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Monter une salle d'escalade en 2025 : les coulisses d'Unibloc

Dernière mise à jour : 14 mai

Dans un marché de l'escalade en pleine expansion, deux amis d'enfance ont décidé d’ouvrir une salle de bloc dans leur ville natale à Carcassonne : Unibloc. Trois semaines après l'ouverture, ils font un premier bilan - calmement - du projet qui les essore autant qu’il les épanouit. Alors, ça veut dire quoi aujourd'hui monter une salle d'escalade privée en France ? Réponses en plein shift.


Les deux fondateurs d'Uni-Bloc : Robin Leduc et David Monnot.
Robin Leduc et David Monnot, les deux fondateurs d'Unibloc © Robin Leduc

Vertige Media : Vous avez ouvert il y a trois semaines. Comment ça va ? 


Robin Leduc : On est rétamés parce qu'on bosse en flux tendu depuis des mois. J’ai dû prendre trois jours de pause en quatre mois. C’est la configuration propre à notre lancement qui fait ça, parce qu’on a décidé d'enchaîner les travaux avec l’ouverture. Après, on est très contents du résultat. On sent que ça prend, qu'il y a un truc qui se passe.


Vertige Media : C’est-à-dire ?


Robin Leduc : À la base, pour qu'on tourne, il fallait qu'on soit sur un équilibre autour de 20 000 euros de chiffre d'affaires mensuel. Là, on n'a pas encore fini le mois, et on est déjà à 36 000 euros. C'est très encourageant. Au tout départ, on a eu pas mal d'abonnements. Et depuis une dizaine de jours, ce sont beaucoup d'entrées à la journée.  Par exemple, lors d'une journée portes ouvertes, on a eu 600 personnes.


Vertige Media : Qui sont vos principaux clients ? 


Robin Leduc: Depuis le début des vacances (l’interview a été réalisée pendant les vacances de Pâques, ndlr), c'est beaucoup d'enfants qui viennent découvrir. À Carcassonne, il n'y a pas beaucoup d'activités de loisirs sportifs. Tu as le tennis, le paddle, mais après, c'est plutôt jumper park, karting et bowling. L'escalade commence à être un peu plus connue, et on sent qu'il y a plein de jeunes qui ont envie d'en faire. D’ailleurs, on s’est fait avoir sur le nombre de chaussons. On avait prévu du stock, mais en ce moment, à 15h, on se retrouve en rupture !


David Monnot : Ça faisait partie de notre étude de marché : le Club Alpin Français (CAF) de l’Aude (département où se situe Carcassonne, ndlr) est saturé depuis des années. Ils font tous les ans un forum des associations pour sensibiliser à l'escalade, mais ils savent qu'ils vont refuser des centaines de demandes. Du coup, chaque année, du monde se fait refouler alors qu’il y a une vraie communauté de grimpeurs dans l'Aude et dans l'Hérault (le département voisin, ndlr). On savait que pas mal de pratiquants recherchaient une salle avec une bonne amplitude horaire, capable de les accueillir tous les jours.


Unibloc, salle Carcassonne.
© Robin Leduc

Vertige Media : D’autant plus que vous êtes la première salle d’escalade privée à ouvrir dans le coin…


Robin Leduc : Exactement. Avant nous, il fallait soit aller à Toulouse, soit à Montpellier, soit à Perpignan. Il y a une toute petite salle à Narbonne, mais c'est tout. Et même avec ça, on a plein de Narbonnais qui viennent alors que c'est à 35 minutes de route. 


Vertige Media : Vous êtes tous les deux en reconversion professionnelle. Qu'est-ce qui a motivé ce projet ?


Robin Leduc : Avec David, on s'est rencontrés il y a quelques années via un groupe WhatsApp de grimpeurs du Sud. On avait pas mal d'envies communes et de passions partagées. Je suis musicien, lui aussi. La musique, à Paris, c’était devenu compliqué. Et j’avais aussi ma femme et mon fils à Carcassonne. On est tous les deux d’ici… Bref, pas mal d’éléments personnels qui, couplés à l’opportunité que le projet représentait, ont presque agi comme une évidence.


« L’enjeu c’était de véhiculer les valeurs d’un sport qui a toujours été un vecteur de lien social. On voulait aussi créer un lieu où les gens se parlent »

On voulait aussi continuer à vivre d’une passion. Pour nous, monter une salle d'escalade, c’est une forme de création. On veut donner à Unibloc une âme, une identité. On ne veut pas en faire un projet purement commercial.


Vertige Media : Est-ce que la popularité croissante de l'escalade ces dernières années vous a confortés dans ce choix ?


Robin Leduc : Carrément, ça a grave participé. En vérité, on a beaucoup hésité avant de se lancer. Sans méchanceté pour Carcassonne, c'est une petite ville de province un peu ancrée dans des idées reçues, pas ultra-ouverte, on n’avait peur que ça prenne pas. Mais à l’époque où on réfléchissait, j’étais encore à Paris et je voyais bien à quel point l'escalade explosait. David, lui, était à Carcassonne et il commençait à faire son étude du marché en parlant avec des locaux. Puis on s’est dit : « Si on doit le faire, c'est maintenant ». On sentait que quelqu'un d'autre allait y aller, alors on s’est bougé.


Vertige Media : Comment avez-vous adapté le projet à son environnement, dans une ville comme Carcassonne ?


Robin Leduc : C’est vrai que l’escalade est désormais perçue comme un truc de bobo. Et je sais bien qu'à Carcassonne, ce n'est pas le dixième arrondissement qui grimpe. Mais je me disais quand même qu'on pouvait amener quelque chose d'intéressant esthétiquement et en faire un lieu vraiment cool qui sorte du lot. Après, l’enjeu c’était de véhiculer les valeurs d’un sport qui a toujours été un vecteur de lien social. Avec Unibloc, on voulait aussi créer un lieu où les gens se parlent.


Vertige Media : Un tiers lieu finalement…


Robin Leduc : Exactement. On a un bar, on prévoit de la restauration... Quand je parle de tiers-lieu ici, beaucoup ne savent pas ce que c'est. À Carcassonne, il n'y a pas d'endroit cool où sortir, discuter. Les jeunes n'ont que des bars un peu traditionnels, pas hyper intéressants.


Vertige Media : Vous êtes tous les deux originaires de Carcassonne. Il y avait donc aussi un lien identitaire fort avec votre ville ?


Robin Leduc : Oui, et il y a aussi une complémentarité dans nos profils. Moi dans la musique avec un aspect entrepreneurial, et David avec ses compétences de bâtiment puisqu'il avait une entreprise de menuiserie. L'auto-construction nous a d’ailleurs permis de réduire fortement les coûts d'investissement et donc notre prise de risque. Je gère davantage la direction artistique et la communication. David, lui, gère plutôt l'aspect technique de la salle qui est aussi un périmètre super créatif. Dans notre salle de bloc, on a voulu construire ce qu’on appelle « une proue ». C’est le truc qui se voit le plus quand tu rentres et elle symbolise vraiment notre désir de faire des blocs esthétiques.


La proue, le monument d'Unibloc.
La proue, le monument de la salle de bloc d'Unibloc © Robin Leduc

Vertige Media : Comment avez-vous construit la salle ?


David Monnot : On a fait quasiment tous les travaux. On a coulé 300 m2 de béton, tout repeint, construit le bar, refait l'électricité… Pour la salle de bloc, on a également réalisé tous les pans de mur avec un peu d’aide pour finaliser les plans 3D. Finalement, le seul artisan « externe » avec qui on a bossé, c’est une société espagnole pour les tapis. Quand tu regardes nos postes de dépense pour l’ouverture, c’est d’ailleurs ce qui a coûté le plus cher, beaucoup plus cher que toute l’ossature bois et les panneaux. Ça, et les prises.


Robin Leduc : En ce qui concerne les prises, on a bossé avec Expressions. Pour les ouvertures, notre pote Pierre Serin de Solo Escalade à Toulouse nous a aidés, tout comme Christophe Cazin de Panescalade. On a aussi travaillé avec les gens du coin, comme Johann Saint-Blanca, un jeune compétiteur qui est en train de passer le diplôme d’ouvreur. Fin août, notre deuxième salariée, Marilou Gonzalez, qui est ambassadrice du Rock Tour, grimpeuse forte, diplômée ouvreuse et monitrice, va également nous rejoindre. Faut bien se dire aussi que ce genre de projet, ça tient aussi sur le réseau. Et on a la chance que le nôtre soit super solidaire.


Vertige Media : Comment avez-vous évalué le potentiel commercial avant de vous lancer ?


David Monnot : On a regarde le marché, tout simplement : le nombre de grimpeurs, de licenciés FFME (Fédération française de la Montagne et de l’Escalade, ndlr), CAF qui sont de plus en plus nombreux, les ouvertures de salles, leurs tailles... On s’est vite rendu compte qu'il y avait un besoin au niveau local. On constatait aussi que plein de salles ouvraient dans des villes similaires à la nôtre, que le marché était en pleine expansion.


Vertige Media : Quels ont été vos principaux défis pour le financement ?


David Monnot : On a galéré pour trouver des banques, à la fois parce que notre apport n'était pas énorme et parce que les banques répondaient qu'il n'y avait pas de projet similaire sur lequel se fonder. Et puis le contexte économique actuel n'aide pas. Finalement, on a emprunté 280 000 euros et on a mis 50 000 euros de notre poche. Donc Unibloc, c’est un projet à 330 000 euros.


« Aujourd’hui, bosser dans une salle d’escalade, ça peut représenter le nouveau cool mais il ne faut pas oublier que ça reste un boulot difficile » 

Vertige Media : Comment avez-vous construit votre modèle économique ?


Robin Leduc : Sur le papier, c'est 70% d’escalade, 30% de bar/snack. Il y a un tel manque à gagner sur l'escalade dans la région qu'on a davantage misé sur ce volet que sur la restauration.


David Monnot : Maintenant, on a un seuil de rentabilité à atteindre. L'emprunt est sur sept ans, mais j'ose dire qu'on pourra le rembourser avant. On a fait un prévisionnel assez sage, en partant sur 40 visites par jour. Depuis trois semaines, c'est le double, et ça ne fait que grimper. Pourtant, on a des investissements constants à faire : on veut développer des blocs extérieurs, un espace enrouleur, la cuisine... Et puis la masse salariale va grossir un jour !


Vertige Media : Beaucoup de salles privées ouvrent mais certaines tirent déjà la langue. C’est un sujet de préoccupation pour vous ?


David Monnot : Ce qui me préoccupe, c'est que beaucoup de salles investissent énormément, parfois trop. Quand je regarde les nouvelles salles qui ouvrent, certaines investissent jusqu'à un million d'euros pour 400m² de blocs. Je ne sais pas comment ils étudient leur projet, mais en termes de productivité et de chiffre d'affaires, ça ne fonctionne pas. Beaucoup d’exploitants de salles négligent aussi leurs coûts d'exploitation. Ce n'est pas parce que tu as créé un outil que tu peux te reposer sur un acquis commercial. Les blocs d'escalade s'usent, les prises s'usent, les sanitaires s’usent.... Il faut investir constamment, les nettoyer, acheter des produits qui coûtent cher. C'est de la main-d'œuvre supplémentaire.


Vertige Media : Quel regard portez-vous sur les récents mouvements sociaux dans certaines franchises d'escalade ?


Robin Leduc : Je ne suis pas étonné que ce genre de dérive puisse arriver. C'est un sport assez nouveau qui est devenu « cool ». Et certains dirigeants peuvent jouer là-dessus en capitalisant sur le fait que plein de gens seraient contents de travailler dans des salles sympas, surtout dans les grandes villes. Aujourd’hui, bosser dans une salle d’escalade, ça peut représenter une sorte de nouveau « cool » mais il ne faut pas oublier que ça reste un boulot difficile. Quand tu as du monde toute la journée, qu'il faut être présent à 100%, qu’il faut faire gaffe à tout, la sécurité etc. Et cet aspect compliqué du métier, les patrons de salle n’en ont pas tous conscience. Ils ne rémunèrent donc pas leurs employés à leur juste valeur.


Vertige Media : Ces évènements ont-ils alimenté vos réflexions sur la gestion de vos équipes ?


Robin Leduc : On est au tout début, on a qu’un seul salarié. Néanmoins, on tient à ce que les personnes qui travaillent avec nous se sentent bien et soient rémunérées comme il faut. On n'est pas du tout dans le même schéma que certaines grosses salles parisiennes. On va être quatre pendant un moment, c'est presque familial. Et même dans ce format-là, on essaie de s'organiser pour avoir un meilleur équilibre. Par exemple, on se relaie sur les fermetures/ouvertures, un soir sur deux c'est l'un ou l'autre qui ferme, et celui qui a fermé n'ouvre pas le lendemain. 


Vertige Media : Finalement, quels enseignements partageriez-vous si une autre personne venait à se lancer dans la création d’une salle d’escalade privée ?


Robin Leduc : Il faut être très passionné. Passionné, et sincère dans le sens où il va falloir mobiliser une envie phénoménale et parvenir à faire des sacrifices. Au-delà des problématiques de gestion, je dirais qu’il ne faut pas oublier de rester aligné avec sa raison d'être. Nous, notre but, c’est pas de devenir riches ou de nous implanter partout. On veut faire découvrir un sport qu’on aime, en vivre correctement et avoir un lieu dans lequel on est heureux d’aller bosser tous les jours. Notre mission, c’est de faire découvrir l’escalade alors autant être content de partager sa passion. Ce qui est bien, c’est que les retours correspondent. C’est simple, depuis qu’on a ouvert, le mot qu’on nous répète le plus souvent, c’est « merci ».


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