Himalaya hors‑ligne : le Népal débranche les réseaux sociaux
- Pierre-Gaël Pasquiou
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Dernière mise à jour : 13h
Au Népal, l’État a tiré la prise. Les accès de vingt-six plateformes numériques, dont la majeure partie des réseaux sociaux principaux, ont été coupés. Derrière la décision administrative, c’est tout un écosystème qui s’étrangle. Car sans WhatsApp, Facebook, Instagram et consorts, ce ne sont pas que des selfies qui disparaissent. Ce sont des expéditions qui deviennent impossibles.

On a toujours aimé l’idée romantique d’un Himalaya déconnecté, refuge ultime pour se couper du bruit du monde. Depuis le 4 septembre, c'est presque le cas. Mais ce ne sont pas les alpinistes qui ont décidé de faire silence. C'est le gouvernement népalais qui l'a imposé par décret. Depuis quatre jours, ce sont 26 plateformes numériques dont les principaux réseaux sociaux - Facebook, WhatsApp, Instagram, YouTube ou encore X - qui ont été bannies du paysage numérique du pays, faisant basculer des millions d'habitants et des centaines d'alpinistes de passage, dans un immense hors-ligne administratif.
48 heures pour éteindre la lumière
Le 28 août dernier, le gouvernement népalais avait posé un ultimatum : sept jours pour que les plateformes ouvrent un bureau au Népal, nomment un référent sur place, et mettent en place certains « mécanismes de conformité ». Le 4 septembre, faute d’obtempérer, elles feraient l'objet d'une coupure de leurs services. Ainsi, Facebook, Instagram, WhatsApp, YouTube, X, LinkedIn, Snapchat, Reddit, Discord, Signal, WeChat… ont quitté les écrans des Népalais. La liste ressemble à l’écran d’accueil d’un smartphone. Seules quelques applis, échappent à la purge, à l'instar de TikTok.
Dans la foulée, certains ont bougé : la solution de calendrier népalaise Hamro Patro a déposé son dossier, X a demandé officiellement les pièces à fournir, Meta a pris contact auprès des autorités du pays... De son côté, Katmandou promet de rallumer la lumière au fil des enregistrements. La mesure s’appuie sur un arrêt de la Cour suprême du 17 août qui entérine l’obligation d’enregistrement, mais ne prescrivait pas la coupure. Le gouvernement népalais a décidé d’aller plus loin, comme si la corde juridique permettait aussi de serrer la gorge des applis.
Quand le réseau bégaie
Sur le papier, le blackout devait être total. Dans la pratique, il est haché. Pourquoi ? Parce que les opérateurs téléphoniques (Nepal Telecom, public, et Ncell, privé) n’ont pas basculé du jour au lendemain. Le blocage se fait par couches : on filtre des adresses IP, on coupe des noms de domaine. Résultat : certaines applis passent encore par endroits, puis disparaissent.
Vu de France, c’est comme si Orange et SFR bloquaient Instagram en décalé : un utilisateur peut encore poster un message depuis Lyon, mais le destinataire à Paris ne peut plus le consulter. Cette incertitude rend la communication imprévisible — ce qui, en expédition, est pire que la coupure nette. On ne sait jamais si le message est passé ou s’il s’est perdu en route. Effet collatéral : ruée sur Viber, qui devient l’appli de secours nationale. Ironie parfaite : c’est dans un groupe Viber que les fournisseurs d’accès se coordonnent… pour organiser la censure.
Hors-ligne de vie
En expédition, WhatsApp n’est pas une frivolité. C’est le tableau de bord qui fait tourner la machine. On y cale les rotations d’hélico, les bulletins météo, les horaires de porteurs, les changements d’itinéraire. Coupez ça, et toute la logistique s’effiloche. Le coureur américain Tyler Andrews, arrivé à Katmandou pour une tentative de record de vitesse à l’Everest, en a fait les frais : ses canaux de communication se sont évaporés pile au moment où il voulait lancer son récit. Les sponsors, habitués à un flux continu d’images et de posts, découvrent que l’alpinisme sans réseaux, c’est aussi moins de visibilité — et donc moins de retour sur investissement.
Alors, on ressort les vieilles recettes : messages codés par satellite (« OK », « retard », « demi-tour », « besoin d’aide »), horaires fixes pour donner signe de vie, mails ou SMS quand le réseau le permet. Le confort des groupes WhatsApp, c’était bien. La débrouille, elle, redevient vitale.
L’affaire ne se joue pas qu’au pied des glaciers. Elle déborde sur la scène politique. La Commission nationale des droits humains demande au gouvernement de reculer, rappelant que la Constitution garantit la liberté d’expression. Le Committee to Protect Journalists parle d’un « précédent dangereux » pour la presse. Dans les rues de Katmandou, la Génération Z appelle à manifester contre la coupure, soutenue par le maire Balendra Shah, figure populaire qui incarne une jeunesse connectée et frondeuse. Ce qui devait rester une plomberie réglementaire devient un bras de fer sur les libertés publiques.
On croyait que les dangers venaient des séracs instables ou des corniches fragiles. En 2025, ils peuvent surgir d’un bureau ministériel à Katmandou. La dépendance aux applis a créé une vulnérabilité nouvelle. Et c'est toute une illusion de confort qui se fissure dès qu’un gouvernement décide de jouer au censeur.