avec un timbre de baryton, et pourtant… Redford a fait plus pour la diffusion des images verticales qu’une bonne partie de la communauté alpine réunie. En 1978, quand il narre Free Climb: The Northwest Face of Half Dome, il transforme une libération de fissures arides en récit grand public. Dans les années 1980, il remet ça sur l’Everest, donnant des airs de blockbuster diplomatique à une cordée sino-américano-soviétique. C’est toute la force du personnage : capable d’attirer des millions de spectateurs là où, sans lui, un documentaire de montagne aurait fini en VHS poussiéreuse de club alpin. Redford, en somme, n’était pas seulement l’homme de L’Arnaque ou d’Out of Africa : il était aussi celui qui a su rendre les parois intelligibles à celles et ceux qui ne grimpent pas.
Yosemite : d’un tunnel à une révélation
Tout commence à Yosemite. Assis à l’arrière d’une voiture, en 1947, Redford a 11 ans. Il sort d’un tunnel avec sa mère, et la vallée s’ouvre. « Je me sentais si petit, en même temps que le monde était si grand. Je ne veux pas regarder, je veux être dedans », racontera-t-il plus tard.
Ce choc fonde un rapport viscéral à la nature. Pas de folklore hollywoodien : juste la certitude que ces paysages méritent autre chose que des cartes postales. Dans le parcours de Redford, ce moment est la pierre angulaire. Il explique pourquoi, quelques décennies plus tard, il dira oui à des films qui, sur le papier, n’intéressaient que les abonné·es du American Alpine Journal.
1978, sortie de Free Climb: The Northwest Face of Half Dome. L’histoire pourrait n’émouvoir que les puristes : Jim Erickson et Art Higbee tentent de libérer la face nord-ouest, jusque-là dominée par l’artificiel. Pas d’hélico, pas de cordées glamour, juste deux types obstinés, un mur austère et une corde en back-up. Un film pour insomniaques, diront certain·es.
C’était compter sans Redford. Sa voix grave, immédiatement reconnaissable, transforme ce qui aurait pu être un diaporama de fissures en une épopée compréhensible. Hollywood rencontre Yosemite, mais sans trahir l’effort. Là réside le contraste savoureux : l’acteur le plus photogénique de sa génération au service d’un film où il n’y a, littéralement, pas une seule belle gueule.
L’Everest en pleine Guerre froide
Les années 1980 prolongent l’expérience. Redford narre Everest North Wall (1982), puis Three Flags over Everest (1990). Cette dernière, surnommée « Peace Climb », réunit Chinois, Soviétiques et Américains sur le Toit du monde. D’un côté, de la neige, des cordes fixes, de la diplomatie improvisée en altitude. De l’autre, la voix de Redford qui donne une dimension dramatique à ce qui, sinon, aurait ressemblé à un compte rendu logistique de camp de base.
Sans lui, l’affaire aurait eu la durée de vie d’un entrefilet. Avec lui, elle devient un symbole : l’alpinisme comme théâtre diplomatique, la montagne comme espace de dégel politique. La magie opère parce qu’il sait projeter le récit là où les images seules ne suffisent pas.
Et au milieu coule une rivière
Redford n’a pas cessé de revenir à Yosemite. En 1989, il narre Yosemite: The Fate of Heaven, documentaire sur un parc en tension permanente entre sanctuaire et Disneyland naturel. Là encore, il ne s’agit pas de faire joli : sa voix porte l’alerte écologique.
Lui qui disait préférer être rappelé non pas pour ses rôles glamour, mais pour son travail de conservation, trouvait dans Yosemite et Sundance le terrain parfait pour donner du sens à cette conviction.
En parallèle, il a déjà acquis Sundance, un immense domaine dans les montagnes de l’Utah, avant de prendre la présidence du festival du même nom. Ici, pas de tapis rouge à la Spielberg : des films indépendants, des récits qui n’avaient pas d’espace ailleurs. Sundance deviendra un bastion du cinéma libre, et par ricochet, un lieu où l’outdoor et les causes environnementales trouvent une caisse de résonance. Redford crée un écosystème où nature et culture s’entrechoquent. Bref, un laboratoire qui doit beaucoup à ce gamin de 11 ans sidéré par Yosemite.
En 2016, National Parks Adventure boucle le cycle. Redford y narre des images tournées en IMAX pour célébrer le centenaire des parcs américains. Conrad Anker y grimpe, mais c’est la voix de Redford qui assure le fil conducteur. La boucle est bouclée : l’enfant de Yosemite devenu star mondiale revient, une dernière fois, mettre sa voix au service d’un imaginaire collectif.
On retiendra de Redford le sourire carnassier de L’Arnaque, l’éclat solaire d’Out of Africa, la présidence de Sundance ou le réalisateur fantastique de Et au milieu coule une rivière. Mais du point de vue vertical, il restera celui qui a donné une voix aux parois. Pas un grimpeur, mais un passeur. Celui qui a su raconter ce que les grimpeuses et grimpeurs, absorbé·es par la paroi, n’avaient pas le temps de dire.














