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Nolwen Berthier : « L’image de la grimpeuse ne correspond pas à celle qu’on attend d’une femme dans la société »

Dernière mise à jour : 18 mars

À l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, Nolwen Berthier, athlète de haut niveau, a lancé « Climb Like a Woman », une campagne invitant chaque grimpeuse à partager une photo d’elle avec les yeux masqués par un rectangle noir. Ce geste symbolique vise à remettre en question les stéréotypes qui entourent le corps des grimpeuses et, plus largement, les injonctions imposées aux femmes dans le sport. Interview musclée.


Nolwen Berthier, tout sourire.
© Christoph Muster

« Trop musclée, trop maigre, trop grosse… : le corps des athlètes féminines est souvent jugé sur son apparence plutôt que sur sa force et ses performances », Katherine Choong, grimpeuse suisse de neuvième degré. « Elle est vraiment carrée pour une meuf, ce n’est pas très féminin », Fanny Gibert, multiple championne de France de bloc « On s’est moqués plus d'une fois de moi quand je criais en grimpant des mouvements difficiles », Laura Pineau, falaisiste toulonnaise de haut-niveau..


Surfant sur l’initiative de Nolwen Berthier, « Climb Like a Woman »,  des centaines de grimpeuses rappellent sur les réseaux sociaux que les standards imposés aux femmes par la société sont encore bien ancrés. Une initiative qui cherche à « célébrer la force, la résilience et le pouvoir des femmes dans l’escalade et au-delà », et qui résonne avec les témoignages récents de grimpeuses comme Hannah Morris, cible de commentaires sexistes sur son apparence physique, ou Janja Garnbret, qui a pris la parole sur les troubles du comportement alimentaire dans le monde de l’escalade. À travers ces prises de parole, un constat commun se dégage : l’image du corps idéal d’une grimpeuse – et plus généralement d’une femme – reste largement dictée par des critères dépassés. Nous avons interviewé Nolwen Berthier sur cette opération sans précédent. 


Pourquoi avoir lancé « Climb Like a Woman », une campagne qui vise à déconstruire les stéréotypes sur la grimpe féminine ?


La campagne est née d’un constat : dans les médias et sur les réseaux sociaux, les images de grimpeuses se ressemblent souvent. Elles correspondent à certains critères esthétiques bien définis. Il est par exemple assez rare de voir des femmes réellement en train de forcer sur une photo d’escalade. À cela s’ajoutent les stéréotypes liés à l’habillement, avec le duo brassière-mini-short, sous-entendant l’idée qu’une grimpeuse doit être peu couverte et pas trop musclée.


Pourquoi, selon toi, voit-on si peu de femmes en train de forcer ? On a pourtant tous en tête des images d’Adam Ondra ou d’autres grimpeurs dans l’effort…


Parce que ça ne correspond pas à ce que l’on attend d’une femme dans la société, je pense. Le fait même que les femmes pratiquent du sport à haut niveau est finalement assez récent. C’est le poids des héritages qui joue encore aujourd’hui.


C’est l’une des premières fois que tu prends la parole sur le féminisme. D’habitude, tu parles davantage d’environnement.


Oui, cette prise de parole est le fruit de plusieurs mois de réflexion. Notamment grâce aux événements en non-mixité auxquels j’ai participé, comme Grimpeuses ou le Women’s Bouldering Festival. Ça m’a beaucoup nourrie.


Au départ, je voulais juste faire un post sur les standards auxquels on tente de se conformer, que l’on soit médiatisée ou non. Car je pense que toutes les grimpeuses sont concernées par ces injonctions. Puis, je me suis dit que ce serait bien plus puissant d’en faire un élan collectif. Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, était le moment parfait pour ça. J’ai donc commencé à contacter des grimpeuses pour leur proposer cette campagne, avec l’idée de créer quelque chose de bienveillant et fédérateur, qui nous rappelle qu’entre femmes, on se soutient. J’ai particulièrement insisté sur l’importance de mettre un rectangle noir devant les yeux : mon but était de montrer que les messages véhiculés s’adressent à tout le monde. Quand on voit les yeux d’une personne, on l’identifie immédiatement, et cela peut donner l’impression que ses paroles ne concernent qu’elle.


Hannah Morris a récemment partagé sur Instagram certains messages qu’elle reçoit de ses haters comme « Built like a fridge » (« Taillée comme un frigo »). Ces remarques alimentent-elles, selon toi, la crainte de certaines grimpeuses d’avoir un physique jugé trop « masculin » ?


Oui, c’est un véritable frein à la performance chez de nombreuses femmes et jeunes filles, quel que soit le sport. Beaucoup refusent de faire de la musculation ou s’auto-limitent, parfois sans même en avoir conscience, simplement par peur d’avoir un corps jugé trop masculin. Alors qu’en réalité, c’est juste un corps musclé. Je l’ai beaucoup observé autour de moi.

« Mon principal sujet par rapport au corps, c’est ma taille, je dirais. Très vite, j’ai compris que je n’y pouvais rien, alors autant faire avec »


Le corps d’une grimpeuse performante ne correspond pas forcément aux standards de beauté imposés aux femmes par la société. Ce qui n’est pas le cas pour un grimpeur.


Je suis d’accord. Une grimpeuse qui performe est souvent mince, avec peu de poitrine et des muscles visibles, ce qui ne correspond pas aux canons de beauté traditionnels féminins. Alors qu’un grimpeur, lui, est musclé et généralement mince, ce qui est socialement valorisé.


À l’inverse, certaines femmes ont aussi une image bien précise de l’idéal à atteindre, en pensant : « Une grimpeuse, ça doit ressembler à ça ».


Oui, j’ai clairement vu des personnes penser de cette façon. Notamment des femmes qui, parce qu’elles ont une carrure plus large ou quelques kilos de plus que « le standard des grimpeuses », peuvent se sentir illégitimes. Mais ces idées peuvent également être limitantes. Car au final, le plus important, c’est d’être passionnée et motivée. Il est essentiel de rappeler que l’on peut être grimpeuse sans forcément viser la performance.



Un des exemples de post de la campagne Climb Like A Woman de Nolwen Berthier.
C'est marrant, on dirait Nolwen Berthier. © Théo Cartier

Et toi, quel est ton rapport à ton corps ? 


Mon principal sujet par rapport au corps, c’est ma taille, je dirais. [Nolwen mesure 1,52 mètre, ndlr]. Très vite, j’ai compris que je n’y pouvais rien, alors autant faire avec. À partir du moment où on accepte cela, on s’ouvre des portes et on cherche des solutions, plutôt que de se focaliser sur les obstacles. Parce que se dire en permanence "Ah, je suis trop petite", c’est vite très limitant. Je me suis dit : soit tu acceptes et tu continues l’escalade en trouvant tes propres solutions, soit tu fais autre chose.


Quelles ont été tes solutions ?


Faire plus de musculation pour gagner en puissance. Et me concentrer sur la tenue de prises, même si, pour le coup, c’est quelque chose que j’ai toujours eu naturellement.


« J’ai clairement vu des personnes penser qu'elle ne ressemblait pas au "standard des grimpeuses. Notamment des femmes qui, parce qu’elles ont une carrure plus large ou quelques kilos de plus peuvent se sentir illégitimes »

Ces derniers temps, plusieurs grimpeuses ont pris la parole sur les troubles du comportement alimentaire en escalade. Janja Garnbret, par exemple, avait fait un post qui avait beaucoup circulé. T’es-tu déjà dit : « Si je perdais 2 kg, je serais plus performante » ?


Depuis que je suis jeune, certaines personnes pensent que je fais très attention à mon alimentation, parce que je suis naturellement mince. En réalité, je n’ai jamais vraiment été dans cette logique de régimes. Car j’ai vite compris que surveiller mon poids me demandait plus d’énergie que ça ne m’apportait de bénéfices.


Je préfère lâcher du lest sur ce sujet, m’entraîner et avoir le poids que j’ai, plutôt que de me contraindre avec des régimes drastiques. Je suis plus heureuse ainsi. Mais sur ce point, nous ne sommes pas tous égaux, car nos métabolismes sont très différents.


Que dirais-tu aux grimpeuses qui ont des pensées limitantes vis-à-vis de leur corps ?


Votre passion est bien plus précieuse que les standards qu’on vous impose, alors libérons-nous-en. C’était aussi l’objectif de cette campagne : montrer qu’entre grimpeuses, on s’encourage à questionner ces normes et à exprimer ce qu’on n’ose pas toujours dire au quotidien.


À travers les différents posts de la campagne, de nombreuses voix se sont exprimées sur la passion, l’ambition, la résilience, la force, les muscles… Des sujets que l’on garde souvent pour soi, par peur de les affirmer pleinement.



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