Résurrection : comment nous avons ouvert la grande voie la plus dure de France
- Symon Welfringer

- il y a 1 jour
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250m/9a. C’est ce qu’on pense avoir ouvert en Corse, il y a quelques mois. Nous, c’est Symon Welfringer et Hugo Parmentier et on s’est lancés dans une aventure incroyable qui mêle vélo, bateau et pas mal de tangage dans la tête et dans les bras. Voyez plutôt.

Il est 4h30, nous sommes le samedi 8 novembre. Le bateau file vers le nord mais la Méditerranée nous laisse peu de répit. La Margarita dégustée juste avant le départ est déjà repartie par-dessus bord. Nous sommes en train de refermer la parenthèse d'une aventure puissante partagée ces trois dernières semaines. Nous avons exploré nos limites physiques et mentales en vivant en autarcie tous les trois - Hugo, Arthur (Delicque, photographe sur le projet, ndlr) et moi - sur cette paroi lisse et dans la tente.
Roméo et flipette
Nous avons parcouru les méandres du temps. De ses soudaines contractions, quand les heures passent comme des minutes. À la douceur du vent et la lenteur méditative des tours de pédale. J'ai cette sensation similaire à celle d'un retour d'expédition, mon esprit est parti loin, longtemps et il aura du mal à revenir sur la terre ferme.
Trois semaines auparavant, nous partions en Corse avec l’idée de réaliser une expédition de la manière la plus autonome possible. L’objectif ? Équiper une grande voie sur la Punta Lunarda (un monolithe emblématique de granit situé dans le massif de Bavella, en Corse du Sud, ndlr) et essayer L’Archéron, une grande voie mythique qui a conservé tout son mystère au fil des années. À notre connaissance, personne ne l’a jamais essayée. Elle avait pourtant été équipée en 2009 par Arnaud Petit et Sylvain Millet par le haut avec une longueur potentielle en 9a+/b. À l’époque, ils n’ont pas trouvé de départ à la voie alors c’est Thomas Anquetil et Elise Chappuis qui, quatre ans plus tard, ont équipé le départ. Les équipeurs n’ont jamais communiqué à ce sujet. C’est une voie extrême dont on ne savait absolument rien.

Mardi 21 octobre à 5h, nous enfourchons Roméo, notre vélo tandem. C’est sur lui que nous allons nous déplacer pendant les trois prochaines semaines. Au programme du jour, la descente vers le port de Saint-Mandrier : 320km et 3000m de D+. Les conditions hivernales et les douleurs au genou pour Hugo – « J’aurais des séquelles à vie » – rendent le trajet intense. 20h plus tard nous sommes face au voilier de Francis avec qui nous allons traverser la Méditerranée. Et nous retrouvons nos plus de 100 kg de matériel d’escalade et d'équipement envoyés en covoiturage quelques jours plus tôt. La tempête Benjamin pointe le bout de son nez et notre dernier créneau pour traverser avant plusieurs jours se referme bientôt….
À peine le temps de souffler que le porte-vélo puis nos fidèles destriers sont installés à l’arrière du Casarca. Ni une ni deux, les jeunes moussaillons sans expérience que nous sommes sont téléportés au milieu de la Méditerranée. Ça fait 24h que nous sommes éveillés. Les 160 miles nautiques nous séparant de la Corse sont un calvaire. La fatigue est omniprésente et les quarts sont extrêmement durs à tenir. Nous prenons le temps de régurgiter les 25 boulangeries de la journée de vélo. Heureusement, Capitaine Francis, lui, tient tête à la barre et au sommeil.
Au petit matin, un orage s’abat sur le Casarca. Nous affalons les voiles, prenons la grêle et le bateau prend des creux de trois mètres. Sommes-nous suffisamment reposés pour réaliser cette traversée ? Est-ce que nos compétences limitées peuvent nous amener en Corse, en sécurité ? Quoi qu’il en soit, la tempête Benjamin approche, il ne faut pas traîner. On se pose la question de faire demi-tour. La route est encore longue, la peur grandit mais la motivation reprend le dessus. Nous naviguerons.
Sur des cristaux de granit sublime
Complètement épuisés, nous rejoignons le port corse de Propriano 36h plus tard.
Cela marque le point de départ de notre voyage corse. Direction le massif de Bavella, et la grandiose Punta Lunarda. Nous avons en tête l’équipement d’une ligne qui est gravée dans la mémoire de Symon depuis sa première venue en 2021. Effilée et proéminente, nous rêvons d’un passage sur l’arête centrale. Nous sommes rapidement ramenés à la réalité de l’équipement et à cette fin de saison touristique. Nous sommes presque seuls. Nous demandons de l’aide à Francis pour réaliser plusieurs déposes en voiture de location pour amener notre matériel du port à Bavella et pour recharger nos batteries de perforateurs.

Pendant quinze jours nous buvons l’eau des torrents, caressons le plus beau caillou du monde, ronflons en symphonie dans la tente. Le tout, sans aucun jour de repos. Toutes les journées se terminent longtemps après la tombée de la nuit. On ne compte plus les demi-tours face aux sections complètement lisses, les contournements par des murs à peine moins lisses… Nous avons équipé une grande voie à la frontière de ce que l’on considère possible en escalade. Tous les mouvements n’ont pas encore été réalisés, faute de temps d’abord, de force dans les bras ensuite. Mais nous sommes convaincus que l’itinéraire est grimpable en libre jusqu’au sommet avec sûrement 3 longueurs aux alentours du 9ème degré dans un style bien particulier - vertical pur - sur des microcristaux de granit sublime.
L’équipement de la Lunarda s’est fait de manière synchronisée avec le réveil de phénix de notre ami Ugo qui, après un accident, est parti faire un gros dodo. À chaque longueur que nous finissions, Ugo faisait un pas en avant vers le rétablissement. Le chemin est encore long mais la direction est belle. La Lunarda était un phare dans la nuit. Résurrection est un projet sur le long terme dont seule la première phase est achevée. Nous avons équipé la grande voie la plus dure du pays. Reste à l’enchaîner. Nous sommes convaincus que le projet sera un terrain de jeu idéal pour que d’incroyables grimpeur·ses rêvent et continuent de nous faire rêver.

Affaire à suivre …














