La règle inconnue des compétitions privées d’escalade
Sous les projecteurs de la compétition, l’escalade abandonne un peu de sa liberté. Dans cet univers, chaque épreuve se plie aux exigences du Code du sport — un cadre réglementaire strict, équivalent sportif du Code du travail. Pourtant, un contraste flagrant apparaît : d’un côté, des organisateurs de compétitions privées souvent peu informés des règles qui les encadrent ; de l’autre, la FFME, qui semble peu encline à les faire appliquer. Selon la législation, toute compétition offrant des récompenses supérieures à 3000 euros doit obtenir l’approbation de la fédération — sous peine d’une amende pouvant atteindre 15 000 euros. Une règle inconnue, un contrôle absent : tout semble se passer comme si chacun fermait les yeux. Nous avons donc cherché à comprendre pourquoi.
La réglementation au-delà des prises
Interrogez les organisateurs de compétitions privées, et le vide d’information sur cette exigence saute aux yeux. Pour eux, la FFME n’est ni un repère ni un allié — mais au mieux un spectre éloigné. Alain Carrière, président de la fédération avec qui nous avons échangé à ce sujet, le reconnaît sans détour : « La très grande majorité des organisateurs de compétitions privées n’ont effectivement pas conscience de cette règle. Et à ce jour, nous ne sensibilisons pas particulièrement les acteurs sur ce sujet. » Une déclaration qui, en creux, révèle une fédération peu encline à imposer son carcan réglementaire sur des événements privés qui se voudraient plus audacieux dans leurs dotations, là où les compétitions officielles, elles, plafonnent les récompenses selon leurs capacités financières. Prenons le récent Championnat de France de Bloc 2024 : la première place y atteignait à peine 1250 euros, la seconde 800, et la troisième un maigre 350. Comparés aux événements internationaux privés où les "prize money" s'élèvent parfois jusqu’à cinq chiffres, ces montants peinent à offrir un niveau de vie décent aux athlètes les plus talentueux, contraints de se mettre en scène pour leurs sponsors, de manière parfois gênante.
« La très grande majorité des organisateurs de compétitions privées n’ont effectivement pas conscience de cette règle. Et à ce jour, nous ne sensibilisons pas particulièrement les acteurs sur ce sujet. »
Or, cette règle n’est pas née du cœur de la fédération d'escalade, mais du Code du sport, appliqué uniformément, que ce soit pour le football ou la pétanque. Un cadre légal rigide qui n’a, jusqu'ici, jamais mené à un seul rappel à l’ordre ou sanction de la part de la FFME. Alain Carrière confirme : « Nous ne sommes pas là pour freiner les initiatives privées. » À écouter le président, la FFME semble plus encline à coopérer qu’à contraindre, laissant même entrevoir un éventuel alignement des compétitions privées et fédérales dans les classements. En somme, une promesse de reconnaissance des athlètes sur l’ensemble des circuits, officiels et non officiels. Une "carotte" qui pourrait attirer plus de grimpeurs professionnels vers les compétitions privées, tout en permettant à la fédération de faire appliquer la loi sans avoir à lever la matraque. Un coup habile de la fédération, évitant ainsi la confrontation directe.
« Nous ne sommes pas là pour freiner les initiatives privées. »
L’échappatoire des compétitions internationales privées ?
L’IFSC, à l’échelle mondiale, a elle aussi ses limites. Tant qu’un événement ne revendique pas de statut officiel, il peut théoriquement échapper au contrôle de la Fédération Internationale. En clair, seules les compétitions organisées sous l’égide de l’IFSC, comme les Championnats du Monde ou les qualifications olympiques, sont strictement réglementées. Mais pour quiconque verrait là un boulevard de liberté, la réalité est plus nuancée. Déclarer une compétition "internationale" n’est pas une carte blanche : une compétition privée sur le sol français reste soumise, quoi qu’on en dise, aux régulations du Code du sport. Et si chez nos voisins la souplesse est souvent plus marquée, cette flexibilité s’accompagne d’une influence fédérale toute relative, tant au niveau national qu’international. Une situation qui n’est donc pas forcément enviable.
En fin de compte, la FFME pourrait faire de ce cadre rigide un levier d’influence. Pourtant, elle semble choisir une autre voie, laissant planer une réflexion qui, loin de la confrontation, pourrait amener une reconnaissance des performances sur tous les circuits, une manière subtile de faire respecter la loi sans braquer le secteur privé. Le message est clair : la fédération ne cherche pas à verrouiller, mais plutôt à harmoniser, et à créer un terrain fertile pour une compétition décomplexée, où la rigueur se mêle au pragmatisme.